LE TRAVAIL réalisé par l'équipe multidisciplinaire du CHU de Poitiers présente un double intérêt. Il met l'accent sur un trouble souvent méconnu et y apporte des explications : les femmes obèses rencontrent des difficultés pour allaiter leur bébé et les nourrissons en subissent des conséquences au plan pondéral.
L'équipe du Pr Régis Hankard a mené de façon prospective une étude cas-contrôle. Sur 1 432 femmes enrôlées et ayant accouché au CHU, 10 % étaient obèses avec un indice de masse corporelle (IMC) ≥ 30 kg/m2 avant la grossesse. La première donnée qui apparaît concerne le taux d'instauration de l'allaitement. Il était de 48 % pour les femmes obèses et de 64 % pour celles de poids normal.
Durée de l'allaitement abrégée.
Sur les 114 femmes obèses, 111 ont été appariées à autant de femmes normopondérales (18,5 < IMC < 25). Alors que les bébés avaient poids de naissance similaire, les prises pondérales ont été différentes. Le gain à l'âge de 1 mois était plus faible pour les bébés de mère obèse, 818 g ± 387 g, contre 1 067 ± 422 g. La durée de l'allaitement était également abrégée à un mois, seule la moitié des premières ont conservé un allaitement exclusif, contre 73 % des secondes. À trois mois, les chiffres étaient encore abaissés avec 22 et 47 %, respectivement.
Dès le séjour en maternité, nourrir leur enfant occasionnait plus de difficultés pour ces mères obèses. Elles ont rapporté plus souvent des fissures mamelonnaires, une asthénie ou une mise en route problématique de l'allaitement. D'ailleurs, 25 % d'entre elles ont utilisé des bouts de sein en silicone, contre 10 % des témoins. À 1 et 3 mois, les mêmes gênes étaient rapportées, s'y ajoutait l'impression d'une lactation insuffisante. Seulement de 55 à 60 % des mamans obèses avaient l'impression « d'avoir assez de lait », contre plus de 90 % des mères non obèses.
Face à ces écueils, le travail poitevin constate que les mères obèses ont moins souvent demandé de l'aide que les plus minces. Au cours des trois premiers mois, seulement 10 % d'entre elles ont recherché un soutien, contre 39 % des autres.
Crainte du regard de l'autre.
Les causes des échecs à l'instauration de l'allaitement sont multiples. La sécrétion de prolactine à la tétée dans les 48 heures qui suivent la naissance est moindre chez la femme obèse et cela compromet la lactogenèse. Mais les auteurs y ajoutent des explications psychocomportementales, dont la principale est la crainte du regard de l'autre. Elle est évoquée en premier lieu chez la femme obèse à la fois comme cause de non-allaitement mais aussi de son arrêt. Près de la moitié de ces mères répugnent à allaiter en public « par pudeur ». La décision d'allaiter dépend beaucoup des pratiques d'allaitement dans la famille et de l'entourage, notamment le soutien du père. Une femme non obèse rapporte ne pas allaiter simplement car elle n'en a pas envie.
Régis Hankard et son équipe en tirent des recommandations à l'usage du médecin. La connaissance de ces facteurs « mérite que l'on y prête attention, dans la mesure où ils représentent des cibles d'intervention possibles pour favoriser le succès de l'allaitement maternel chez les femmes obèses… Pour la pratique quotidienne, il faut retenir que l'obésité est un facteur de risque de non-instauration ou d'arrêt précoce de l'allaitement maternel.
L'accompagnement des femmes obèses qui souhaitent allaiter est déterminant pour sa poursuite, particulièrement dans les premiers jours. Il faut savoir rassurer ces mères quant à leur allaitement et à la prise de poids de leur enfant.Dans une perspective plus large, ce travail contribue à la meilleure connaissance du problème de l'obésité. Il explore des facteurs qui peuvent contribuer à la “programmation” d'un individu à devenir obèse et à développer des complications de l'obésité dont on sait qu'elle débute dès la vie foetale ». L'étude de ces facteurs est au centre de la thématique « Nutrition, facteurs foetaux et postnatals et maladies chroniques » de l'Inserm CIC 802 du CHU de Poitiers (Prs Régis Hankard et Samy Hadjadj).
« Pediatrics », vol. 121, n° 5, mai 2008.
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