par les Drs MARIE-FRANCE POUPON* et ELISABETTA MARANGONI**
LE CONCEPT de cellules souches d'organe fait appel à plusieurs notions : une spécificité d'organe – qui les distingue des cellules embryonnaires totipotentes –, une capacité de renouvellement illimitée et une capacité à se différencier en tous les types cellulaires constitutifs d'un organe. Ce concept implique par ailleurs une division initiale asymétrique, une cellule souche donnant une cellule identique, gardienne de la survie de l'organe, et une cellule progénitrice, strictement organe-spécifique, qui entre dans une cascade de différenciations.
S'agissant des cancers, immortels, l'hypothèse de cellules souches émerge naturellement. Cette hypothèse soulève deux questions fondamentales. Premièrement, la cancérisation survient-elle dans les cellules souches d'organe ? Deuxièmement, la malignité tumorale vis-à-vis des cellules non tumorales reproduit-elle une hiérarchie, existant dans les tissus sains, entre cellules souches et progéniteurs ?
Il n'y a pas encore de réponse claire à ces deux questions. Mais un certain nombre de travaux ont récemment remis les cellules souches de cancer sur le devant de la scène.
Des marqueurs communs.
Les premiers résultats démontrant l'existence de cellules souches de cancer du sein ont été obtenus en 2003 par le groupe de M. F. Clarke (1). Cette équipe a isolé des cellules de cancer du sein (xénogreffes et cancers de patientes), par sélection d'un petit nombre de cellules positives pour la protéine membranaire CD44, et négatives pour des marqueurs épithéliaux (CD24). Chez des souris immunodéficientes, ces cellules CD44+/ CD24– forment, au site d'injection, des tumeurs identiques aux tumeurs d'origine. En revanche, les cellules CD44– ne sont pas tumorigènes. Depuis ces travaux, d'autres équipes ont mis en évidence des cellules souches de tumeur de prostate, de tumeurs cérébrales, bronchiques, de côlon, de pancréas, de tumeurs ORL (2, 3). Certains marqueurs ont été identifiés, qui semblent communs à différents types tumoraux : ainsi, le CD44 (cancers du sein et de la prostate) et le CD133 (cancers du côlon, du cerveau, de la prostate, des voies aérodigestives).
Le groupe de Clarke, toujours, a isolé ces cellules souches et caractérisé leur profil génomique par une technique de microarray. Une « signature » des cellules CD44+/CD24– par rapport au sein normal a pu être obtenue, sous la forme d'un profil différentiel d'expression de 186 gènes. Cette signature se révèle effectivement associée au pronostic des patientes (survie sans métastases et survie globale), indépendamment des critères cliniques et pathologiques habituels (4). Cette signature pourrait permettre d'identifier de nouvelles cibles thérapeutiques, spécifiques des tissus cancéreux.
Enfin, le concept de cellules souches de cancer, quelle que soit leur origine, implique l'hypothèse d'une relation particulière avec le microenvironnement. Dans le cas des cellules souches d'organe, ce microenvironnement constituerait une sorte de « niche », à la fois protectrice vis-à-vis d'agressions extérieures, notamment immunitaires, et informative, via la signalisation spécifique induite dans la cellule souche par ses contacts physiques avec la niche. Le rôle de la niche, notamment hématologique, a été prouvé dans les leucémies.
Pour le moment, les connaissances sur ces mécanismes restent insuffisantes. Certaines observations sont pourtant relativement anciennes. Le Pr Claude Jasmin relevait ainsi, il y a une vingtaine d'années, des récidives de cancer du sein moins nombreuses et plus tardives lorsque la chimiothérapie adjuvante était mise en oeuvre rapidement après la chirurgie. Il expliquait ce résultat par une déstabilisation transitoire, par la chirurgie, de la relation entre les cellules tumorales et leur microenvironnement. Cette relation ouvre une opportunité thérapeutique nouvelle, dont on peut penser qu'elle sera exploitée dans le futur.
La connaissance des marqueurs des cellules souches de cancer ouvre des perspectives thérapeutiques considérables, ce qui explique l'intérêt que leur porte la recherche en cancérologie. Les succès de la chimiothérapie sont réels, mais à terme insuffisants. Les thérapeutiques ciblées permettront sans doute des progrès. Et si l'hypothèse de cellules souches de cancer est vérifiée, c'est leur contrôle que devront viser ces thérapies. Dans un premier temps, l'amélioration des techniques de détection devrait permettre d'évaluer la sensibilité de ces cellules à différents traitements. La caractérisation de marqueurs spécifiques pourrait d'ailleurs elle-même conduire au développement de stratégies ciblées.
* Directrice de recherche, ** Etudiante postdoctoral, U612 Inserm, centre de recherche, et Translational Research Department, Institut Curie, Paris.
(1) Al-Hajj M, Wicha MS, Benito-Hernandez A, et al. Proc Natl Acad Sci SA 2003;100:3983-8.
(2) Singh SK, Hawkins C, Clarke MF, et al. Nature 2004;432:396-401.
(3) Wicha MS, Liu S, Dontu G. Cancer. Res 2006; 66:1883-90.
(4) Glinsky GV, Berezovska O, Glinskii AB. J Clin Invest 2005; 115:1503-21.
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