LES SYNDICATS, et principalement la CGT, ont eu vite fait de dire que le projet du gouvernement d'obtenir un service minimum est une remise en cause du « droit constitutionnel de faire la grève ». La dernière fois que les cheminots ont arrêté le travail, c'était pour s'opposer à une réforme des retraites qui ne les concernait pas : il est étrange que la solidarité devienne parfois si urgente qu'on s'empresse de ne plus rien faire.
En revanche, mardi dernier, les cheminots avaient quelques bonnes raisons de se soucier de leur avenir. La Sncf a perdu 200 millions d'euros en 2003, en partie à cause des grèves, et elle ne va ni grossir ses effectifs, ni proposer des hausses de salaires substantielles.
La théorie du malaise général.
Le commentaire le plus répandu, c'est que les grèves cumulées de la Sncf, d'EDF et de l'hôpital public la même semaine constituent, avec cinq mois de retard, la « rentrée chaude » qui ne s'est pas produite malgré les prédictions de
LA GREVE A LA SNCF N'A STRICTEMENT AUCUN RAPPORT AVEC CELLE DES HOPITAUX
nombreux Cassandre. Mais il n'y a strictement aucun rapport entre la Sncf et EDF, d'une part, et, d'autre part, les hôpitaux, où le manque d'effectifs et de moyens devient intolérable.
La décentralisation, avec la création des ARH, et la réforme ont parfaitement réussi : on a comprimé enfin les dépenses hospitalières, mais le corollaire, c'est que, pratiquement, ils ne peuvent plus soigner les patients. Les revendications exprimées par les médecins et les personnels sont fondées sur des arguments indiscutables, que le gouvernement ne cherche d'ailleurs pas à discuter, lui qui doit non seulement financer le fameux déficit abyssal et réparer les dégâts causés par la semaine de 35 heures.
On serait tenté de dire aux cheminots d'aller faire un tour à l'hôpital pour qu'ils comprennent enfin ce que revendiquer veut dire.
L'apologie du service « public ».
La notion de service minimum (ou garanti) ne vient pas de Mars : elle est appliquée dans de nombreux pays européens. On dira, non sans raison, qu'il fallait commencer par ne pas donner aux cheminots des avantages exorbitants et que le droit de grève, imprescriptible, devait, dès 1945, être assorti du service minimum. Le pire, c'est d'entendre des syndicalistes très remontés faire l'apologie du service dit public. Qu'est-ce qu'un service public qui consiste à mépriser systématiquement le public ? Si les cheminots, ou les syndicats qui les représentent, étaient vraiment attachés au service public, ils feraient en sorte que leurs grèves n'entraînent pas le chaos. Ils auraient un peu de compassion pour les malheureux travailleurs contraints d'aller à pied à leur bureau, ou de prendre un jour de congé, ou de multiplier par trois ou quatre le temps de leur trajet.
Certes, nous diront-ils, une grève assortie du service minimum n'aura jamais le même effet sur les pouvoirs publics que les nuisances produites par une grève totale. C'est un raisonnement qui pourrait avoir sa légitimité en cas de grave injustice, comme à l'hôpital, ou encore dans une période de prospérité où les employés du service public seraient les dindons de la farce. Ce n'est plus le cas. La France ne s'est pas remise de trois années de crise économique profonde. Elle est endettée jusqu'au cou, sinon jusqu'aux yeux. Nous comptons deux millions et demi de chômeurs qui, eux, n'ont pas la retraite à 50 ans et rêvent de travailler 39 heures par semaine si un emploi leur est proposé.
Un abus de pouvoir.
De sorte que la grève ainsi conçue représente non seulement un immense abus de pouvoir, mais une absence totale de considération pour de fortes catégories de Français : ce n'est sûrement pas en aggravant le déficit de la Sncf ou de toute autre entreprise publique qu'on créera des emplois. Et s'il est vrai qu'il y a, aujourd'hui comme auparavant, des riches et des pauvres, il y a aussi les nantis de l'emploi sûr qui occupent une citadelle où ils empêchent les exclus d'entrer.
Ces grèves auront-elles une influence politique, et notamment sur les élections régionales ? Sûr, elles sont de nature à encourager dans leur choix les électeurs du Front national ; mais comme en même temps une partie du discours du gouvernement est en train de pénétrer les esprits, comme pas mal de non-grévistes se rendent compte que les enragés de l'action syndicale jouent avec le feu, que notre faible taux de croissance limite la générosité des patrons, entreprises privées ou Etat, comme enfin les Français, à une forte majorité, souhaitent que soit instauré le service garanti, la probabilité du feu de paille est plus crédible que la certitude de l'incendie.
Le monde change, l'Europe change, la France change, et ils sont encore une poignée à croire aux avantages non pas acquis mais éternels. Mais le paradis n'est pas sur terre. L'outrance du geste et du langage a des jours comptés. La société ne joue plus.
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