Les dépassements d’honoraires menacent-ils l’accès aux soins des patients les plus déshérités ? Après un mois de négociation entre l’Assurance Maladie, les syndicats de médecins et les mutuelles, les avis demeurent partagés entre les protagonistes. Pour sa part, le gouvernement a déjà répondu par l’affirmative, quitte à y mettre bon ordre lui-même si aucun accord n’était constaté d’ici au 17 octobre. Chez les généralistes, peu concernés par ces dépassements, les avis aussi sont partagés. Mais notre enquête réalisée par GMG (voir infographie), montre quand même que le phénomène inquiète aussi les cabinets de médecine générale. Les dépassements pratiqués menacent-ils l’accès aux soins spécialisés de leur patientèle ? Oui, répondent peu ou prou huit généralistes sur dix. Le problème a-t-il pris de l’ampleur ces dernières années ? 89 % de la profession sont enclins à penser que la situation s’est un peu (33 %) ou même beaucoup (56 %) aggravée.
Avis partagés
Pour autant, les avis sont partagés. Il y a ceux qui déplorent les abus de certains spécialistes de secteur 2. Comme Marie-Claude Denizet, généraliste à Clermont-Ferrand : « Avant, les riches payaient un peu plus cher et on ne faisait pas payer ceux qui n’en avaient pas les moyens. Mais les temps ont changé, les spécialistes ont oublié le facteur humain », regrette-t-elle. Malgré tout, ses patients semblent s’en accommoder. « Les gens sont très gentils, ils raquent et ne disent rien », remarque cette praticienne. Et il y a ceux qui se montrent plus compréhensifs. À Marseille, le Dr Laurence Guillaume ne jette pas la pierre à ceux qui dépassent : « Les ophtalmologues ont besoin d’un équipement, même chose pour les stomatologues. Cela représente des investissements de plusieurs dizaines de milliers d’euros qu’il faut amortir. Quant aux gynécologues, ils sont souvent en déplacement », précise-t-elle.
La crainte des dépassements excessifs semble pourtant un sujet régulièrement abordé à l’issue de la consultation chez le médecin traitant. 51 % des généralistes de notre enquête estiment que le sujet revient souvent sur la table et 30 % parfois. À l’opposé, à peine 20 % de nos sondés ne se souviennent guère d’en avoir parlé avec un patient. Laurence Guillaume, ferait plutôt partie de cette dernière catégorie.
« Je n’ai pas vraiment ressenti l’appréhension d’un tarif trop élevé parmi mes patients, notamment les personnes âgées qui consultent beaucoup de spécialistes. Ça n’a pas l’air d’être un frein pour eux. Pour leur santé, les gens ont l’air prêts à dépenser », assure-t-elle. La praticienne ajoute que « les plus défavorisés ont accès à tout gratuitement grâce à la CMU. En revanche,
pour les couples à petits salaires avec plusieurs enfants, le problème peut se poser?», reconnaît le Dr Guillaume.
Mais, à entendre les médecins traitants, il existe souvent des moyens de contourner le problème. « Je me rappelle qu’un ophtalmo avait présenté une note d’honoraires trop chère à une de mes patientes, raconte la généraliste marseillaise. On en a parlé et, au final, il ne lui a pas facturé de dépassement. » À en croire certains praticiens la modération semble d’ailleurs de mise, en tout cas pour les patients adressés par un généraliste. « Si le patient suit le parcours de soins classique et passe me voir avant de consulter un spécialiste, il n’aura pas de problème. Aucun spécialiste n’a jamais refusé de les prendre en secteur opposable », assure Patricia Lefébure, installée à La Celle-Saint-Cloud (Yvelines).
Chacun son système D pour piloter ses patients
Reste que l’impact des dépassements sur l’accès aux soins dépend évidemment des zones géographiques ou des caractéristiques socio-économiques de la patientèle. La grande injustice est là. Là-dessus, tous les généralistes sont d’accord pour dire que, de ce fait, les patients ne sont pas tous égaux. « À Paris, contrairement à la province, l’offre de soins permet d’orienter le patient selon son budget. Pour ma part, je travaille dans un centre ou il y a plusieurs spécialistes. Lorsque j'adresse des patients de mon cabinet à mes confrères spécialistes installés en secteur 2, ils leur font payer le tarif du secteur 1 quand ceux-ci n'ont pas de mutuelle », explique le Dr Myriam Bouadjila, récemment installée à Paris, dans le VIIIe arrondissement. Pour le Dr Bruno Fourrier qui exerce à Cesson-Sévigné en Ille-et-Vilaine, une banlieue plutôt aisée à l’est de Rennes, le problème ne se pose guère. « Ici, il n’y a pas trop de chômeurs, je traite principalement des cadres et des salariés. Certes, il y en a un ou deux qui rouspètent, mais, si c’est vraiment trop cher, on les dirige vers l'hôpital », raconte-t-il.
À Saint-Étienne, en revanche, la situation est plus délicate. « On fait attention, on protège la patientèle pauvre. On essaye de les orienter vers des spécialistes qui ne pratiquent pas trop de dépassements », rapporte le Dr Rodolphe Charles. Mais selon lui, les tarifs se régulent automatiquement en fonction du niveau de vie de la population. « Nous sommes dans une ville assez pauvre, assez ouvrière. Si les chirurgiens se mettent à demander trop, les gens ne vont plus aller les voir. Il y a donc un compromis qui se dégage en fonction des moyens dont dispose la population de la ville. »
La faute aux mandarins
Reste que, même s’ils en sont pour la plupart exclus, les confrères interrogés refusent la vision simpliste qui consisterait à faire de tous les médecins qui dépassent des confrères qui abusent. « Cela me gêne que l’on mette tout le monde dans le même sac. Il ne faut pas faire d’amalgame. La majorité des médecins ne voient pas leur métier comme une activité à but lucratif », souligne Myriam Bouadjila. Elle dénonce néanmoins les abus d’une frange bien particulière de la profession. « On sait que les dépassements sont principalement le fait des mandarins de l'hôpital. Quand je vois des consultations et des opérations de cataracte à plusieurs centaines d’euros dans certains hôpitaux parisiens, je me dis qu’il y a des choses à faire. »
Des excès hospitaliers pointés aussi par le Dr Lefébure, qui met en avant d’autres pratiques de ces médecins stars. « Je trouve excessifs les tarifs des mandarins, mais ce qui me choque le plus, ce sont les consultations privées qu’ils donnent sur leur temps de travail officiel. Du coup, on ne peut plus leur adresser des patients en secteur opposable », déplore-t-elle.
Cette croisade est-elle la bonne ?
S’ils pointent du doigt certains abus, les généralistes soulignent aussi que les dépassements d’honoraires ne constituent pas le problème majeur pour l’accès aux soins.
« Les dépassements ? Les médias en parlent davantage que nous. Entre confrères, ce n’est pas un sujet récurrent », relativise Laurence Guillaume. « Le problème, c’est de trouver des spécialistes. Les patients se plaignent surtout des délais d’attente, principal frein à l’accès aux soins », renchérit Patricia Lefébure.
Dans ces conditions, cette négociation qui n’est pas la leur et ne répond qu’en partie à leurs problèmes a peut-être du mal à tenir en haleine les généralistes. Le gouvernement a-t-il raison de faire la guerre aux dépassements ? Les généralistes semblent partagés, seule une petite moitié (47 %) répondant par l’affirmative. Patricia Lefébure s’interroge sur les mesures qui seront prises à l’issue des négociations. « Je suis d’accord pour sanctionner les excès, mais qui va les déterminer ? Si, comme prévu, ce rôle échoit à la Sécurité sociale, vu que le tarif de base est trop bas, tous les honoraires seront considérés comme excessifs », prévient-elle. Le Dr Fourrier considère, lui, que les sanctions peuvent être un mal nécessaire. « Il ne faut pas que toute une profession ou que tous les spécialistes d’une ville se mettent à pratiquer des dépassements, sinon on n’aura plus le choix et on devra imposer les prix », juge-t-il.
Faire quelque chose… Mais quoi ? Les généralistes semblent franchement dubitatifs. Malgré – ou peut-être à cause – du volontarisme du gouvernement, à peine 20 % de la profession estiment, en effet, que la négociation en cours à des chances d’aboutir...
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