EN VENANT de l’aéroport par la large avenue de Jade Maiwand, bordée d’échoppes artisanales, de maisons ruinées et, de loin en loin, d’improbables immeubles reconstruits, après avoir bravé le tohu-bohu des embouteillages et le nuage de poussière qui recouvre la ville et fait disparaître, dans le lointain, les montagnes de l’Hindukush, on arrive enfin à l’Imfe. Sur le trottoir d’en face, l’hôpital pédiatrique Ataturk ; derrière, les ruines imposantes de ce qui fut le centre hospitalier universitaire Ali Abad et la faculté de médecine qui, elle, a pu reprendre ses activités. Au milieu de ce quartier médical sinistré se dresse l’Institut, avec ses bâtiments flambant neufs. Des fresques monumentales où des femmes voilées serrent leurs enfants dans les bras dominent des pelouses bordées de rosiers en fleurs et de pélargoniums.
L’Imfe comprend aujourd’hui 70 lits d’hospitalisation, 15 lits de réanimation et soins intensifs, 8 lits de réveil, 4 blocs opératoires, une unité de chirurgie pédiatrique générale, une unité de soins intensifs, des activités de chirurgie infantile spécialisées, une unité d’imagerie médicale, un laboratoire d’analyses et une pharmacie. Le tout fonctionne selon des normes médicales et d’hygiène qui garantissent de disposer de tous les consommables, oxygène, pansement, nourriture. Dans une ville universitaire occidentale, l’Imfe serait considéré comme une infrastructure de pointe ; planté ici, dans cet environnement ravagé par vingt-cinq ans de guerres, quand on franchit les lourdes portes métalliques que gardent en permanence des hommes en armes, on dirait que c’est un univers de science-fiction.
Cheysson l’Afghan.
Au départ, même lui n’y croyait pas. Dieu sait pourtant que le Dr Eric Cheysson, le président du programme Enfants afghans, s’est toujours battu sans compter pour les peuples afghans. Depuis février 1980, alors que l’Ours soviétique prenait possession de Kaboul, cet ancien de « l’Ile-de-Lumière » (le bâtiment affrété pour sauver les boat people dans l’océan Indien), co-fondateur de Médecins du Monde avec Bernard Kouchner et Alain Deloche, chirurgien thoracique à l’hôpital de Pontoise, n’a eu de cesse d’arpenter les cols enneigés de l’Indukush, la chaîne abrupte qui domine la capitale. Armé de sa trousse de « french doctor », malgré la peur physique qui a failli plusieurs fois lui faire abandonner la partie, il a multiplié les missions dans cette terre des mythes et des légendes où, après Gengis Khan et les Mongols, l’Est et l’Ouest se livrent depuis un quart de siècle à un affrontement sans merci. A barouder dans le froid glacial de l’hiver et la touffeur irrespirable de l’été, avec son air de feinte indifférence, ce regard plissé par un sourire en coin d’éternel adolescent, il a gagné un surnom dont il est fier : Cheysson l’Afghan.
Mais quand la comédienne Muriel Robin et le grand reporter de télé Marine Jacquemin sont venus le trouver, lui et son éternel compère, le Pr Alain Deloche, président de La Chaîne de l’espoir, en novembre 2001, pour lui parler de leur projet, l’Afghan, le don Quichotte de l’Asie centrale a calé : bâtir à Kaboul un hôpital de la mère et de l’enfant qui réponde aux standards occidentaux, ce projet était trop fou ! Ça ne pouvait évidemment pas marcher !
Une rage à soulever des montagnes.
Ses interlocutrices ont dû faire montre d’une force de conviction inaltérable. «Depuis qu’un de mes amis afghans, un chirurgien, avait été pendu, j’éprouvais une rage à soulever des montagnes, raconte la journaliste de TF1. Dans ce pays de misère absolue, où les gens vivent des drames indescriptibles en se plaignant rarement, le système de santé avait été mis en pièces par les guerres successives. Deux ou trois hôpitaux tout au plus avaient été sommairement réhabilités par les Américains. J’ai rencontré Muriel Robin. Et le programme Enfants afghans, un hôpital pour Kaboul, a très vite vu le jour.»
Les deux femmes ne pensaient pas faire aussi vite. Marine Jacquemin lâche même le mot de miracle. «En quelques mois, confirme Alain Deloche, tout s’enchaîna. Muriel Robin et Marine Jacquemin développèrent une énergie surhumaine pour trouver des alliés dans le monde de la finance et des médias. TF1 devint un partenaire actif, en particulier grâce à l’engagement sans faille de Claire Chazal. Bouygues s’engagea à construire ce qui sera le premier chantier de Kaboul après la guerre.»
«On a tout fait sauf le jardin du Luxembourg, se souvient Eric Cheysson : le Parc des Princes, Qui veut gagner des millions?, le musée Guimet.» Tout à la fois timide et exalté, le chef de service de l’hôpital de Pontoise brûle les planches. Plus de 12 000 donateurs se pressent, qui apportent 3 millions d’euros. Assez pour que d’aucuns dénoncent un humanitaire paillettes et show-biz.
Dans le même temps, de grands financiers mécènes apportent leur concours, à hauteur de 5 millions d’euros : leurs noms sont aujourd’hui gravés sur une plaque de marbre, à l’entrée de l’hôpital : Bouygues, les Caisses d’Epargne, Gaz de France, Marcel Dassault, sanofi-aventis, Siemens, Suez, Veolia. Assez pour que soit brocardé «l’humanitaire du CAC40».
Ces critiques, le Pr Deloche les balaie d’un revers de main, comme il l’a déjà fait, en son temps, pour l’Institut du coeur, bâti à Phnom Penh par La Chaîne de l’espoir : «Nous sommes les tenants de l’humanitaire du troisième type, un humanitaire moderne qui prend une nouvelle forme: pas de charité condescendante, mais une solidarité respectueuse. Un humanitaire qui se traduit par des réalisations concrètes et ambitieuses, appuyées sur les compétences humaines et les hautes technologies.»
Mai 2002. Le gouvernement afghan met à la disposition d’Enfants afghans un terrain pour construire l’hôpital.
Mai 2003. Bernadette Chirac pose la première pierre.
Juillet 2003. Les travaux débutent. Il faut tout d’abord extraire les mines accumulées dans le sol, puis dégager les ruines de l’hôpital qui s’élevait autrefois sur le site, face à la faculté de médecine. On retrouve des ossements. «Et pas une brouette!», s’exclame Eric Cheysson.
Les travaux sont achevés en deux ans. Le 8 février dernier, Hamid Karzaï, le président afghan, Bernadette Chirac et Philippe Douste-Blazy, le ministre des Affaires étrangères, inaugurent officiellement l’Institut médical français pour l’enfant. Mais le démarrage de l’activité, progressif, s’est effectué à partir de l’été 2005 : 6 août, mise en service du scanner ; septembre, ouverture du laboratoire et démarrage des consultations.
L’équipe médicale s’installe et ajuste le projet. Parmi les premiers à l’ouvrage, le Dr Alexander Leis, un Allemand de 33 ans, qui fut chef de clinique à l’hôpital Necker, à Paris, et qui sera le directeur médical à Kaboul. «Un personnage magnifique et cabossé, qui tient tout à la fois de Charles de Foucauld et de Saint-Exupéry», témoigne, admiratif, Eric Cheysson. Les deux hommes ont des caractères qui se ressemblent, en apparence impavides et comme mystérieusement détachés des contingences. Tous deux ont banni le terme d’humanitaire de leur vocabulaire, préférant parler de mission médicale de haut niveau et de transferts technologiques. «Quand je suis arrivé, raconte le pédiatre, les lits n’avaient pas encore été livrés. Le projet médical naissait à peine, qui a rapidement évolué. Au départ, il s’agissait de donner la priorité à la chirurgie viscérale et orthopédique; dans une deuxième phase, il a été question de maternité et de néonatalogie. Maintenant, on est entré dans une troisième étape, axée sur la chirurgie cardiaque pédiatrique.»
Installation futuriste et environnement rudimentaire.
«Les deux tiers de nos équipements proviennent de récupérations diverses, précise Bernard Baugey, ingénieur biomédical, ex-Siemens, qui a supervisé les installations, avec Edith, son épouse. Mais beaucoup d’hôpitaux français aimeraient disposer de moyens aussi performants. On a réalisé dans un environnement très rudimentaire une installation futuriste.»
Depuis le 1er janvier dernier, et pour un contrat de trois ans, c’est le réseau de développement Aga Khan, réputé pour ses méthodes de management rigoureuses, qui prend en charge le fonctionnement administratif.
L’intelligence médicale, elle, reste sous contrôle de La Chaîne de l’espoir et, sur place, du Dr Leis. Le pédiatre allemand est un peu revenu de son désir initial de découvrir à Kaboul une autre culture, de goûter aux traditions originales d’un pays du bout du monde. «En fait, constate-t-il, nous vivons ici dans une enclave internationale dont il est devenu difficile de s’extraire, compte tenu des impératifs de sécurité actuels. La vie sociale, sportive, personnelle est mise entre parenthèses. Cela n’aide pas le recrutement d’expatriés pour les missions longues.»
Tous les jeudis, au siège de La Chaîne, à l’hôpital Broussais, à Paris, Eric Cheysson et ses troupes tiennent leur réunion de pilotage. C’est souvent l’occasion de tirer des coups de chapeau aux équipes des permanents qui font tourner l’Imfe. Des permanents au bord de l’épuisement parce qu’ils sont trop peu nombreux. «L’ambiance est un peu celle d’un équipage de bateau en haute mer, commente Eric Cheysson, à qui cela rappelle parfois la grande époque de « l’Ile-de-lumière ». Tous ces médecins, toutes ces infirmières sont des gens magnifiques, même aux limites de leur résistance, ils font face.»
A Paris comme à Kaboul, les chiffres de la montée en puissance de l’Imfe sont décortiqués et les rapports épluchés à la loupe. «En novembre, nous avions en moyenne cinq patients qui venaient consulter quotidiennement et aujourd’hui nous en sommes à 160, se félicite le Dr Fatima Mohbat Ali, directrice administrative, nommée en novembre par le réseau Aga Khan. A terme, notre objectif est d’atteindre un rythme de 250patients par jour.Pour les hospitalisations, la courbe est passée de 24 en janvier à 716 en juillet. La moyenne de mortalité est à 3%, un résultat plus qu’honorable, compte tenu de la gravité des cas que nous prenons en charge.»
L’hôpital de la dernière chance.
Car l’institut s’est vite taillé une réputation d’hôpital de la dernière chance. De l’hôpital pédiatrique Ataturk, tout proche, aux installations archaïques et dangereuses, aux provinces les plus reculées du Sud, les familles amènent massivement des enfants pour lesquels il n’y a plus, nulle part ailleurs, de perspective thérapeutique.
Entre le travail de fond mené au long cours par les permanents et les cadences sans répit des missions courtes (orthopédiques et cardiologiques), l’Imfe consacre une part grandissante de ses activités à la formation, spécialement celle des médecins. Sur place, ou envoyés à Paris ou à Phnom Penh (Cambodge), à l’Institut du coeur, les membres de l’équipe afghano-pakistanaise bénéficient d’une mise à niveau intensive pour accéder à une pratique autonome. Chirurgiens pédiatriques, viscéraux, orthopédiques, anesthésistes, pédiatres, cardiologues, radiologues, ils sont appelés à conquérir leur maturité et leur autonomie professionnelles dans les prochaines années. «C’est sur ce terrain surtout que nous devons relever le défi, souligne Eric Cheysson. Après la bataille qui a été livrée pour construire les bâtiments et les équiper, c’est une bataille médicale qu’il nous faut livrer. Les médecins afghans comptent énormément sur leurs confrères français.»
A ceux qui s’interrogent sur le luxe des soins dispensés ici, le président de l’hôpital répond que «ce n’est pas du luxe de dilater un orifice mitral» et que «c’est en tirant le système de soins vers le haut que l’on va réussir à relever l’ensemble de l’édifice.»
«Nous espérons réussir à Kaboul, confie le Dr Fatima Mohbat Ali, ce qui s’est fait à Karachi, lors de l’ouverture, en 1983, de l’hôpital Aga Khan, un établissement dont la qualité de soins est au moins équivalente à celle d’un CHU occidental. Alors qu’au départ, beaucoup jugeaient que ces équipements étaient trop beaux pour le pays, il a fini par faire école et rehausser tout le système de santé pakistanais. C’est quand les autres hôpitaux afghans auront rejoint le standard de l’Imfe que nous pourrons crier victoire.»
Postes à pourvoir d’urgence
Pour remplir les missions médicales qu’elle assume au sein de l’Imfe, La Chaîne de l’espoir recrute d’urgence des médecins, des infirmiers, des techniciens et des administratifs, pour des durées allant de un mois à un an, selon les postes :
– 1 médecin anesthésie pédiatrique (bloc + gardes anesthésie-réanimation à assurer, 4 salles opératoires) ;
– 1 médecin réanimateur pédiatrique (réanimation chirurgicale et médicale, 15 lits) ;
– 1 médecin biologiste (labo, banque de sang) ;
– 1 pharmacien (pharmacie, gestion de stocks) ;
– 1 radiologue pédiatre (scanner, salle digestif, salle pulmonaire, urgence, deux salles d’échographie) ;
– 1 infirmier(e) réanimateur pédiatrique ;
– 1 infirmier(e) anesthésie pédiatrique ;
– 1 infirmier hospitalisation ;
– 1 infirmier bloc stérilisation ;
– 1 infirmière de consultation ;
– 1 manipulateur(rice) radio
– 1 directeur hôpital pédiatre.
Les candidats doivent pratiquer l’anglais ainsi que, dans le cas du directeur de l’hôpital, le dari.
Contacts : mjacob@chaînedelespoir.org.
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