Découvertes et inventions
Depuis les époques les plus anciennes, le sang est considéré par l'homme comme un fluide intimement associé à la force et à la vie. Dès l'Antiquité, le garrot puis le clamp furent utilisés pour prévenir l'issue fatale des hémorragies provoquées par des blessures profondes. Mais, bien que certains écrits fassent état d'une expérience de transfusion menée, sans succès, sur le pape Innocent VIII à la fin du XVe siècle, ce n'est qu'au XVIIe siècle que commence réellement l'histoire de la transfusion sanguine.
Au début du XVIIe, la médecine considérait que la santé était contrôlée par l'équilibre entre les diverses humeurs : le sang et la bile nés du foie, l'atrabile provenant de la rate, et la pituite, du cerveau. C'était l'époque de gloire de la saignée, de la purge et du lavement. En 1628, lorsque l'anatomiste William Harvey décrivit le système circulatoire, il apparut que la circulation sanguine obéissait à des règles mécaniques et non à des propriétés mystiques. Cependant, il resta établi que le sang contrôlait le caractère, la force et beaucoup d'autres caractéristiques des êtres vivants.
C'est dans ce contexte scientifique, en 1666, que Richard Lower, un disciple de Harvey, réalisa une expérience étonnante : il saigna un petit chien bâtard, puis relia sa veine jugulaire à une artère d'un chien de chasse grand et fort. Le grand chien ne tarda pas à mourir, alors que le petit revint à la vie sans qu'aucun changement notable de son caractère ne puisse être observé. Le résultat de cette expérience stupéfia les savants de l'époque qui s'attendaient que les caractères du chien vigoureux soient transmis au petit bâtard par l'intermédiaire du sang.
Le pyromane et le veau
Un an plus tard, un Français tenta une expérience similaire, mais bien plus spectaculaire, puisque le receveur de la transfusion était un jeune homme, Antoine Mauroy. Ce garçon avait été trouvé errant nu dans les rues de Paris en train d'allumer des incendies. Il fut confié à Jean-Baptiste Denis, un des médecins du roi Louis XIV. Pour Denis, le sang bouillant dans les veines de son jeune patient était responsable de son comportement. Il décida donc de remplacer le sang corrompu circulant dans les veines de Mauroy par celui d'un paisible veau.
Denis inséra un petit tuyau d'argent dans une veine dénudée et sectionnée du bras de son patient, élimina environ 10 onces de sang, puis introduisit l'autre extrémité du tuyau dans une artère de la patte du veau. Pendant quelques minutes, le sang du veau s'écoula dans les veines du jeune homme. La transfusion fut interrompue lorsque Mauroy commença à se plaindre d'une sensation de chaleur intense dans le bras où le sang de l'animal était transfusé. Après s'être reposé, Mauroy sembla en grande forme et tout à fait détendu. Une seconde transfusion fut pratiquée deux jours plus tard. Cette fois, le patient se plaignit non seulement de la sensation de chaleur dans le bras, mais aussi de douleurs lombaires et de malaises. Son visage se couvrit de sueur et son pouls devint filant. Pourtant, après une nuit de sommeil, le malade semblait rétabli, calme et détendu. La seule chose qui étonna Denis fut la couleur noire des urines émises par son patient pendant les quelques jours qui suivirent la transfusion.
Le médecin ne sut jamais qu'il avait provoqué chez son patient une hémolyse intravasculaire gravissime. La rémission psychiatrique observée par Denis peut rétrospectivement s'expliquer de la manière suivante : Mauroy était probablement atteint de syphilis neurologique et le conflit immunologique provoqué par le sang incompatible de l'animal a peut-être provoqué un choc thermique capable de détruire les tréponèmes responsables de la maladie (au début du XXe, on traitait cette pathologie incurable en provoquant une forte fièvre qui, en détruisant de nombreux tréponèmes, favorisait les rémissions).
« La boutique de Satan »
Satisfait du résultat obtenu sur Mauroy, Denis proposa d'étendre cette nouvelle stratégie thérapeutique à toutes les maladies causées par la malignité du sang, les pleurésies, la variole, les ulcères, les cancers et le feu de Saint-Antoine.
Mais la plupart des confrères de Denis furent choqués par l'idée d'utiliser la transfusion sanguine en thérapie ; un autre médecin royal, Pierre de la Martinière, assimila même la transfusion à du « cannibalisme directement issu de la boutique de Satan ».
Alors que la polémique entourait l'expérience de Denis, la femme de Mauroy demanda que son mari reçoive une troisième transfusion, car il montrait de nouveau des signes de démence. Denis accepta, mais son patient mourut subitement, avant même que cette nouvelle transfusion fût réalisée.
La femme de Mauroy, poussée par les ennemis de Denis, poursuivit le médecin en justice pour meurtre. Cependant, il fut démontré au cours du procès qu'Antoine Mauroy était mort d'un empoisonnement à l'arsenic. C'est sa femme qui fut condamnée pour le meurtre, mais le jugement, prononcé le 17 avril 1668, ajouta que les expériences de transfusion pratiquées dans le royaume de France devraient désormais être autorisées par la faculté de médecine de Paris.
Le conservatisme de cette institution fit qu'aucune autorisation ne fut jamais délivrée et la pratique de la transfusion fut finalement totalement interdite par le Parlement en 1670.
Plus de cent cinquante ans
Plus de cent cinquante ans s'écoulèrent avant que l'utilisation de la transfusion sanguine en médecine ne soit réintroduite. Le regain d'intérêt pour cette technique et les recherches de nombreux savants contribuèrent à la découverte des groupes sanguins et de leurs incompatibilités, puis à celle des techniques permettant le stockage du sang dans des banques. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, les temps modernes de l'usage du sang commencèrent avec leur succès, mais aussi avec les drames qui éclatèrent plus tard.
« Histoire de la transfusion sanguine », du Pr J.-C. Bensa ; disponible en ligne sur http://perso.wanadoo.fr/dms.efsra/fichiers/Histoire%20TS1.pdf.
« A Brief History of the Study of Blood », de Daniel Hoh ; disponible en ligne sur http://health.discovery.com/convergence/killorcure/blood/blood.html.
Un saut dans le présent
En 1900, à Vienne, Karl Landsteiner découvre les groupes sanguins, puis, quarante ans plus tard, avec Wiener, le système Rhésus, du nom du singe macaque ayant servi à l'expérimentation. En 1952, Jean Dausset met en évidence de nouveaux marqueurs sur les globules blancs, point de départ du système HLA (Human Leucocyte Antigen), dont l'identification est essentielle pour les greffes.
Ces dernières années, les nouvelles techniques ont permis de renforcer considérablement la sécurité du sang : déleucocytation systématique du sang total, puis généralisation de la déleucocytation du plasma, dépistage génomique viral du VHC et du VIH (depuis juillet 2001).
Plusieurs pistes sont suivies dans la difficile mise au point du sang artificiel : biotechnologie pour fabriquer un succédané d'hémoglobine à partir de plantes ; par exemple, le tabac ; recours à des substituts chimiques, tels que les fluorocarbones, qui transportent l'oxygène. Mais on est très loin de résultats généralisables et le don de sang est plus que jamais nécessaire pour faire face aux besoins de 500 000 malades chaque année en France.
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