ÂGÉE DE 36 ANS, cette patiente, souffrant d’une forte myopie, en particulier de l’oeil gauche, s’était inscrite dans un club de boxe américaine avec un certificat de non-contre-indication que lui avait rédigé son médecin traitant. Ce faisant, elle s’était conformée à la législation en vigueur : loi du 23 mars 1999 (codifiée le 15 juin 2000 dans le code de santé publique), qui dispose que «la délivrance d’une licence sportive est subordonnée à la production d’un certificat médical attestant l’absence de contre-indication à la pratique des activités physiques et sportives, valable pour toutes les disciplines à l’exception de celles mentionnées par le médecin et de celles pour lesquelles un examen plus approfondi est nécessaire et dont la liste est fixée par arrêté conjoint du ministre chargé des Sports et du ministre de la Santé» (article 5).
Au-dessus de la ceinture.
Mélange de boxe anglaise, de boxe française, de taekwondo et de karaté, avec des coups de poing et de pieds permis à la face, au thorax et sur les côtés, au-dessus de la ceinture, cet «art martial» qu’est la boxe américaine est certes classé par l’arrêté du 28 avril 2000 parmi les sports de combat avec «mise hors de combat», qui, comme l’alpinisme de pointe, les sports mécaniques, aériens et sous-marins, peuvent nécessiter des examens spécifiques. Mais, précise la présidente de la FBA (Fédération de boxe américaine), Jacqueline Vandewiele, «nous n’imposons des examens spécifiques, cardiologiques et ophtalmologiques que pour ceux de nos adhérents qui pratiquent la compétition. Les autres, en salle, peuvent se contenter d’un certificat médical de non-contre-indication à la pratique de la boxe américaine délivré par un médecin généraliste. Les règles pugilistiques à l’entraînement en salle prévoient en effet que les assauts n’y soient pas portés par des fouettés à plein contact».
Perte définitive de l’oeil.
Le médecin traitant de la patiente était donc dans son rôle et sa compétence. Les événements ont cependant pris un tour dramatique. Après quatre mois d’entraînement, la jeune femme a remarqué des anomalies dans son champ visuel, au niveau de son oeil gauche. Elle a dû subir six interventions chirurgicales à la suite, pour un important décollement de la rétine. Finalement, la perte définitive de l’oeil a été constatée le 12 octobre 2001.
Le tribunal de grande instance de Paris a considéré dans le jugement qu’il vient de prononcer que le généraliste avait commis une erreur en ne prévenant pas l’intéressée du risque majeur auquel l’exposait sa myopie, dans le cadre d’un sport comme la boxe américaine. Selon le rapport de l’expert médical cité dans le jugement, «le risque de décollement de la rétine était multiplié par 100 par rapport à un individu disposant d’une vue normale, du fait de sa forte myopie, en particulier de l’oeil gauche».
Médecin traitant depuis douze ans de cette patiente, le généraliste, au fait de ses problèmes ophtalmologiques, était-il au courant de la contre-indication au stade de la compétition qu’ils constituaient pour sa patiente et des mises en garde qui auraient dû en découler pour une pratique sportive limitée à l’entraînement en salle ? En tout cas, «cette histoire nous rappelle que tout certificat engage la responsabilité du médecin et justifie que l’on consacre du temps à la consultation qui motive le certificat», souligne le Dr Eric Jousselin, médecin chef du département médical de l’Institut national du sport et de l’éducation physique, auteur du cahier FMC du « Quotidien » consacré aux certificats de non-contre-indication à la pratique du sport (10, 11 et 12 septembre 2001) et, plus récemment, de « la Médecine du sport sur le terrain » (éditions Masson, septembre 2005, 196 pages, 29 euros). «Lequel d’entre nous, demande-t-il, n’a jamais signé ce type de certificat à la légère, sur un coin de table, quand ce n’est pas fait au téléphone et adressé par courrier, pour rendre service, à un membre de la famille, à un ami ou à un voisin? Or, en dehors de la traumatologie, que l’on a tendance à minimiser, de nombreux médecins n’ont pas idée de la morbidité liée à la pratique sportive.»
Rappelant qu’on dénombre plus d’un millier de morts subites annuelles liées au sport en France, le spécialiste déplore qu’il n’existe toujours pas d’études épidémiologiques d’envergure, mais il estime que «les excès rencontrés dans les pratiques sportives d’aujourd’hui devraient inciter le corps médical à beaucoup plus de rigueur».
Certes, il y a des circonstances atténuantes dans la pratique : lorsqu’il prend rendez-vous auprès de son médecin traitant, le patient ne précise pas toujours le motif, ce qui peut inciter le médecin pressé à ne pas prévoir une tranche horaire suffisante. Afortiori, quand la question n’est soulevée qu’à l’issue d’une consultation qui s’est déroulée sur un tout autre sujet. Le certificat est alors «bâclé». Au lieu de quoi, s’insurge le Dr Jousselin, «cet acte de médecine préventive devrait nécessiter plus de temps qu’une consultation normale, une demi-heure au moins, avec un interrogatoire sur les motivations et le contexte de la pratique sportive, sur les éventuelles pathologies qui peuvent être l’indication d’un surentraînement. Pour l’examen clinique, il n’y a aucune règle définie, il doit s’agir d’un examen classique, que l’on commence par un bilan morphologique (poids et taille) et vérification de la courbe de croissance pour les enfants et adolescents. On passe ensuite à l’examen cardio-vasculaire pour vérifier l’absence d’anomalie à l’auscultation».
Une heure d’enseignement.
La loi n’exige aucun examen complémentaire particulier. Alors, le médecin doit-il s’assurer de l’existence de contre-indications spécifiques dans certaines disciplines, comme la myopie pour la compétition en boxe américaine ?
«Nous touchons une fois encore à la cruciale question de la formation initiale et continue à la médecine du sport, remarque le Pr Pierre Rochcongar (CHU de Rennes). Le nouveau président de la Sfms (Société française de médecine du sport) rappelle que «la formation initiale ne prévoit en tout et pour tout qu’une heure d’enseignement en second cycle, alors que la FMC est le plus souvent négligée. Cette double carence est d’autant plus regrettable que nous sommes en présence d’une discipline de plus en plus complexe, avec un risque croissant de judiciarisation. Même pour un spécialiste comme moi, le fait de délivrer un certificat de non-contre-indication au rugby pour un première ligne amateur comporte un risque objectif, compte tenu des problèmes possibles de rachis. Dans ces conditions, je conçois que de plus en plus de généralistes hésitent à signer des certificats, et même refusent de le rédiger».
Faudrait-il alors se tourner vers des médecins du sport dûment diplômés, titulaires d’une capacité, d’un CES ou, depuis l’an dernier, du nouveau Desc ? C’est ce que prévoyait, à l’origine, la loi de 1984, mais que la pénurie de spécialistes n’a pas permis d’acter dans la pratique. Aujourd’hui, et compte tenu de la situation démographique encore aggravée, le Pr Rochcongar estime que «le médecin de famille reste assurément tout désigné par la connaissance qu’il détient de l’histoire de son patient pour rédiger le certificat, quitte à ce qu’il accomplisse un effort de FMC. Car nous sommes en présence d’un acte médical pas anodin, et le jugement qui vient d’être rendu en fournit une nouvelle preuve».
Dans un pays où l’on recense 14 millions de sportifs licenciés au sein d’une fédération, soit 23 % de la population, la situation ne laisse d’être préoccupante, souligne le Dr Jousselin, qui constate encore que, «tandis que la justice condamne les praticiens à des dommages-intérêts élevés, la Caisse nationale d’assurance-maladie continue à ne pas rembourser comme tel le certificat de non-contre-indication à la pratique du sport».
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature