Un joint quelques minutes avant de prendre le volant, voire en conduisant, quand on a une vingtaine d'années, ce n'est pas le pied. Surtout si l'on pense s'en sortir autrement qu'en passant par les urgences hospitalières. Telle pourrait être l'idée de la prochaine campagne organisée par le ministère de la Santé et la Sécurité routière, et que suggère une enquête épidémiologique conduite par le Dr Patrick Mura.
Praticien hospitalier, responsable de l'activité du Laboratoire de biochimie et toxicologie du CHU de Poitiers, Patrick Mura a obtenu en 2000 de la direction des Hôpitaux, sur appel d'offres, la possibilité de réaliser, dans le cadre d'un programme hospitalier de recherche clinique nationale, une étude relative à l'évaluation de l'impact de l'alcool, des stupéfiants et des médicaments psychoactifs sur la survenue d'accidents automobiles.
Les urgences de six centres hospitaliers (Poitiers, Strasbourg, Le Havre, Limoges, Grenoble et Lyon) ont été mises à contribution pendant dix-huit mois, d'avril 2000 à octobre 2001. Dans chacune d'entre elles, 8 ou 9 conducteurs impliqués dans un accident corporel ont été recrutés chaque mois, soit 900 au total, dont 40 % de femmes environ, sans exclusive quant au jour de la semaine et au mois de l'année.
Un nombre identique de sujets, toujours de l'ordre de 140-150 par CHU, admis aux urgences pour toute autre chose qu'un accident de la voie publique, formait le groupe témoin. Les personnes à risque, susceptibles d'avoir consommé des substances psychoactives, comme les suicidants, ou des produits dopants dans le cas des traumatisés du sport, étaient exclues du groupe témoin (GT), car il fallait que le tout-venant de la population générale des automobilistes fût représenté.
Des conditions d'analyse
fiables
« A partir de là, nous avons effectué sur les conducteurs accidentés et les membres du GT une analyse de sang par les méthodes les plus fiables », explique au « Quotidien » le Dr Patrick Mura, qui cite la chromatographie en phase gazeuse (CPG) couplée à la spectrométrie de masse (pour les stupéfiants), le CPG avec détection par ionisation de flammes (alcool) et le screening par chromatographie liquide de haute performance combinée à un détecteur à barrette de diodes (médicaments psychoactifs).
Les résultats, les plus précis qui soient à ce jour, ne seront pas de sitôt égalés, compte tenu des conditions de fiabilité de l'étude, estime son auteur.
En effet, le dépistage systématique de produits psychoactifs lors d'accidents mortels de la circulation, qui a été lancé le 1er octobre 2001 par les ministères de la Santé et des Transports, avec enquête épidémiologique pendant deux ans, s'appuie sur un protocole moins strict. D'une part, il faut qu'il y ait décès, d'autre part, un test urinaire précède toute prise de sang. « Or, les retombées du THC (le principe actif du cannabis) parviennent à un pic dix minutes après que le sujet a fumé et il n'est plus détectable dans le sang au-delà de 2 à 3 heures », précise le Dr Mura. Chez un accidenté resté en vie, le THC reste fixé dans les récepteurs du cerveau de 6 à 8 h après la consommation.
« Pour l'alcool, il n'y a pas de surprise, explique le Dr Patrick Mura. Quel que soit l'âge, 30 % des conducteurs accidentés avaient bu (et nous avons pris en compte les alcoolémies d'au moins 0,5 g/l), certains ayant jusqu'à 3,5 g d'alcool par litre de sang. Parmi les témoins non conducteurs, ils sont 10 %, ce qui est quand même beaucoup : un patient sur dix admis aux urgences pour une cause médicale a bu.»
20 % des 18-27 ans
sous l'empire du cannabis
Pour le cannabis, ce sont exclusivement les 18-27 ans qui sont concernés : le quart d'entre eux (le groupe de conducteurs accidentés compte une même proportion de jeunes) présentent du THC dans le sang. Dans le groupe témoin, 10 % ont fumé des joints. Ceux qui débattent de la dépénalisation ne manqueront pas d'en faire leur miel. Les morphiniques, surtout l'héroïne, concernent 3,5 % des accidentés de 18-27 ans du premier groupe et 0,5 % du second.
Enfin, les médicaments psychoactifs, surtout les anxiolytiques et les anti-inflammatoires, suivis par les antidépresseurs, sont retrouvés chez 12 % des conducteurs accidentés et 6 % des membres du groupe témoin.
Il en résulte, pour les 18-27 ans, des facteurs de risque notoires. Avec les médicaments, la fréquence d'accidents est multipliée par 1,7, le cannabis 2,5, l'alcool 3,8, le cannabis plus les boissons alcoolisées 4,8, et l'héroïne 9. A propos du cannabis, dans 60 % des cas, il a été détecté seul, dans 30 % associé à l'alcool et pour le reste à des médicaments psychoactifs ou à d'autres stupéfiants.
Le Dr Mura est vice-président de la Société française de toxicologie analytique (tél. 05.49.44.39.23)
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