Phlébite
•Phlébite spontanée du membre inférieur droit.
«Geneviève L., 81ans, est conduite à l’infirmerie pour un oedème douloureux du membre inférieur du côté droit. Veine fémorale formant comme une corde tendue, très dure, douloureuse au toucher. Les petites veines superficielles se dessinent sous la peau. Point de fréquence dans le pouls. Sous l’influence de la position du membre (position telle que le pied était de beaucoup plus élevé que le genou), et des saignées locales répétées, mieux sensible, cessation presque complète de l’oedème; la veine revient graduellement sur elle-même, la douleur disparaît. Après un mois de traitement, la malade est transférée dans la salle des convalescences»: depuis sa première description par Breschet en 1818, la phlébite, sa physiopathologie, son diagnostic et son traitement ont été l’objet d’une remarquable évolution. C’est en 1960, à travers les travaux de Barrit et Jordan, que l’héparine et la warfarine deviennent les piliers du traitement de cette affection. Plus récemment, les Hbpm, les algorithmes de probabilité diagnostiques et les moyens diagnostiques non invasifs constituent les principaux acteurs de l’évolution de cette maladie, dont l’incidence est estimée à 0,5 cas pour 1 000 habitants et par an (30 000 nouveaux cas en France par an).
Diagnostic
•Les D-dimères dans le diagnostic de la phlébite.
Les D-dimères sont le produit final de la dégradation de la fibrine sous l’action de la plasmine. Les premières publications sur l’intérêt des D-dimères comme test diagnostique de la phlébite et de l’embolie pulmonaire sont apparues en 1989.
Malgré une sensibilité extrêmement élevée, les hautes concentrations des D-dimères sont insuffisantes pour le diagnostic positif d’une phlébite en raison d’une spécificité médiocre. En effet, de nombreux facteurs, outre la phlébite, pourraient être la cause d’élévation des D-dimères, comme l’âge avancé, l’inflammation, le cancer et la chirurgie. Le dosage des D-dimères s’appuie sur l’utilisation des anticorps monoclonaux. Trois méthodes de dosage des D-dimères sont disponibles. La méthode de l’immunodosage enzymatique (Elisa), la méthode d’agglutination du latex et la méthode de test d’agglutination sur sang total. La première méthode est très sensible mais peu spécifique. La dernière est très spécifique. La sensibilité d’un test pour le diagnostic d’une pathologie aussi grave est déterminante puisqu’un test faux négatif pourrait avoir des conséquences dramatiques et potentiellement fatales, alors qu’un test faux positif est beaucoup moins grave. La valeur prédictive négative de D-dimères est proche de 100 % pour le test à très haute spécificité. Il faut garder dans l’esprit que les D-dimères sont négatifs chez 20 % de patients ayant une très haute probabilité diagnostique. Chez ces patients, il est préférable de privilégier un test à haute sensibilité (1).
L’usage raisonnable des D-dimères dans l’élaboration du diagnostic d’une maladie thromboembolique doit obligatoirement intégrer l’approche de l’algorithme de probabilité clinique de la maladie. Le travail de Wells est d’importance majeure. Cet auteur a démontré que l’intégration des D-dimères permet de faire un diagnostic de phlébite chez des patients se présentant en consultation pour suspicion de cette maladie. Chez les patients à faible risque clinique de phlébite et D-dimères négatifs, le diagnostic de phlébite peut être éliminé sans avoir recours à d’autres examens complémentaires, notamment le Doppler veineux (2).
Durée
•Récidive et durée de traitement par les AVK.
Le taux cumulatif annuel de récidive d’une phlébite idiopathique après l’arrêt des AVK est variable dans la littérature allant de 12 à 27 %. L’augmentation sensible du taux de récidive dans les études récentes est imputable aux moyens diagnostiques plus fiables et plus disponibles (Doppler et D-dimères). Les récidives sont plus fréquentes chez l’homme que chez la femme, 20 % et 6 %, respectivement (3). Un autre facteur déterminant dans la récidive est un taux inadéquat d’anticoagulation pendant la période du traitement. La durée optimale du traitement anticoagulant a été et reste un sujet de controverse. Cela est dû principalement à la variabilité des étiologies des phlébites. A l’exclusion de certaines situations d’hypercoagulabilité nécessitant une anticoagulation au long cours (alitement prolongé, cancer, thrombophilie, maladies de système, etc.), la majorité des médecins proposent à leurs malades un traitement par AVK pendant trois mois à six mois selon la localisation de la phlébite, avec un INR entre 2 et 3. Toutefois, de nombreux travaux ont montré une diminution significative de récidive chez les patients qui poursuivent l’AVK au-delà de cette période. L’une de ces études a été prématurément interrompue puisque le taux de récidive chez les patients ayant arrêté l’AVK a été de l’ordre de 27 % patients/an vs 1,3 % patients/an chez ceux qui ont poursuivi le traitement. Les résultats d’une étude italienne sont plus nuancés, puisqu’ils montrent que la prolongation du traitement par AVK ne fait que retarder la récidive et qu’il est sans impact sur le taux de récidive après l’arrêt du traitement ; s’il est peu surprenant que les récidives soient minimes tant que les patients sont couverts par les AVK, cette couverture n’est pas sans prix. En effet, la poursuite du traitement par les AVK est grevée de 3 % de risque annuel de complications hémorragiques majeures (4).
Récidive
•Marqueurs de récidive.
Pour sortir de ce dilemme, la recherche s’est intéressée à identifier les marqueurs de récidive dont la présence justifie la prise de risque de la poursuite des AVK. Parmi ces marqueurs, on retient :
– l’hyperhomocystéinémie ;
– le taux élevé de facteur VIII ;
– les anticoagulants lupiques ;
– la capacité de génération de la thrombine, un simple test de l’hémostase mesurant le taux de la thrombine. Une étude publiée récemment incluant 914 patients suivis pendant presque quatre ans après l’arrêt du traitement AVK pour embolie pulmonaire (EP) a montré que le taux de récidive était seulement de 6,5 % chez les patients dont le taux de thrombine est inférieure à 400 nmol/min/l et de 20 % chez les patients dont le taux de thrombine était supérieur à 400 nmol/min/l (5).
Les D-dimères retrouvent dans ce champ un nouvel intérêt. A l’arrêt du traitement par les AVK, 15 % des patients ont des D-dimères encore élevés ; ce taux atteint 40 % à un mois de l’arrêt de l’anticoagulant. Palareti (6) a montré qu’un taux normal de D-dimères, à un mois d’arrêt des AVK, a une haute valeur prédictive négative pour la récidive de la phlébite, notamment dans les phlébites spontanées. Eichinger (7) a mis en évidence qu’un taux de D-dimères de 250 ng/ml à trois semaines d’arrêt des AVK est associé à un risque nettement plus bas de récidive.
Tout récemment, l’étude PROLONG (8) a inclus 627 malades atteints de phlébite spontanée, traités pendant au moins trois mois par des AVK. Les D-dimères ont été prélevés un mois après l’arrêt du traitement. Parmi ces patients, 63 % avaient des D-dimères normaux, les 37 % restant avaient des D-dimères anormaux. Ceux-ci ont été randomisés en deux groupes, un premier groupe qui a repris les AVK et un second qui a maintenu l’arrêt du traitement. Ces patients ont été suivis pendant neuf à dix-huit mois. Parmi les patients avec D-dimères anormaux qui ont arrêté l’AVK, il y a eu 15 % de récidives, alors que, dans le second groupe avec des D-dimères anormaux ayant repris l’AVK, il y a eu seulement 2,9 % de récidives.
L’esprit de ces différentes études élucide l’importance des D-dimères en tant qu’outil diagnostique, notamment leur valeur prédictive négative et leur rôle pronostique. Des D-dimères positifs à un mois de l’arrêt des AVK lors d’une première phlébite spontanée mettent le praticien devant le choix amer soit d’un arrêt du traitement au prix d’un risque de récidive de 15 %, soit la poursuite du traitement au prix d’un risque hémorragique majeur de 3 %. Cela impose la stratification de deux risques à travers une approche adaptée et personnalisée pour chaque patient.
Références
(1) « The Lancet », 2002 ; 359 : 456-458.
(2) « New England Journal of Medicine », 2003 ; 349 : 1227-1235.
(3) « New England Journal of Medicine », 2004 ; 350 : 2558-2563, Jun 17, 2004.
(4) « New England Journal of Medicine », 1999, vol. 340 : 901-907.
(5) Identification of Patients at Low Risk for Recurrent Venous Thromboembolism by Measuring Thrombin Generation, « Jama », 2006 ; 296 : 397-402.
(6) Palareti, « Circulation », 2003 ; 108 :313.
(7) Eichinger. « Jama », 2003 ; 290 : 1071-1074 .
(8) Palareti. « New England Journal of Medicine », 2006 ; 355 :1780-1789, oct. 26, 2006.
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