DES MILLIERS de spécialistes français en décembre à Barcelone ? Dans un mois, la Conférence nationale des associations de médecins libéraux (Cnamlib, issue des coordinations locales) pourra mesurer l'écho du mouvement d'expatriation « la France sans spécialistes » qu'elle a lancé avec un mot d'ordre qui rappelle évidemment l'opération récente « la France sans chirurgiens », dont le retentissement médiatique avait conduit le gouvernement à intervenir l'été dernier.
La Cnamlib, qui affirme fédérer 5 000 médecins dans une cinquantaine de départements, a en effet appelé l'ensemble des spécialistes libéraux et les cliniques à cesser leur activité du 6 au 12 décembre et à s'exiler quelques jours à Barcelone pour « un grand meeting » sur les conditions d'exercice et d'installation dans les autres pays de l'Union européenne (« le Quotidien » du 21 octobre). Selon l'agence à laquelle la Cnamlib a décidé de faire appel pour organiser cette opération sur le plan médiatique et logistique, « le mouvement monte en puissance » et « 2000 médecins libéraux » auraient déjà confirmé leur inscription, chèque de 380 euros à l'appui. Un chiffre impossible à vérifier. « La Cnamlib est un peu dépassée par la popularité de cette action », se plaît-on à expliquer.
Les 53 000 spécialistes libéraux en exercice auraient désormais été destinataires du courrier les exhortant à cet exode temporaire, ce qui rend optimistes les promoteurs de l'opération.
Dernier épisode en date, le renfort du Syndicat national des psychiatres privés (Snpp) serait, toujours selon la Cnamlib, une nouvelle preuve de la montée en puissance de l'opération. Même si les choses ne sont pas aussi simples. « On ne peut que soutenir les objectifs et la créativité de la Cnamlib, nuance le Dr Jean-Jacques Laboutière, président du Snpp. Mais le rôle d'un syndicat, c'est de maintenir le lien et le dialogue : le mot d'ordre de délocalisation est désespéré et il n'est jamais facile pour un psychiatre d'abandonner son cabinet. » D'autres syndicats catégoriels soutiennent l'opération tout en conservant leur autonomie d'action, comme les ophtalmologistes du Snof, qui ont menacé d'une grève illimitée de l'opération de la cataracte.
Sur le fond, la Cnamlib proteste à la fois contre le renforcement du pouvoir de sanction des caisses via la réforme de l'assurance-maladie et contre le « carcan budgétaire » qui, selon elle, enferme chaque jour davantage la médecine spécialisée libérale. Avec un horizon particulièrement bouché. « Ccam, tarification à l'activité, parcours de soins, contrats de bonne pratique ou autres ne sont que des moyens pour la Sécurité sociale de tenter de limiter son déficit », analyse le Dr Bernard Cristalli, porte-parole national de la Cnamlib.
Aiguillon.
A la veille de l'ouverture des négociations sur la nouvelle convention (l'Union nationale des caisses d'assurance-maladie - Uncam - devrait être installée le 9 novembre avant de fixer très rapidement ses orientations), l'opération « la France sans spécialistes », quelle que soit son issue, accroît la pression sur les partenaires conventionnels. D'autant que nombre d'adhérents et même de cadres de la Cnamlib sont également membres des syndicats représentatifs dont ils contestent volontiers le positionnement trop « timide » ; de leur côté, les responsables syndicaux jouent parfois sur le fil du rasoir à la table des négociations, en utilisant le discours jusqu'au-boutiste des coordinations comme un repoussoir sans ignorer le malaise qui le nourrit et les revendications qui l'accompagnent, comme l'exigence de liberté tarifaire.
Désormais habitués à négocier sous la pression des coordinations, les leaders syndicaux tiennent un discours bien rodé, entre mise en garde aux pouvoirs publics et sérénité des vieux routiers. « L'opération de la Cnamlib révèle un ras-le-bol profond avec, dans certains départements, une base insurrectionnelle, explique le Dr Dinorino Cabrera, président du SML. Cela me conforte dans la stratégie de négociations conventionnelles très rapides : cela a assez duré. » Le Dr Michel Chassang, président de la Csmf, recadre fermement le débat. « Nous avons depuis longtemps un programme, des revendications et une stratégie, tranche-t-il. La représentativité syndicale s'acquiert au fil du temps et se mérite. » Mais lui aussi souligne que « plus le temps passe, plus il sera propice à la surenchère ». A bon entendeur...
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