Lancée au début du mouvement dans quelques départements - la Corse et les départements d'outre-mer - la consigne donnée aux médecins d'appliquer d'autorité aux consultations le tarif de 20 euros aurait pu rester ce qu'elle était : la marque d'un ras-le-bol exprimé en marge des organisations syndicales par quelques jusqu'auboutistes de l'action. La rapidité avec laquelle cette consigne s'est étendue sur une grande partie du territoire a toutefois singulièrement changé la donne et place le gouvernement et les caisses d'assurance-maladie dans l'embarras.
Il est vrai que la réalité de ce mouvement de contestation tarifaire est extrêmement difficile à évaluer. Après avoir refusé de communiquer toute statistique à ce sujet, la Caisse nationale d'assurance-maladie, qui a pourtant diligenté une étude auprès des caisses primaires, concède du bout de lèvres le taux de 10 % de médecins généralistes « environ », sans plus de précisions. Ce qui équivaudrait à 5 000 ou 6 000 praticiens. Un chiffre déjà considérable mais qui serait, selon les coordinations, en deça de la réalité. Certains chiffres, plutôt fantaisistes circulent actuellement sur les forums Internet. Le dernier en date fait état de 30 000 médecins, soit un sur deux. Le Dr Patrick Leroux, président du Comité national de défense des médecins généralistes, créé récemment au sein de la coordination nationale, tempère un peu ces allégations : « Les chiffres sont difficilement contrôlables. D'autant qu'ils doivent varier de jour en jour. Il suffit localement qu'une coordination s'organise et donne la consigne pour qu'aussitôt ce soit une dizaine, voire une centaine de médecins qui basculent. Ce qui est sûr, c'est que le phénomène fait tache d'huile. On est désormais plus proche à mon avis de 15 000 médecins que de 5 000. »
Le site Internet www.20et30.fr recense en tout cas les zones géographiques où la consigne a été donnée. La carte recoupe évidemment celles où les coordinations sont localement les plus structurées : la Bretagne, la Manche, le Calvados, la Mayenne, le Nord - Pas-de-Calais, la vallée du Rhône, la Côte d'Azur et bien sûr la Corse, précurseur dans ce domaine, et où 70 % des généralistes appliqueraient le C à 20 euros.
Ce qui complique la donne, c'est que les médecins qui suivent cette consigne ne le font pas systématiquement pour tous les actes.
« Nous pratiquons le C à 20 euros, en général en plein accord avec le patient. Une affichette les prévient dans la salle d'attente, on en discute avec eux. S'ils ont des difficultés à l'accepter, on pratique le tarif conventionnel. Mais dans l'ensemble les patients comprennent et nous soutiennent en espérant que ça durera le moins longtemps possible. On ne les prend en aucun cas en otage », explique le Dr Richard Sion, médecin généraliste dans le Nord.
En effet, les responsables des coordinations ne veulent surtout pas laisser penser que leurs revendications sont uniquement d'ordre tarifaire. « Le C à 20 euros et le V à 30 euros sont simplement un moyen supplémentaire de se faire entendre. C'est un appel à la renégociation de l'accord signé avec MG-France qui est rejeté par les médecins généralistes. Mais ce que l'on veut surtout, c'est travailler mieux et moins », explique l'un d'eux.
Un moyen de pression qui, pour l'instant, n'a pas fait la preuve de son efficacité puisque le gouvernement et les caisses ont plutôt adopté un profil bas en espérant l'enlisement du conflit.
Ils n'en demeurent pas moins inquiets. On affirmait encore récemment dans l'entourage de Bernard Kouchner que la propagation de ce mot d'ordre est plus préoccupante que la grève des gardes dans la mesure où le retour en arrière (c'est-à-dire au tarif de 18,50 euros) sera difficile à négocier. Par ailleurs, les caisses d'assurance-maladie, qui tentent de faire accepter l'accord signé le 24 janvier avec MG-France, ne souhaitent pas entrer dans un conflit ouvert avec le corps médical.
La plupart des directeurs de caisses, répondant en cela à une consigne nationale, ont bien envoyé des courriers type qui rappellent aux médecins leurs obligations conventionnelles et les menacent de suspendre la participation des caisses au financement de leurs cotisations sociales. Mais les CPAM ne sont pas allées plus loin dans la procédure jusqu'à présent.
A l'exception de quelques directeurs de caisses pugnaces qui n'ont pas hésité, comme à Lille, à faire passer des encarts dans les journaux locaux pour mettre en garde la population, la plupart d'entre eux restent attentistes. Aucune sanction n'a été prononcée à ce jour.
D'autant que les médecins des coordinations ont déjà préparé leur riposte. Le premier médecin sanctionné conduirait la plupart d'entre eux à se déconventionner massivement par solidarité. Dans certaines coordinations, cet engagement a fait l'objet d'une charte et les lettres sont déjà prêtes à partir. « Je ne voudrais pas être à la place du directeur de caisse qui serait responsable d'une tel mouvement », explique le Dr Patrick Leroux. A la tête du comité de défense, il se tient prêt à centraliser les informations concernant les médecins menacés et va solliciter des avis juridiques en cas de problème. « L'objectif est que nous n'ayons pas à en venir à ces extrémités qui seraient dommageables pour les deux parties, poursuit-il, mais c'est le refus de renégocier qui nous pousse aujourd'hui à nous mettre hors la loi. »
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