Né en Dordogne en 1881, le Dr Cibrie s’installe en 1906 à Paris, et se lance dans le syndicalisme : d’abord président des médecins de la Seine, il deviendra, en 1930, le premier secrétaire général de la CSMF, défendant avec intransigeance la liberté d’installation et le paiement à l’acte face aux assurances sociales alors en plein développement.
Le Dr Fabrice Noyer, jeune généraliste strasbourgeois auteur de cette thèse menée sous la direction du Pr Christian Bonah, relève d’ailleurs la persistance de l’influence de Cibrie dans le discours syndical actuel, par exemple face au rejet du tiers payant obligatoire.
Droits et devoirs des médecins
Après 1945, Cibrie consacrera une grande part de son activité à la création de l’Association médicale mondiale (World Medical Association, WMA) où il défendra bec et ongle la « spécificité française » face à l’influence croissante du monde anglo saxon sur l’exercice et la pensée médicales. Chargé des relations entre la WMA et les institutions internationales, il sera à l’origine du Code international d’éthique, qui précise dès 1948 les droits et devoirs des médecins, y compris en matière de respect du patient et de secret médical. Cibrie rédigera en 1953, les chapitres du Code sur la recherche médicale, portant notamment sur ses finalités et sur le consentement des personnes qui se prêtent aux expérimentations. Ces points serviront de base à la déclaration d’Helsinki de 1975. Par ailleurs, Cibrie a restauré et officialisé la tradition, alors en désuétude, qui impose la prestation du serment d’Hippocrate aux nouveaux médecins. Il restera président d’honneur de la CSMF jusqu’à son décès, en 1965.
Le portrait du parfait humaniste est toutefois assombri par des attitudes plus discutables, surtout pendant les années 1930 et l’Occupation. Après la grande crise de 1929, la situation économique se dégrade dans toute l’Europe, y compris pour les médecins. Beaucoup de médecins étrangers, notamment des Juifs roumains, vont tenter leur chance en France, suscitant un rejet croissant de la part des médecins français, qui redoutent leur « concurrence » alors qu’ils s’estiment déjà trop nombreux. Cette xénophobie croissante, qui se teinte progressivement d’antisémitisme, amènera la CSMF, sous la houlette de Cibrie, à réclamer des mesures pour limiter puis empêcher, les installations de médecins étrangers en France, en particulier les Juifs allemands qui fuient le nazisme. Plusieurs lois dans ce sens, de plus en plus restrictives, seront adoptées en 1935 et 1938.
Un proche de Pierre Laval
Après 1940, Cibrie soutient la création de l’Ordre des Médecins par le régime de Vichy, mais déplore que les médecins y soient insuffisamment représentés : en 1942, il obtient de Pierre Laval, dont il est très proche, que leur rôle y soit plus affirmé. Laval sera condamné à mort en 1945, une peine que Cibrie tentera de lui éviter en lui fournissant une capsule de cyanure lors d’une visite en prison. Ce geste, qui aurait pu lui valoir de lourdes sanctions, est resté anonyme pendant des décennies, même si quelques soupçons ont plané sur lui. Lors de la préparation de sa thèse, une parente de Cibrie, quasi centenaire, a confirmé au Dr Noyer que c’était bien lui qui avait fourni le poison à Laval. Ce dernier absorba la capsule le matin de son exécution, le 15 octobre, mais fut réanimé in extremis par l’interne de la prison, et fusillé quatre heures plus tard après plusieurs lavages d’estomac.
Homme de paradoxes et de contradictions, à l’image de son époque, Cibrie a mêlé dans sa vie l’universalisme et le racisme étroit, comme il a su associer son amitié à Laval avec une claire germanophobie. « Corporatiste acharné », il a consacré sa vie à la défense exclusive du corps médical, sans jamais adhérer à la moindre organisation politique. « Le personnage n’est pas facile, admet Fabrice Noyer, mais je dois vous avouer qu’après avoir passé deux ans à l’étudier, je n’arrive toujours pas à le trouver antipathique ! ».
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