« OBSERVER, accompagner, suivre. » Le savoir chirurgical passe avant tout de la main du maître à celle de l'élève. Et cette transmission s'appelle le compagnonnage. Cet apprentissage manuel est primordial, pour les « compagnons de la chirurgie », qui se reconnaissent eux-mêmes comme des « artisans ».
Envisager l'enseignement de la chirurgie sans compagnonnage irait même « à l'encontre de la déontologie », insiste le Pr Guy Vallancien, qui préside l'Ecole européenne de chirurgie, qu'il a lui-même mise en place à Paris en mars 2002. « Le compagnonnage va beaucoup plus loin, précise-t-il. Outre le geste,c'est l'indication thérapeutique, apprendre à faire les bons choix. C'est aussi un échange de valeurs. »
Un échange qui semble aller dans les deux sens. « Un élève qui a déjà circulé dans d'autres services peut lui aussi avoir des informations à transmettre », estime un ancien chef de clinique de Lyon. « Du reste, si un professeur est vraiment honnête, son but doit être que l'élève devienne à son tour le référent. »
Ecouter les internes.
Mais si tous les acteurs de la profession accordent la même place au compagnonnage dans la transmission du savoir chirurgical, certains dressent un portrait très sombre de la réalité actuelle. Pour le Dr André Nazac, chirurgien obstétricien à l'Institut mutualiste Montsouris, à Paris, le compagnonnage technique n'existe plus. Son jugement est (presque) sans appel. « C'est à la période cruciale (des stages hospitaliers) qu'il faut faire remonter la crise des vocations. » Si les internes boudent aujourd'hui la chirurgie, c'est faute d'un enseignement de qualité, certes différent d'une région et d'un établissement à l'autre. « Avant, les internes opéraient beaucoup, maintenant ils opèrent de façon moins pointue et moins fréquente et donc doivent s'hyperspécialiser dès l'internat. » Pour l'exprésident de l'Isncca (Intersyndicat national des chefs de clinique assistants), le problème vient d'une nomination non pertinente doublée d'une mauvaise évaluation des enseignants. « On n'a pas centré le rôle des enseignants sur leur qualité d'enseignant et de chirurgien. » Autrement dit, il y aurait de trop nombreux « mauvais professeurs », qui ne laissent pas opérer les débutants. Il y aurait même des chirurgiens qui dissimuleraient tel ou tel geste du regard de l'étudiant derrière leur main.
« Depuis dix-quinze ans, observe le Dr Nazac, on a voulu objectiver les qualités d'un bon professeur, en se concentrant essentiellement sur le nombre de ses publications en anglais, ses titres et diplômes. »
Le futur Dr Nazac a représenté pendant trois ans les internes aux commissions d'agrément de la chirurgie en Ile-de-France. Ces commissions, créées par un décret de 1987, doivent statuer sur le budget alloué aux services susceptibles de recevoir des étudiants. Or « on a mal défini le rôle de ces commissions, estime le Dr Nazac, et surtout on a manqué de courage ». Alors là aussi, il faudrait, selon lui, revoir le mode d'évaluation des services par ces commissions. « A la fin de chaque semestre, un questionnaire anonyme rempli par les internes pourrait être centralisé par la commission de répartition et motiverait sa décision. De même, on pourrait imaginer que tous les cinq ans, les enseignants soient réévalués par des évaluateurs indépendants. » En 1998 déjà, le jeune syndicaliste avait déposé sur le bureau de Philippe Thibault, conseiller technique du ministre de la Santé, un projet de modification du décret de 1987, avec pour modeste ambition de... réorganiser le troisième cycle des études médicales. Courageux et téméraire, il proposait également de dépoussiérer l'ordonnance de 1958 qui organise la nomination des professeurs et des chefs de clinique. « Pourquoi ne pas recruter des enseignants dans le privé ? C'est dommage de s'en priver. Et puis, il faut limiter les nominations des enseignants à cinq ans pour pouvoir réévaluer leurs compétences à rythme régulier et permettre d'éventuels changements d'orientation. »
Laisser-aller.
Moins vindicatif, l'Isnih, l'Intersyndicat national des internes des hôpitaux dénonce toutefois un « laisser-aller » dans la formation des chirurgiens. « Des internes partent dans le privé pour faire des aides opératoires », indique Guillaume Pourcher, premier vice-président de l'Intersyndicat, qui y voit le symptôme de l'insuffisance du compagnonnage au sein de la structure hospitalière.
L'Intersyndicat, représenté au sein du récent Conseil national de la chirurgie (CNC), se réjouit de l'annonce de la création d'une école régionale de chirurgie, qui existe d'ailleurs déjà à Paris. Il s'agirait d'une structure qui engloberait cours théoriques, TP, permettant des dissections, etc. Reste à connaître les modalités de fonctionnement et les échéances concrètes de ces écoles. Le rapport rendu par le CNC au ministère à la mi-septembre ne le précise pas. Les internes de l'Isnih restent néanmoins très déçus que les mesures favorisant les passerelles inter-CHU, notamment via des budgets « sac à dos » (une bourse attribuée à l'étudiant pour tout son cursus, lui permettant de réaliser ses stages dans différents CHU) n'aient été retenues. Ni celles qui soutiendraient la recherche ou encore la revalorisation financière et la reconnaissance du poste d'interne.
En pratique, le compagnonnage fonctionne « tant bien que mal », résume Guillaume Pourcher. Le niveau de l'enseignement de la chirurgie dans notre pays est bon. Il pourrait être excellent.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature