Nouveau coup dur pour les hôpitaux et les cliniques, déjà confrontés au problème de la mise en place des 35 heures et à l'asphyxie financière du secteur. Devant la crainte d'une multiplication des procès que les patients pourraient intenter pour obtenir des indemnisations élevées, les assureurs refusent désormais de couvrir les établissements de santé.
L'objectif serait de contraindre le gouvernement non seulement à modifier la loi sur les droits des malades (voir encadré), mais aussi à corriger en profondeur l'assurance responsabilité civile.
Deux réunions avec la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA) ont eu lieu en août pour envisager ces hypothèses. En attendant que des limites soient apportées à une jurisprudence jugée trop favorable aux patients, nombre d'assureurs maintiennent leur moyen de pression sur les cliniques.
Résultat, selon « le Journal du Dimanche » du 25 août : près de la moitié des établissements publics et privés auraient reçu la résiliation de leurs contrats de responsabilité civile, avec, pour certains, un ultimatum au 1er septembre : l'arrêt de toute activité ou de très fortes augmentations des primes pouvant atteindre « jusqu'à 600 % », selon la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP).
Les cliniques sont les plus touchées : elles font appel à des sociétés d'assurances plutôt qu'à des mutuelles. Or les grandes compagnies d'assurances présentes sur ce marché, les américaines ACE Europe et Saint-Paul, ont décidé de se désengager du secteur. Pour justifier ce choix, Sophie Cotillon, d'ACE Europe, met en cause le contexte législatif défavorable, « qui alourdit considérablement le risque des établissements de soins ». Pour les infections nosocomiales, par exemple, la loi a supprimé l'obligation de résultat pour le médecin. Donc, sauf en cas de faute du praticien, l'établissement est tenu pour seul responsable du sinistre, et doit en assumer pleinement les conséquences financières.
Un contexte social délicat
« D'autre part, ajoute Sophie Cotillon, la loi du 4 mars 2002 (sur le droit des malades et des patients, NDLR) ne nous permet plus de sélectionner ni les risques ni les acteurs à assurer. Désormais, nous sommes censés tout accepter. » Cette obligation d'assurer sans possibilité de maîtriser le risque associé est, de la même façon, difficile à digérer pour Jean-Marc Lamère, de la FFSA.
Toutefois, la nouvelle loi n'explique pas tout. Le contexte social est également en cause, selon Sophie Cotillon. « Le problème du manque de personnel dans les cliniques et hôpitaux, le ras-le-bol des médecins, les revendications des infirmières, les grèves à répétition... Tout cela est très préoccupant, confie-t-elle. On ne souhaite plus assurer un secteur que l'on ne maîtrise plus du tout. »
Pour évaluer l'ampleur du phénomène, la FHP a mené l'enquête cet été auprès de 1 200 cliniques privées. « Sur 500 réponses, 257 établissements sont concernés par une résiliation avant la fin de l'année et sont donc à la recherche d'un nouvel assureur », indique Dominique Dorel, déléguée générale adjointe de la FHP. Pour l'ensemble des raisons citées ci-dessus, le Sou Médical, qui assure 90 cliniques, ne souhaite pas augmenter son activité sur ce secteur. La Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), qui assure 60 % des hôpitaux publics, a reçu 50 demandes de cliniques délaissées par ACE depuis le mois de mai. « Les études de dossiers sont en cours, déclare Benoît Guimbaud. Mais une chose est sûre, la SHAM ne pourra jamais assurer 600 établissements de santé supplémentaires. »
La pression est donc maximale pour les dirigeants de clinique, qui redoutent la fermeture de leur établissement - exigée par la loi - en l'absence de contrat d'assurance. Ainsi ce directeur d'une clinique tourangelle, qui préfère garder le silence et ne souhaite pas être cité par crainte des retombées négatives sur son établissement.
A la clinique Lafargue à Bayonne, le directeur Pierre Lafargue accepte pour sa part de révéler la « situation extrêmement tendue » que traverse sa clinique, au risque de perdre quelques clients alarmés. « Premier coup dur : l'assurance qui nous couvrait depuis quarante ans, en se dégageant totalement du marché des cliniques, nous a laissé tomber l'an dernier. La société Goerling a accepté de prendre la suite, mais à condition de tripler notre prime. Nous avons accepté », se souvient-il avec amertume. Car au mois de juillet, surprise, poursuit-il, « je reçois un courrier de résiliation prenant effet à compter du 1er octobre. J'ai immédiatement écrit à quatre compagnies d'assurances, mais je crains fort de ne recevoir aucune réponse. »
Des contentieux de plus en plus nombreux
Du coup, Pierre Lafargue compte saisir le bureau central de tarification au plus vite, dans l'espoir d'obtenir d'office un contrat d'assurance (voir encadré).
Cette situation de crise, la loi du 4 mars 2002 n'en a été que le facteur déclenchant, estime Yann Bubien, de la Fédération hospitalière de France (FHF, qui représente l'ensemble des hôpitaux publics). Un facteur « qui n'a fait que s'ajouter à l'augmentation exponentielle du nombre de contentieux depuis des années, laquelle concerne tout le monde, y compris les hôpitaux et les praticiens libéraux ». Sur ce dernier point, la SHAM enregistrait en 1997 un nombre plus que doublé de déclarations de sinistres en 8 ans ; en termes de coût des sinistres, la progression était encore plus forte : + 264 %.
Même constat à l'Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP) : entre 1995 et 1999, le montant des indemnisations versées a été multiplié par quatre. La loi du 4 mars 2002 aura de lourdes conséquences pour l'AP-HP. En effet, depuis 1972, les établissements de cette institution ne sont plus assurés. « Concrètement, tous les dommages causés sont payés sur notre budget courant, soit des dépenses moyennes pour ce seul poste de 6 millions d'euros par an, explique Jean-Pierre Carbuccia-Berland, le directeur des affaires juridiques de l'AP-HP. Pour respecter la loi, nous devons nous assurer ; nous avons donc lancé un appel d'offres. Mais cela ne nous arrange pas du tout financièrement, car les marges des assurances sont très élevées. » Cela sans aucun bénéfice avéré pour les patients, puisque les indemnisations leur étaient déjà versées jusqu'à présent.
Tarifs en forte augmentation pour les hôpitaux
L'AP-HP reconnaît cependant, tout comme la FHF, que la situation est relativement moins difficile pour les hôpitaux que pour les cliniques. Pour le moment, rares seraient les hôpitaux concernés par les résiliations de contrats. Mais déjà, la SHAM a annoncé une augmentation de 25 % de ses tarifs en 2003, pour faire face à la mauvaise conjoncture boursière et à l'accroissement des risques.
Les praticiens libéraux sont confrontés au même problème, tient à rappeler le Dr Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats de médecins libéraux (CSMF). Leurs assureurs refusent de reconduire les contrats ou décuplent les primes. Dès le mois de juillet, le Dr Chassang avait tiré la sonnette d'alarme avec chiffres à la clé : les primes d'assurance passent de 200 euros par an pour un généraliste à 15 000 euros pour un gynéco-obstétricien ou un anesthésiste, soit dix fois plus qu'il y a dix ans. « On ne pourra échapper au montant des primes élevé, concède-t-il. Mais, en échange, nous demandons que soit pris en compte ce surcoût dans les tarifs médicaux. » Un point sur lequel il compte bien se battre lors des négociations de la grille tarifaire de la nouvelle convention.
Ce que la loi sur les droits des malades a changé en matière d'assurance
La loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades et la qualité du système de santé, dite loi Kouchner, a précisé les régimes de responsabilité des professionnels de santé et d'indemnisation des victimes d'accidents médicaux (aléas thérapeutiques).
Pour les dommages résultant d'actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins s'applique un régime de responsabilité pour faute, la preuve étant à la charge de la victime. Aucune faute n'est à prouver, en revanche, en cas de contamination transfusionnelle par le VHC (le doute profite au demandeur), d'infection nosocomiale (la loi instaure une responsabilité objective) ou de dommages résultant d'un produit de santé (sans changement avec la situation antérieure).
Second point d'importance : la loi a instauré une assurance obligatoire à double sens. Les professionnels de santé et les établissements sont désormais obligés de contracter une assurance en responsabilité civile professionnelle, les assureurs présents sur le marché de la santé ayant en retour l'obligation de les couvrir.
Afin de faire appliquer cette obligation d'assurer, le bureau central de tarification a été créé par la loi. Or cette institution ne fonctionne pas encore. Un problème pour les cliniques boudées par les assureurs qui doivent de saisir ce bureau pour éviter leur fermeture.
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