AUJOURD’HUI, l’hémo(dia)filtration continue (HFC ou Hdfc) est la méthode de suppléance rénale la plus utilisée dans le monde pour le traitement de l’insuffisance rénale aiguë (IRA) en réanimation, largement devant l’hémodialyse intermittente (HDI). Pour autant, les données comparatives entre HDI et méthodes continues sont longtemps restées peu contributives en raison de problèmes méthodologiques. Des études récentes apportent de bons éléments de comparaison en termes d’efficacité et de tolérance, permettant de dégager des indications préférentielles et de proposer une stratégie d’utilisation de ces différentes méthodes.
Quelle que soit la méthode utilisée (HFC, Hdfc, HDI), il existe trois grands mécanismes physiques qui régissent les échanges à travers la membrane : la convection, la diffusion et l’adsorption. Suivant la méthode utilisée, ces différents mécanismes pourront être associés.
Les techniques d’hémodialyse utilisent la diffusion comme principal mécanisme d’épuration. Elles ont cependant toutes en commun d’utiliser une part de convection (ultrafiltration) en association à la diffusion afin de réaliser une perte liquidienne nécessaire à la gestion de la balance hydrique (appelée usuellement « perte de poids »). Ainsi, ces techniques permettent une gestion quasi indépendante des objectifs métaboliques (épuration spécifique de l’urée, de la créatinine, du potassium ou du phosphore) et volémiques. La méthode de référence reste l’HDI, avec comme évolution récente l’hémodialyse veinoveineuse continue (Cvvhd). Pour mémoire, l’HDI pratiquée en réanimation est différente de celle pratiquée lors des maladies chroniques (les séances sont plus longues, en hypothermie, les bains de dialyse sont plus riches en sodium…).
Les techniques d’hémodiafiltration ont en commun d’utiliser la convection comme principal mécanisme d’épuration, mais aussi de gestion de la perte hydrique en intervenant sur la quantité de liquide réinjectée par rapport à la quantité ultrafiltrée. L’hémodiafiltration est une méthode mixte qui utilise un mécanisme d’épuration diffusif et convectif, où l’échange convectif reste prédominant. Ces dernières, appelées hémofiltrations veino-veineuses (Continuous Veno-Venous Hemofiltration [Cvvh] et Continuous Veno-Venous Hemodiafiltration [Cvvhdf]) représentent les méthodes de choix. Elles prennent le relais des techniques historiquement continues qui étaient artério-veineuses.
De nombreux travaux évaluent et expérimentent des techniques alternatives : convectives, telles l’ultrafiltration continue lente ou Scuf (Slow Continuous Ultrafiltration) et l’hémofiltration à haut volume (Hfhv) ; diffusives, telles la dialyse lente continue ou SCD (Slow Continuous Dialysis), la dialyse prolongée à faible efficacité ou Sled (Sustained Low Efficiency Dialysis) ou encore la dialyse prolongée quotidienne ou EDD (Extended Daily Dialysis) ; ou autres.
Les recommandations pour la prise en charge de l’insuffisance rénale aiguë (IRA) et l’analyse des données de la littérature prenant en compte le critère de jugement combiné « mortalité et récupération de la fonction rénale » ne permettent pas de privilégier une méthode par rapport à une autre. En pratique, le choix repose principalement sur des convictions personnelles et l’expérience de l’équipe.
Au lit du malade, le choix entre HDI et HFC ne se pose que pour les services possédant les deux techniques. En cas de risque hémorragique majeur, il semble licite de préférer l’HDI, qui peut être facilement utilisée sans anticoagulant. Elle semble également préférable chez les patients qui présentent une IRA isolée, sans autre défaillance, avec un certain degré de mobilité ou chez des patients pour lesquels des mobilisations répétées sont nécessaires (examens radiologiques ou pansements itératifs au bloc opératoire). A l’inverse, l’HFC peut être privilégiée chez les patients ayant un oedème cérébral, ou lorsque l’épuration de molécules de taille moyenne est un objectif thérapeutique (rhabdomyolyse, sepsis). Néanmoins, il est important de souligner qu’aucune donnée ne permet de montrer un bénéfice quelconque dans ces choix.
En dehors de l’insuffisance rénale aiguë.
L’EER, en dehors d’une IRA, est souvent utilisée. Les pathologies les plus fréquentes sont l’insuffisance cardiaque congestive, le sepsis, le Sdra, l’insuffisance hépatique et la pancréatite. Dans ces situations, son utilisation est justifiée par le contrôle étroit de la balance hydrosodée et/ou l’épuration de certains médiateurs. Les situations de surcharge hydrosodée peuvent bénéficier des techniques d’EER continue avec une bonne tolérance hémodynamique. La Scuf est la technique de choix pour les patients ayant une insuffisance cardiaque congestive résistante aux diurétiques. En revanche, il semble que des échanges diffusifs seraient souhaitables en cas de troubles métaboliques ou de syndrome urémique
L’Hfhv à balance hydrique nulle en chirurgie cardiaque pédiatrique a montré des effets bénéfiques, telles une réduction du saignement périopératoire et une diminution de la ventilation mécanique postopératoire, qui semblent en rapport avec la baisse du syndrome inflammatoire généralisé induit par la CEC. Aucune étude à ce jour n’a montré de tels résultats chez l’adulte.
Au sein des pathologies inflammatoires, les effets favorables attendus de l’EER reposent sur une modulation de la réaction inflammatoire par élimination des médiateurs impliqués. Il semble que l’HFC conventionnelle à bas volume n’apporte aucun bénéfice au cours du sepsis. A l’heure actuelle, les données cliniques sur l’Hfhv au cours du sepsis sont encourageantes. L’Hfhv est associée à une amélioration du rapport PaO2/FiO2, une diminution de mortalité comparativement au groupe conventionnel (27,5 % contre 55 % ; p < 0,05). Malgré tous ces résultats favorables, la faiblesse méthodologique des études (petits effectifs, études rétrospectives, pas de groupe témoin ou contrôle historique) ne permet pas de conclure. Ainsi, les conférences d’experts récentes ne recommandent pas l’utilisation de l’Hfhv dans le sepsis en l’absence d’IRA, faute de preuves suffisantes. D’autres pathologies inflammatoires pouraient tirer profit de l’HFC comme le syndrome de détresse respiratoire aigu (Sdra). Les deux mécanismes bénéfiques de l’HFC seraient l’élimination de médiateurs de l’inflammation et la réduction de l’eau pulmonaire extravasculaire. En outre, l’hémofiltration induirait une hypothermie susceptible de réduire la production de CO2, ce qui diminuerait le risque de lésions induites par la ventilation. Il n’existe cependant aucune étude contrôlée de qualité chez l’homme.
Le syndrome d’ischémie-reperfusion est une autre situation où les méthodes convectives à haut débit pourraient être intéressantes. Au décours du syndrome de ressuscitation après arrêt cardiaque, un tableau hémodynamique et inflammatoire comparable au sepsis a été décrit. L’utilisation d’une Hfhv (200 ml/kg/h pendant 8 heures) a permis de réduire significativement les décès par choc réfractaire avec un bénéfice sur la survie à six mois.
Les intoxications médicamenteuses sont des indications potentielles lorsque les produits ingérés peuvent être épurés. Les techniques d’HFC offrent deux avantages par rapport à l’HDI conventionnelle : la possibilité d’épurer des médicaments de poids moléculaire (PM) plus élevé et une épuration de meilleure qualité pour les agents à forte fixation tissulaire permettant l’absence d’effet rebond à l’arrêt de la technique et une nette augmentation de la quantité épurée. Il existe cependant très peu d’études comparatives.
Au total, l’ERR confirme son rôle essentiel dans la prise en charge en réanimation. L’HFC se positionne actuellement comme la référence. Pour les situations nouvelles, le niveau de preuve en faveur de l’HFC reste relativement faible et son utilisation ne peut se concevoir qu’en traitement de « sauvetage » après échec du traitement conventionnel bien conduit.
D’après un entretien avec le Dr Carole Ichai, service de réanimation, hôpital Saint-Roch, CHU de Nice.
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