ON EST AUJOURD'HUI bien loin de l'entente cordiale du 24 août 2004, lorsque l'ensemble des syndicats médicaux représentatifs, la Csmf, la FMF (après quelques hésitations cependant), Alliance et le SML, avait paraphé avec le ministre de la Santé de l'époque, Philippe Douste-Blazy, et avec la Cnam, alors présidée par Jean-Marie Spaeth et dirigée par Daniel Lenoir, l'accord sur les chirurgiens privés, portant aussi bien que sur la formation, la rémunération, la permanence des soins et la possibilité de choisir au 30 juin 2005, un nouveau secteur d'exercice.
A l'époque, les chirurgiens, qui menaçaient d'organiser un exil symbolique à Wembley en Angleterre - ce qui avait profondément agacé les plus hautes autorités de l'Etat, qui avaient incité le ministre de la Santé à trouver une solution au conflit -, s'étaient largement félicités de cet accord. « Nous avons enfin les assurances que nous souhaitions », avait même affirmé le Dr Philippe Cuq, chirurgien vasculaire à Toulouse, et porte-parole de l'association Chirurgiens de France.
« Trompés, manipulés »
Un an après, le ton a changé. Le même Philippe Cuq, président de la toute nouvelle Union des chirurgiens de France (Ucdf), regroupement de Chirurgiens de France et de l'Union des chirurgiens français, dénonce un accord, qui dit-il, est resté « lettre morte ».
« Où en est-on, un an après ?, s'insurge-t-il. Au point de départ : les principes, les dispositions de ce texte ne sont pas appliqués. Les revalorisations de 25 % des actes et des tarifs chirurgicaux restent à l'état de promesse. La nouvelle version (V 2) de la Ccam (classification commune des actes médicaux, c'est-à-dire la réforme de la nomenclature, ndlr) qui doit entrer en vigueur très prochainement, ne permettra pas aux chirurgiens d'appliquer ces revalorisations. S'agissant de la permanence des soins, les crédits ne sont toujours pas débloqués par les caisses.Enfin, la possibilité pour les chirurgiens de changer de secteur d'exercice au 30 juin 2005 comme le prévoit le point 9 de l'accord et la mise en place d'un secteur optionnel à la même date, reste une vue de l'esprit. » Pour le Dr Cuq, aucun doute n'est permis : « Les chirurgiens ont été trompés, manipulés. » L'Ucdf, qui revendique déjà plus de 2 500 adhérents, réunit samedi à Paris son premier conseil d'administration qui devrait étudier de près la situation et envisager des actions à engager.
La colère n'est pas moindre du côté de l'Union collégiale des chirurgiens et spécialistes français (Uccsf), branche spécialiste d'Alliance, signataire de l'accord. « C'est un anniversaire qui me reste en travers de la gorge, s'emporte son président, le Dr Jean Gabriel Brun. Nous avons été trahis, trompés. » Le président de l'Uccsf en veut particulièrement à Frédéric Van Roekeghem, alors directeur de cabinet de Philippe Douste-Blazy et aujourd'hui directeur de l'Union nationale des caisses d'assurance-maladie (Uncam) : il aurait, si on l'en croit, mis en avant des promesses qui « n'ont jamais été respectées » ensuite par le gouvernement. Il est clair, ajoute le président de l'Uccsf, que les pouvoirs publics comptent sur le « pourrissement d'un mouvement contestataire pour ne pas mettre en place les mesures qu'ils ont pourtant écrites noir sur blanc dans un document ». Ce faisant, ajoute-il, le gouvernement joue avec le feu. « Dans quelques années, notre génération va partir à la retraite. Qui opérera dans les hôpitaux et les cliniques ? La crise de la vocation est une réalité. Déjà, les établissements publics sont obligés de faire appel à des médecins étrangers pour occuper des postes. Demain, ce sera au tour des cliniques et il n'est pas certain que cela soit suffisant. »
Autre déçu : le Dr Jean-Claude Régi, président de la FMF, qui avait beaucoup hésité il y a un an avant de signer le texte et qui, finalement, l'avait fait avec « la promesse, dit-il, du ministre de la Santé que les chirurgiens pourraient effectivement changer de secteur d'exercice au 30 juin 2005 et aller vers le secteur II ».
« On voit aujourd'hui ce qu'il en est », commente, amer, le président de la FMF qui n'hésite pas à affirmer qu'il « a été berné et, avec lui, tous les chirurgiens qui ont cru en sa parole et en celle du ministre de la Santé ». De même, dit-il, « les revalorisations promises sont un leurre qui a été avancé pour amener les chirurgiens, et notamment leurs représentants, à approuver ce texte et annuler leur mouvement d'exil symbolique en Angleterre ».
Certes, explique le Dr Régi, « il y a des tarifs et des actes qui vont bénéficier de revalorisations intéressantes. Mais il s'agit la plupart du temps d'interventions qui sont loin d'être fréquentes, voire rares. En revanche, celles qui sont le plus souvent pratiquées par les chirurgiens n'ont pas obtenu les mêmes avantages ».
Le cas du secteur optionnel.
Les raisonnements et le ton sont tout autres du côté des deux autres syndicats qui ont signé le texte et paraissent plus proches du gouvernement : la Csmf et le SML. Certes, reconnaît le président du syndicat des médecins libéraux, le Dr Dinorino Cabrera, « tout n'est pas parfait. En particulier, nous avons pris du retard dans les négociations sur la mise en place du secteur optionnel. Mais l'essentiel est acquis : les revalorisations promises il y a un an deviendront réalité dès l'entrée en vigueur de la Ccam ». Et le Dr Cabrera de contester le fait que l'on serait loin des 25 % de hausse des tarifs des chirurgiens inscrits dans l'accord du 24 août 2004. « Le compte est bon », affirme-t-il, tout comme le Dr Jean-François Rey, président de l'Union nationale des médecins spécialistes (Umespe) qui regroupe les spécialistes de la Csmf.
Reste que pour l'un et pour l'autre, il faut maintenant conclure les négociations sur secteur optionnel. « Il faut rattraper le retard », explique le Dr Rey. Pour le Dr Cabrera, il faut associer aux négociations les assurances complémentaires, (comme le prévoit d'ailleurs l'accord de 2004) afin que « les dépassements d'honoraires prévus dans le cadre du secteur optionnel puissent être pris en charge par ces organismes ». D'où la difficulté d'un accord, puisque les assurances complémentaires ne sont pas enthousiastes à l'idée de mettre encore une fois la main au portefeuille. « Et pourtant, il faut aboutir », insiste le Dr Rey. Aujourd'hui, poursuit-il, « 90 % de l'accord d'août 2004 est appliqué, la clause instaurant le secteur optionnel doit l'être aussi ».
On remarquera avec intérêt que l'on n'évoque plus la réouverture éventuelle du secteur II, comme c'était le cas il y a un an, au lendemain de la signature de cet accord. « Aujourd'hui, reconnaît honnêtement le Dr Cabrera,9 l'opinion publique fusillera le gouvernement qui autorisera la réouverture du secteur II. Je le regrette, mais c'est ainsi. »
Il ne fallait pas en faire la promesse, lui répond le Dr Régi qui encourage tous les médecins du secteur I à demander aux caisses leur passage en secteur II. Sans illusion sans doute. Pour le président de la FMF, cela montrera au moins la détermination des médecins et des spécialistes à ne pas baisser les bras. Mais leurs moyens d'action paraissent limités.
D'où l'intérêt porté au premier conseil d'administration de l'Ucdf qui se réunit samedi et devra bien apporter une réponse aux attentes des chirurgiens, dont beaucoup ne se retrouvent pas nécessairement dans les propos des responsables syndicaux, quelle que soit leur tendance.
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