Les chercheurs en ordre de bataille

Publié le 02/07/2003
Article réservé aux abonnés
1276504806F_Img129122.jpg

1276504806F_Img129122.jpg

« Nous ne sommes pas seulement inquiets mais consternés et en colère », s'exclame Michel Weinfeld, directeur de recherche au CNRS et président de la section 7 (Sciences et technologies de l'information) du Comité national de la recherche scientifique. Le ton des débats est donné.

Instance d'évaluation des chercheurs et des activités des laboratoires du CNRS (qui sont, dans la plupart des cas, associés à des laboratoires des universités ou d'autres organismes publics), le Comité national de la recherche scientifique se réunissait cette semaine en session extraordinaire, pour la cinquième fois depuis sa création en 1945. L'heure est à la mobilisation. « Nous ne souhaitons pas seulement nous cantonner dans la défense des moyens, indique Jean Pailhous, le président de la conférence des présidents de section du Comité national. Nous voulons également, à cette occasion, intervenir dans le débat sur les perspectives de la recherche en France pour apporter une contribution démocratique à la définition des enjeux et à la cohérence des moyens mis en œuvre au service de ces enjeux. »
Sans tabou, la communauté scientifique se dit prête à réfléchir sur l'organisation de la recherche et sur son évolution, alors que le ministère de la Recherche a décidé d'engager une concertation sur l'avenir de la recherche française. Cette consultation doit déboucher, à la fin de 2003, sur la présentation d'un Livre blanc de la recherche. « Le ministère de la Recherche engage des consultations de tout niveau sur les perspectives de la recherche et souhaite notre participation, commente Jean Pailhous. Nous la prenons au mot. Nous voulons être une force de proposition vigilante aussi bien sur le long terme que sur le court terme, en amont plutôt qu'en aval. Nous assumons le titre de parlement de la recherche. » Plusieurs propositions « novatrices », seront transmises au ministère cet hiver.
Réfléchir, la chose n'est pourtant pas facile lorsque le climat s'assombrit et que l'on parle, par ouï-dire, de « zéro recrutement en 2004 ». « Deux choses manquent, insiste Jean Pailhous : l'ambition scientifique de l'Etat et les postes. » Selon lui, « il manque, par rapport aux prévisions, 600 postes pour cette année : 400 postes annuels plus 200 par anticipation, pour ne pas avoir à en recruter 1 000 dans cinq ans », lors du départ massif de scientifiques en retraite. « Les politiques ont une totale incompréhension du milieu de la recherche, regrette Henri Audier, directeur de recherche au CNRS. J'ai entendu un député dire qu'il fallait faire en sorte de ne pas gêner les chercheurs. Où est l'ambition politique ? La crise que traversent les scientifiques actuellement va éclater sur les jeunes », prévient-il.
L'édifice scientifique qui, selon un rapport du Comité national d'évaluation de la recherche, donne une production « honorable », semble aujourd'hui battre de l'aile, faute de moyens. Les laboratoires étouffent. Même le conseil d'administration du CNRS, premier établissement de recherche français, exprime « ses très fortes inquiétudes devant la situation actuelle liée au fort différentiel entre autorisations de programme, mises en place dans les laboratoires conformément aux instructions ministérielles, et crédits de paiement, fortement aggravé par la non-disponibilité des subventions des 3e et 4e trimestres de 2002 ».
Le sénateur Jean-Claude Carle a demandé, cette semaine, la création d'une commission d'enquête parlementaire sur le service public de la recherche. Cette commission d'enquête pourrait porter notamment sur l'INSERM, le CNRS et l'Institut Pasteur « afin d'identifier les bonnes pratiques de valorisation de la recherche et les axes d'amélioration ».
En attendant, plusieurs sociétés savantes de physique, biologie, chimie et mathématiques viennent d'adresser au président de la République une lettre ouverte, dans laquelle elles estiment que « la recherche fondamentale française est en danger ». Le lobby naissant de la recherche pourra-t-il être un jour assez puissant pour obtenir, outre des déclarations de bonnes intentions, gain de cause ?

Stéphanie HASENDAHL

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7366