LES CARABINS sont en proie aux doutes. Depuis plusieurs mois, Amandine Brunon, présidente de l'Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf), ne cesse de le répéter : « Les futurs médecins ne savent pas de quoi leur avenir sera fait. »
Réformes à répétition des études médicales, allongement de la durée du résidanat avec le 6e semestre, menaces sur la liberté d'installation et sur leur future qualité de vie... Les étudiants souhaiteraient poursuivre leurs cursus dans une plus grande sérénité. « Dix ans de sacrifices et de contraintes pour être probablement obligés de nous installer où on nous le demandera : c'est décourager les jeunes de se tourner vers la médecine », lâche Olivier Marchand.
Le président de l'Intersyndicale nationale autonome des résidents (Isnar) se demande si la médecine n'est pas en train de perdre son statut de profession libérale. Car les mesures proposées par le ministre de l'Agriculture, Hervé Gaymard, pour inciter les médecins à s'installer dans les déserts médicaux, ne satisfont personne (lire aussi page 8).
Après le concours drastique de première année, l'examen national classant de fin de deuxième cycle qui remplace à partir de cette année l'internat, les étudiants ne veulent pas d'une troisième sélection par l'installation. « La coercition, ça ne marche pas, explique Amandine Brunon. Il serait préférable de faciliter l'installation des médecins sur le long terme en diminuant leurs charges ». Elles ont considérablement augmenté - « 20 % en dix ans pour les médecins généralistes » - et elles vont immanquablement affecter la qualité de vie des futures générations de blouses blanches.
Comment gérer la formation des « renforts »?
Bien sûr, pour faire face aux départs massifs à la retraite de médecins dès 2010 (entre 7 000 et 9 000 par an), le gouvernement a augmenté le numerus clausus (5 600) et porté à 4 400 le nombre de postes ouverts à l'internat pour la rentrée 2004. Mais le mal est fait. Pour les étudiants de troisième cycle, ces hausses sont trop tardives et insuffisantes. « Il faudra attendre dix ans pour que le renfort arrive, et nous devrons faire face, bien avant, à la croissance de la demande médicale liée au vieillissement de la population », analyse Amandine Brunon.
Sur le terrain, l'augmentation des effectifs risque de poser problème : « Les facultés et les CHU n'ont plus les capacités d'accueil nécessaires à une bonne qualité de formation des médecins, ni les enseignants en nombre suffisant. Augmenter le nombre d'étudiants va provoquer un défaut de cours magistraux, d'enseignements dirigés. Les places pour les stages d'enseignements pratiques à l'hôpital vont manquer. » A Lille, Thomas Poumaere, étudiant de 3e année, craint que « la fac ne commence à être "limite" pour accueillir tout le monde. Les externes doivent parfois faire 50 km pour se rendre sur leur terrain de stage. »
Génération sacrifiée.
La réorganisation du deuxième cycle des études médicales est un énième motif d'inquiétude. Le prochain examen national classant (ENC), dont les épreuves se dérouleront pour la première fois cette année, les 14 et 15 juin, font peur à plus d'un candidat. Plus que l'examen en lui-même, l'attribution des postes d'internat pose problème. Le choix de la spécialité et de la ville d'affectation qui dépendra dorénavant du classement national des candidats ainsi que sa procédure restent très flous (voir encadré) : « Après bac + 6, on n'est plus sûr de pouvoir choisir sa spécialité », s'inquiète Olivier Marchand. Les étudiants de sixième année « subissent » depuis trois ans la réforme de la pédagogie du deuxième cycle. « Ils ont l'impression d'appartenir à une génération sacrifiée », résume Amandine Brunon. Certains étudiants de deuxième cycle vivent mal le bouleversement du programme de l'enseignement. « Nous avons beaucoup plus d'heures de cours et nous étudions davantage de cas cliniques pour nous préparer à l'ENC. En 4e année, nous avons un examen tous les mois », relève une étudiante de Saint-Etienne. Pour Thomas Poumaere, « le commun des mortels ne se rend pas compte de la charge de travail que représentent les études de médecine, avec les stages le matin et les cours en enseignements dirigés l'après-midi ».
Quoique très sollicités, les carabins français se déclarent relativement satisfaits de leurs études. Dans un sondage réalisé par le Regroupement des étudiants en médecine, www.remede.org, ils donnent la moyenne à leur faculté: 11,3/20*. Cette note comprend la qualité des cours, la situation géographique de la faculté dans la ville, la qualité des locaux, des équipements techniques et des services annexes et enfin l'efficacité de l'administration.
La femme, avenir de la médecine.
La médecine évolue, les médecins aussi. Deux tiers des étudiants qui entrent en fac de médecine sont des filles, selon une enquête réalisée en 2003 par la direction de la Recherche, des Etudes, de l'Evaluation et des Statistiques (Drees). Et leurs aspirations ne sont pas les mêmes que celles de leurs prédécesseurs : « Les médecins ne veulent plus travailler 70 heures par semaine et sacrifier leur vie de famille. Et ça ne concerne pas que les filles », dit Olivier Marchand. A ce titre, l'internat est considéré par beaucoup comme un briseur de couples. « Avec la procédure de choix nationale, les étudiants vont se retrouver séparés de leur conjoint. Même ceux qui se tourneront vers la médecine générale ne pourront plus choisir leur lieu d'affectation », regrette-t-il. Comment redonner espoir aux étudiants en médecine et envie aux lycéens de se tourner vers les filières médicales ? Les carabins sont en proie aux doutes mais ont une certitude : les études de médecine doivent retrouver une part d'humanité.
Internat : la procédure obscure du choix éclairé
A quelques semaines de l'examen national classant des 14 et 15 juin 2004, la procédure du choix des postes d'internat reste obscure. La demande du « choix éclairé », c'est-à-dire en parfaite connaissance du nombre de postes à pourvoir à l'échelle nationale, n'est toujours pas réglementée dans les textes de loi. Le gouvernement en a accepté le principe mais l'arrêté ministériel paru au « Journal officiel » le 5 février est flou. Il indique que la procédure sera nationale, informatisée, sécurisée et interactive, par discipline d'internat et subdivision géographique. Il précise que tous les étudiants ayant participé aux épreuves nationales classantes sont tenus d'exprimer leurs voeux d'affectation, classés par ordre de priorité décroissante sur un site Internet tenu secret. L'Anemf s'oppose à cette méthode car pendant un mois, après avoir obtenu leurs résultats, les étudiants pourront changer leurs vœux. « Jusqu'au dernier moment, ils ne sauront pas s'ils peuvent accéder à la discipline qu'ils souhaitent », explique Amandine Brunon. L'Anemf réclame que les quelque 3 500 candidats à l'ENC puissent effectuer un « préchoix » avant d'être convoqués en « amphi de garnison » sur un site unique et par groupes de 200 à 250 par demi-journée, pour choisir définitivement leur spécialité et leur lieu d'affectation. La faculté de médecine de Lille s'est déjà portée candidate pour organiser cette procédure. Un arrêté ministériel devrait prochainement préciser le déroulement et le calendrier de la procédure des choix d'affectation.
Quand l'espoir ne tient qu'à un coup de fil
Pour répondre aux questions pratiques ou au désarroi des étudiants, des cellules d'écoute téléphonique ont été mises en place dans les facultés de Poitiers et de Saint-Etienne.
Depuis 1999, la cellule sociale Etulida (Etudiant Solidarité) vient en aide aux étudiants en médecine de la faculté de Saint-Étienne. « Il s'agit essentiellement de P1 (étudiants en première année) qui découvrent l'université ou qui ont échoué aux examens », explique Justine Million, présidente de l'Adems, l'association des étudiants en médecine de Saint-Etienne. Grâce à la mise en place de ce N° Vert*, du lundi au vendredi de 10 heures à 16 heures, les étudiants peuvent obtenir l'aide d'une déléguée de l'Adems pour résoudre un problème pratique : rechercher un logement ou une adresse pour obtenir une bourse ou trouver un job. « Ils s'adressent également à nous pour exposer leurs problèmes financiers ou personnels et nous essayons toujours de ne pas les laisser isolés », raconte Justine Million.
Après le suicide d'un étudiant et d'un professeur de Poitiers, une ligne d'écoute téléphonique a vu le jour en 2001 au sein du comité régional des étudiants en médecine. Destinée initialement à venir en aide aux étudiants en médecine, la ligne Zen** (Zappe tes ennuis avec nous) est aujourd'hui ouverte à tous les étudiants de l'université de Poitiers. Deux bénévoles sont présents de 21 heures à 23 heures du lundi au vendredi. « Les questions les plus fréquentes concernent les problèmes de méthodologie du travail, à une indépendance survenue trop rapidement, ou à une peine de cœur », confie Nicolas Ragot, vice-président de la ligne Zen.
* Etulida à Saint-Etienne : 0800.42.98.47.
** Ligne d'écoute Zen à Poitiers : 0800.101.701.
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