Israël : Kadima remporte une victoire limitée

Les caprices de l’électorat

Publié le 30/03/2006
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TOUT D’ABORD, KADIMA, le parti légué par Ariel Sharon à Ehud Olmert, a remporté une victoire clairement insuffisante : avec 28 sièges à la Knesset, M. Olmert a beoin d’au moins deux alliés pour créer une majorité absolue. Tout le monde pense qu’il s’associera aux travaillistes, lesquels ont remporté 20 sièges, plus que ce que prévoyaient les sondages ; ce qui leur permettra d’insister, par exemple, sur des négociations de paix plutôt que sur des mesures unilatérales.

Autre leçon : la défaite retentissante du Likoud qui n’obtient que onze sièges, alors que les sondages lui en accordaient quatre de plus. Les théoriciens d’un Israël expansionniste sont donc en pleine déroute et le chef du Likoud, Benjamin Netanyahu, ne peut pas nier qu’il a été battu par ses propres idées. Bien que les partis religieux se taillent des parts appréciables du fromage parlementaire, la déroute du Likoud devrait rassurer les Palestiniens, même s’ils prétendent être indifférents à ce qui se passe sur la scène politique israélienne.

Ethnocentrisme.

Fait nouveau : l’inquiétante ascension de l’abstentionnisme (37 %) dans un pays qui, par tradition, se passionne pourtant pour la politique. De plus, l’électorat semble beaucoup moins intéressé par la problématique guerre-paix que par ses problèmes sociaux. L’ethnocentrisme se taille la part du lion : les religieux ont voté religieux, les Russes ont voté russe, les sépharades pour eux-mêmes et les retraités pour le parti des retraités qui a 7 sièges ! Faut-il rire ou pleurer ? S’il y a en Israël de graves problèmes sociaux (23 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté), c’est parce que Netanyahu, quand il était Premier ministre, a procédé à des coupes claires dans les budgets. Avec le slogan « Nous serons tous des retraités », ce qui est une vérité indiscutable, les retraités militent… pour l’augmentation de leurs pensions, tout simplement.

Autre réalité israélienne qui n’a pas cédé aux grandes tourmentes internationales : le scrutin à la proportionnelle intégrale ne permet à aucun mouvement politique de dégager une majorité. D’où le fractionnement persistant de la Knesset, plus tour de Babel que Parlement moderne. Le problème est insoluble : les députés élus refusent de réformer le mode de scrutin de peur d’être les premières victimes de la réforme.

Des idées claires.

Dans ce charivari relatif, la posture de M. Olmert ne manque pas de panache. Jusque pendant le vote, il a répété qu’il entendait mettre la majorité qu’il espérait au service d’un tracé définitif de la frontière orientale d’Israël. Il n’est pas impossible que, en tenant ce discours jusqu’au bout, il se soit aliéné des voix chez les Israéliens qui vivent dans les territoires. Mais il a eu l’honnêteté de dire, avant le vote, ce qu’il allait faire. Il ne peut donc y avoir aucun malentendu : les 48 députés élus chez Kadima et chez les travaillistes ont pour principale mission de désengager Israël de la plus grande partie des territoires.

PERTE DE SENS CIVIQUE, POUVOIR DES PARTIS, SCRUTIN IMOSSIBLE, C'EST LA DEMOCRATIE DANS TOUS SES EXCES

Qu’en pensent les Palestiniens ? Mahmoud Abbas (président de l’Autorité) et ses anciens ministres pressent Israël de revenir à la table de négociations sans expliquer comment ils vont résoudre leur contradiction interne : le Hamas, dont le gouvernement a été intronisé par le Parlement palestinien, répète à l’envi qu’il ne reconnaîtra pas Israël et qu’il ne veut pas négocier.

Si M. Olmert forme un gouvernement, il annoncera de nouvelles évacuations : on pense que, cette fois, 40 000 colons (cinq fois plus qu’à Gaza) sont concernés ; le fameux mur, dont le tracé pourrait être légèrement modifié, servirait à peu près de frontière et les trois grands blocs de colonies ne bougeraient pas. M. Olmert veut une séparation entre les deux peuples pour éviter que les Israéliens gouvernent les Palestiniens, lesquels devront bien se décider à gérer leurs affaires partout où les Israéliens auront disparu.

Bien entendu, ils réclameront les sept à dix pour cent de territoires qui resteront occupés par les implantations juives. M. Olmert a répété mardi, en plein scrutin, qu’il n’était nullement hostile à l’application de la « feuille de route » du Quartette (Europe, Etats-Unis, Russie et ONU), si toutefois il avait un interlocuteur palestinien capable de reconnaître Israël.

Le Hamas au pouvoir devra méditer sur cette situation ; pour le moment, il s’en tient à la phraséologie classique du fanatisme, en prononçant des mots définitifs dans une région où rien n’est jamais définitif et en cultivant ses rapports avec ce sympathique et joyeux partenaire qu’est l’Iran. Franchement, le nouveau Premier ministre palestinien, Ismaïl Haniyeh, nous semble déjà anachronique.

Tâche titanesque.

Le plus probable est que l’histoire va aller plus vite que le pas de tortue du Hamas, que des terres vont être restituées aux Palestiniens, lesquels ne peuvent pas dire à la fois qu’ils veulent négocier et ne veulent pas négocier, alors qu’ils n’ont pas réglé entre eux un problème d’une gravité insigne qui les menace de la guerre civile.

Quant à l’Israël d’après le 28 mars, il a une marque de fabrique, elle s’appelle Sharon ; un travail, tracer une frontière ; une vocation, essayer – une fois encore – de faire la paix ; une nécessité, réduire la pauvreté. Tâche titanesque, si l’on y regarde de près, mais que la dynamique lancée par Sharon rend possible : tous ceux qui ont une dent contre Israël (et ils sont nombreux) sont contraints d’admettre aujourd’hui que, unilatéralement ou pas, Israël quitte la Palestine pour ne plus y revenir. C’est un tournant historique, comme il en est arrivé dans la courte histoire de l’Etat juif : l’expansionnisme, c’est fini ; la nouvelle frontière, c’est le Néguev.

> RICHARD LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7931