Les cancers de la thyroïde sont relativement peu fréquents. En 2000, avec 3 700 nouveaux cas, leur incidence représentait 1,3 % de l'ensemble des tumeurs en France. Cependant, leur augmentation régulière a pu faire craindre un effet de l'accident de Tchernobyl, survenu en 1986. L'étude publiée dans le « BEH » fait le point sur l'évolution depuis 1978 du nombre de ces cancers. Elle porte sur 3 853 cas, retenus à partir des données du registre des cancers thyroïdiens des départements de la Marne et des Ardennes et des registres généraux du Bas-Rhin, du Haut-Rhin, du Calvados, du Doubs, de l'Hérault, de l'Isère et du Tarn. L'ensemble couvre 10 % de la population française et ne concerne que les patients âgés de 15 ans ou plus au moment du diagnostic.
Entre 1978-1982 et 1993-1997, les taux d'incidence standardisés (corrigés de l'effet de l'âge) ont augmenté pour l'ensemble des cancers de la thyroïde (papillaires, vésiculaires et « autres types » : carcinomes indifférenciés ou anaplasiques, carcinomes à petites cellules et médullaires) : de 2,2 (pour 100 000) à 3,8 chez les hommes et de 7 à 14,2 chez les femmes, une élévation respectivement de 70 et de 100 %. Si l'on compare les données de 1980 à celles de 2000, les taux d'incidence sont de 1,2 et 2,2 cas pour 100 000 (soit 381 et 821 nouveaux cas) pour les hommes, 2,7 et 7,5 cas pour 100 000 (soit 953 et 2 890 nouveaux cas) pour les femmes. L'évolution est donc bien exponentielle, mais cette tendance est ancienne et commence pour les personnes nées après 1925. Et, font observer les auteurs, Marc Colonna, Pascale Grosclaude, Laurent Remontet et Claire Schvartz, il n'a pas été observée « d'accélération après 1986 ».
Taux des cancers papillaires multipliés par 3
L'augmentation concerne essentiellement les cancers papillaires dont les taux sont multipliés par 3, chez les hommes et chez les femmes, entre 1978-1982 et 1993-1997. L'incidence des cancers vésiculaires et des « autres types » est, elle, plutôt stable. De plus, leur répartition géographique se caractérise par une forte disparité. « Globalement, l'incidence est plus élevée dans les départements de la Marne et des Ardennes, du Calvados et du Tarn, aussi bien chez les hommes que chez les femmes », notent les auteurs. Si l'on croise l'évolution dans le temps et les données géographiques pour 6 des 9 registres (Marne-Ardennes, Calvados, Doubs, Isère, Bas-Rhin et Tarn), il n'existe, pour les hommes, aucune disparité statistiquement significative. En revanche, les taux moyens de variation annuelle révèlent, pour les femmes, une augmentation plus faible dans les départements du Bas-Rhin et de Marne-Ardennes et plus forte dans le Tarn et le Calvados.
Cette hétérogénéité géographique est, de l'avis même des auteurs, difficile à comprendre, si l'on se réfère aux facteurs de risque environnementaux classiquement évoqués dans la littérature. La carence en iode qui existait jusqu'aux années cinquante dans les zones de montagne éloignées de la mer pourrait expliquer la surincidence dans le Tarn. Mais on devrait la retrouver dans d'autres zones, en particulier dans l'Est de la France. La disparition des zones de carence aurait également dû se traduire par une baisse d'incidence. L'augmentation de la radioactivité ambiante liée aux essais nucléaires n'est pas non plus une hypothèse convaincante. Les effets des rayonnements ionisants ne se faisant sentir qu'après une exposition dans l'enfance, l'effet maximal aurait dû être observé sur les cohortes nées pendant la période 1945-1965. Ce qui n'est pas le cas, puisque l'augmentation touche toutes les cohortes. Quant à « l'effet Tchernobyl », outre le fait qu'il n'existe aucune accélération après 1986, on note que les incidences plus fortes sont plutôt observées dans les départements de l'Ouest de la France, moins exposés au nuage radioactif que ceux de l'Est. Les auteurs précisent que l'étude « n'a pas pour objectif d'analyser l'effet de l'incident de Tchernobyl sur les individus exposés pendant leur enfance ». Même si l'on sait que les cancers de la thyroïde restent très rares chez l'enfant de moins de 15 ans et que l'incidence, dans cette population, n'a pas été plus forte entre 1978 et 1997, l'observation épidémiologique doit cependant être poursuivie, compte tenu d'un temps de latence important.
Pratiques médicales et irradiations
Deux explications concordent avec les données recueillies. La première tient à l'évolution des pratiques médicales et serait à l'origine d'une forte croissance des diagnostics fortuits et des découvertes de tumeurs peu agressives, comme le sont les cancers papillaires. Cette hypothèse est compatible avec une fréquence plus élevée chez les femmes, plus fortes consommatrices de soins et chez qui la prévalence des pathologies bénignes de la thyroïde est plus grande. De même, elle pourrait expliquer les différences géographiques tant les pratiques varient en France, d'une région à l'autre. Mais on manque encore d'indicateurs précis (taux de thyroïdectomie par exemple).
Enfin, l'irradiation à visée thérapeutique (radiothérapie) ou diagnostique (80 % de l'irradiation médicale, même si les doses sont bien moins importantes) pourrait également être mise en cause.
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