Le rôle de l'exposition à des facteurs physico-chimiques en milieu de travail est tel que l'on estime qu'environ la moitié des différences sociales de mortalité par cancer du poumon, par exemple, constatées dans les pays industrialisées, sont expliquées par l'exposition à des facteurs d'origine professionnelle. Ainsi, un ouvrier meurt 3 fois plus de cancer du poumon qu'un cadre. Pourtant, peu de données existent, dans la littérature internationale et française, sur la proportion et le nombre des maladies attribuables à des facteurs professionnels.
Cette carence « est d'autant plus dommageable que ce type de données peut contribuer de façon importante à l'élaboration de priorités de prévention », explique Ellen Imberton (département santé travail de l'Institut de veille sanitaire). De plus, « le problème de la réparation des cancers au titre des maladies professionnelles (MP) est particulièrement préoccupant en France, car il est clair que, pour des raisons mal étudiées, seule une faible fraction des cancers d'origine professionnelle est effectivement indemnisée à ce titre ». L'étude tente d'évaluer l'ampleur du décalage observé entre le nombre de cas de cancers professionnels attendus dans la population masculine et le nombre de cas réellement reconnus au régime général de Sécurité sociale.
Les calculs ont porté sur les cancers du poumon, le mésothéliome pleural, les cancers de la vessie, les cancers du nez et des sinus de la face et les leucémies.
Ils se sont appuyés sur les données d'incidence 1995 publiées par Francim et les données de mortalité 1999 publiées par le CépiDC. Le calcul du risque d'exposition a été estimé par une revue de la littérature, en privilégiant chaque fois l'hypothèse la plus basse.
Amiante, poussières de bois
L'incidence des cancers du poumon (toutes expositions confondues) serait compris entre 2 713 et 6 051 nouveaux cas par an, avec 2 433-5 427 décès. Pourtant, en 1999, seulement 458 ont reçu réparation au titre des MP (soit environ 17 % dans le meilleur des cas).
Parmi ces cancers, entre 1 871 à 3 742 seraient dus spécifiquement à l'amiante. Seulement 438 ont obtenu réparation.
Le Programme national de surveillance du mésothéliome (PNSM) a permis d'obtenir une bonne estimation du nombre de cas survenus en France en 1998 : 550 cas ont été attribués à une exposition professionnelle à l'amiante. « Malgré les efforts consacrés ces dernières années à leur reconnaissance, force est de constater que le nombre de mésothéliomes reconnus au titre des tableaux de MP est encore très inférieur à la réalité, puisqu'il n'y avait en 1999 que 297 cancers de la plèvre réparés au régime général (qui couvre 80 % de la population). »
Les cancers naso-sinusiens dus à l'exposition à la poussière de bois ont une incidence annuelle estimée à 113, alors que seulement 67 ont fait l'objet d'une réparation. Ce cancer est, avec le mésothéliome de la plèvre, le moins mal reconnu, puisque plus de la moitié ont bénéficié d'une indemnisation, même s'il reste insuffisamment indemnisés.
Les leucémies et les tumeurs de la vessie sont, quant à elles, presque toujours méconnues en tant que tumeurs d'origine professionnelle : sur les 625 à 1 110 nouveaux cas de cancers de la vessie attendus, seulement 7 ont été indemnisés (environ 1 %) ; des 112 à 413 leucémies incidentes en 1995, 27 cas (10 %) ont été reconnus (15 pour une exposition au benzène, 11 aux rayonnements ionisants).
« Finalement, note l'auteur de l'étude, il semble que, lorsqu'il s'agit d'un cancer rare et très fortement associé à une nuisance spécifique et bien connue des médecins spécialisés (amiante, poussière de bois), la sous-reconnaissance est moins forte. En revanche, plus un cancer est fréquent et d'étiologie plurifactorielle, moins il arrive que l'origine professionnelle soit prise en compte. »
Peu d'études épidémiologiques ou sociologiques existent pour identifier les points de blocage du système de reconnaissance de MP. Un certain nombre d'hypothèses sont cependant évoquées. Les premières situent le goulot d'étranglement en amont des organismes de Sécurité sociale : mauvaise information ou refus du patient (ou de sa famille), méconnaissance des médecins traitants des étiologies professionnelles et des procédures de déclaration. Les secondes impliquent les procédures elles-mêmes : tableaux trop restrictifs, application trop stricte par les organismes de Sécurité sociale.
Selon certains travaux, notamment les études cas-témoins réalisées dans le département du Rhône de 1993 à 1990, « l'ignorance de l'origine professionnelle potentielle de ces cancers chez les médecins traitants et les patients constitue un obstacle important à la reconnaissance comme maladie professionnelle ». Ces cancers qui surviennent à distance, alors que les personnes ne sont plus en activité, échappent souvent au système d'indemnisation et ne font l'objet d'aucune demande de reconnaissance. Les efforts doivent être poursuivis pour informer les travailleurs, les retraités et les médecins traitants.
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