DE L’ARGENT PUBLIC gâché. En substance, c’est le constat que dresse la CSC à propos des dispendieuses campagnes de prévention financées chaque année par les pouvoirs publics (ministère de la Jeunesse et des Sports, de l’Intérieur, entre autres)*. La CSC en veut pour preuve l’absence de baisse significative du nombre d’accidents. Dans le bilan établi pour la saison 1997-1998 par le Snosm (Système national d’observation de la sécurité en montagne), 42 266 interventions de secours avaient été comptabilisées par les services des pistes, 41 451 personnes avaient été blessées et évacuées et 32 étaient décédées sur le coup. Or, alors que la population des skieurs évaluée par le nombre des passages aux remontées mécaniques reste stable, le bilan établi par le même Snosm pour la saison 2004-2005 fait état de 51 254 interventions de secours, avec 46 073 blessés. La CSC juge ces chiffres «considérables», soulignant les conséquences souvent invalidantes à long terme des accidents, avec une surconsommation médicale qualifiée d’importante.
La CSC est d’autant plus sévère qu’elle-même a été, jusqu’en 2002, chargée des campagnes de prévention ; les post-tests qu’elle avait alors fait réaliser avaient conclu au caractère inopérant des messages de sensibilisation. Le ministère de la Jeunesse et des Sports, désormais à la manoeuvre, n’en poursuit pas moins sur cette même voie, avec des messages très généraux : «Pour que la montagne reste un plaisir...», «Maîtrisez votre vitesse.» Principalement relayés sur quelque 600 panneaux publicitaires disposés au pied des remontées mécaniques, ces campagnes constituent «une goutte d’eau», se désole-t-on à la CSC, où l’on dénonce le gadget prévu pour la saison 2006-2007 : la distribution d’étuis qui contiennent cinq fiches conseils, qualifiées d’hypergénérales.
Contrairement à ces «messages bateau», selon l’expression de l’association des Médecins de montagne, des communications bien ciblées ont fait leurs preuves dans le passé, comme lors de la campagne Inpes (Institut national de prévention et d’éducation pour la santé) 2003-2004 sur le réglage des fixations, facteur de risque connu dans la rupture des ligaments croisés du skieur.
L’absence de prise en compte des réalités accidentogènes est aussi déplorée. Les avalanches ne font pas l’objet de messages spécifiques, alors qu’elles sont à l’origine de neuf accidents mortels sur dix. Quant aux supports, les campagnes officielles privilégient affiches et flyers, sans prêter aucun intérêt aux SMS, à l’Internet ni aux radios locales, des médias pourtant plus économiques et dont le public jeune est friand.
Distorsions entre les recueils d’accidentologie.
L’avis de la CSC comporte en outre un réquisitoire contre le système de collecte des données d’accidentologie. Il observe des distorsions considérables selon les modes de recensement. L’association des Médecins de montagne (MdeM), avec ses 240 omnipraticiens répartis dans la cinquantaine de stations françaises de sports d’hiver, a dénombré, pour la dernière saison, 163 000 blessés consécutifs à la pratique des sports d’hiver, soit plus du triple du chiffre publié par le Snosm. Celui-ci ne comptabilise les accidents que lorsqu’ils nécessitent l’intervention des secours sur piste. Ce système exploite des données limitées (âge, sexe, admission à l’hôpital), alors que MdeM s’efforce de les détailler médicalement, avec des fiches de traumatologie et un logiciel de saisie (EPI 2000).
Autre insuffisance déplorée par la CSC, le bilan fourni par les représentants du Service technique des remontées mécaniques et des transports guidés (Strmtg) ne recense que les effets directs de l’usage d’une installation : la collision entre des personnes qui tentent de s’extraire d’un télésiège et des skieurs qui évoluent à proximité de l’aire de débarquement n’est pas prise en compte, alors que, note la Commission, ce type d’accident est lié à la conception de la remontée mécanique (vitesse de débarquement) ainsi qu’à sa capacité (jusqu’à huit personnes).
Elaborer un nouveau code de la montagne l’hiver.
C’est tout le plan d’organisation de la sécurité sur la neige qui semble à revoir. En l’absence de réglementation nationale et eu égard à l’insuffisance des règles locales, la CSC demande que «soient fixées, par voie législative ou réglementaire, des exigences essentielles relatives à la sécurité des pistes: surveillance de la piste par du personnel qualifié, obligation de pose d’équipements (matelas de protection et autres filets destinés à limiter les conséquences des collisions contre les obstacles naturels et artificiels) ».
Tout est lié : pour élaborer un nouveau code de la montagne l’hiver, des analyses de risques devraient s’appuyer sur des données épidémiologiques détaillées et approfondies.
Parmi les comportements à modifier, les embouteillages viennent en tête, un flux excessif de skieurs représentant un facteur de risques sérieux. Contrairement à ce qui se passe à l’étranger, les stations françaises ne procèdent à aucune régulation, par exemple en interrompant les remontées ou en disposant des patrouilleurs aux points névralgiques. Les comportements dangereux comme les descentes à très grande vitesse et toutes les évolutions à haut risque ne sont pas davantage interdits, ni sanctionnés, alors qu’ils sont connus pour provoquer les accidents les plus dramatiques. Et il en est de même pour les stationnements aberrants, au milieu des pistes, sur les sites de débarquement des télésièges.
La rubrique des infrastructures à revoir n’est pas moins documentée : pistes dûment balisées et sécurisées, mais qui n’en comportent pas moins des intersections redoutables, zones surfréquentées, avec des qualités d’enneigement dégradées, et toutes ces pistes que l’on maintient ouvertes au mépris de l’évolution des conditions météorologiques, au fil des heures de fréquentation (pistes qui deviennent caillouteuses ou qui se gorgent d’eau le soir, mais qui restent ouvertes parce qu’elles représentent l’unique voie pour regagner la station).
A la racine de ces dysfonctionnements structurels et de ces problèmes de comportement, la CSC constate «l’absence d’indépendance, dans la plupart des stations, des responsables de la sécurité des pistes par rapport aux sociétés d’exploitation des remontées mécaniques. Dans 80% des cas, en effet, le maire concède l’exploitation des pistes à l’entreprise qui exploite le réseau des remontées. Le concessionnaire prend à sa charge l’aménagement, l’entretien, le balisage et la mise en sécurité, ainsi qu’éventuellement l’apport de neige de culture». Très souvent, pour des raisons de simplicité et d’efficacité, c’est la même entreprise qui va aussi être délégataire du service des secours (les pisteurs conduisent indifféremment les dameuses à chenilles et les traîneaux qui redescendent les blessés vers la station).
Au final, ce sont donc «des entreprises privées soumises à des impératifs autres que la sécurité», qui, profitant de la fragilité des économies de montagne, font la loi et la police.
Depuis plusieurs années, cette situation suscite tensions et débats au sein du comité interministériel où se retrouvent les représentants du ministère de la Jeunesse et des Sports, du ministère de l’Intérieur, des maires et des élus des stations, de la CSC et de l’association des Médecins de montagne. Au ministère de la Jeunesse et des Sports, on se borne à annoncer le lancement de la campagne de prévention 2006-2007 pour le 11 décembre prochain, sans toutefois l’habituelle conférence de presse.
Chargée de mission à MdeM, Virginie Pidou, tout en se défendant de jouer les juges-arbitres, reconnaît que les avis sont «extrêmement partagés» et qu’ils entretiennent une «ambiance très chaude» entre les divers partenaires. Après le déballage de la CSC, l’association s’apprête à publier la semaine prochaine son analyse, avec un dossier qui devrait en particulier militer pour des messages de prévention plus ciblés. Le sempiternel «Pour que la montagne reste un plaisir...» semble au bord de la crevasse.
* Le budget de la campagne 2006-2007 se monte à 160 000 euros.
A consulter : avis relatif à la prévention des accidents de ski, 10/06, sur www.securiteconso.org.
SOS InVS
Pour expliquer les divergences importantes entre les statistiques produites par le Snosm et l’association des médecins de montagne, l’Institut de veille sanitaire a été chargé de conduire une expertise sur les systèmes de recueil de données accidentologiques. «Nous allons nous donner les moyens d’éclaircir les données», explique au « Quotidien » le Dr Bertrand Thélot, responsable de l’unité traumatismes de l’InVS, qui a signé une convention à ce sujet en août dernier.
Les conclusions devraient être rendues publiques courant 2007 et une étude similaire pourrait être engagée dans la foulée sur les accidents de montagne estivaux. «En tout état de cause, souligne l’épidémiologiste, en publiant son avis, la Commission de sécurité des consommateurs joue son rôle d’aiguillon, de même que nous assumons quant à nous notre mission d’expertise, l’un et l’autre avec la même volonté de faire avancer la question de la sécurité.»
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature