« Nous remercions les donneurs de corps, sans lesquels cette exposition ne serait pas possible » : l'exposition, c'est celle du Dr Gunther von Hagens, « Körperwelten, la fascination de l'authentique », qui, après le Japon, la Suisse, l'Autriche et l'Allemagne, est présentée à Bruxelles jusqu'au 24 février. Une exposition de corps humains conservés par « plastination », procédé inventé par von Hagens, qui se veut anatomiste avant d'être artiste mais ne déteste pas relever de la critique d'art et être par exemple comparé à Josef Beuys (et pas seulement pour le chapeau qui est une de ses coquetteries).
Curieux personnage que ce « caméléon germano-allemand », ainsi qu'il se définit lui-même. Ses études de médecine à Iéna sont interrompues lorsqu'il est arrêté pour avoir distribué des tracts contre l'invasion soviétique en Tchécoslovaquie et tenté de s'enfuir de la RDA. Il peut les reprendre deux ans plus tard à Lübeck, la RFA ayant acheté sa libération comme celle d'autres prisonniers politiques. Il rejoint ensuite l'université de Heidelberg, où il est interne, passe sa thèse puis travaille en tant qu'anatomiste. C'est là qu'au lieu de conserver des cadavres dans le formol, il retire l'eau et la graisse des tissus et les remplit de plastique ; les organes conservent leur plasticité mais sont inodores et peuvent se conserver aussi longtemps qu'on le souhaite. Les étudiants en médecine sont, paraît-il, enthousiastes. De même que les visiteurs quand, en 1988, à la demande de la caisse maladie AOK de Pforzheim, von Hagens expose quelques plastinats. Et encore plus les Japonais en 1995, quand le médecin, invité par la Société anatomique japonaise, présente ses travaux au National Science Museum de Tokyo.
Démocratiser l'anatomie
Von Hagens, qui a créé en 1994 l'Institut de plastination, va désormais se consacrer aux expositions, parlant de « démocratisation de l'anatomie ». En 1997, Mannheim accueille l'exposition tandis que les critiques se déchaînent. Il est accusé de profanation de cadavres par les Eglises et d'utilisation des corps à des fins commerciales par ses confrères - une demande d'exclusion de la Société anatomique allemande échouera de peu. Succès et polémique vont de pair : tandis que des centaines de milliers de visiteurs se pressent à Mannheim, à Cologne, à Oberhausen, à Berlin, le Dr von Hagens se voit traité de nazi et comparé au sinistre Dr Mengele ou encore à Frankenstein.
A ses détracteurs, il oppose l'intérêt de la plastination pour l'enseignement de la médecine et « l'éducation médicale générale de la population ». Et il cite les réflexions de ceux qui ont fait don de leur corps dans ce but : « Je trouve les préparations plastinées belles et esthétiques. L'idée de savoir mon corps ainsi "recyclé" m'est agréable, beaucoup plus que de le savoir en train de se désagréger en terre, miné par les vers », écrit l'une ; « Ma vie durant, je n'ai pas souhaité exercer d'autre profession que celle de médecin et m'y suis senti heureux sans restriction aucune. C'est une joie de savoir que, d'une façon ou d'une autre, je continuerai de servir à l'université et à l'enseignement médical », dit un autre, professeur de gynécologie.
L'exposition, qui ira ensuite à Londres puis à Séoul, comprend plus de 200 modèles humains plastinés, corps entiers ou organes disséqués et tranches transparentes. La plupart sont mis en scène, c'est le côté artistique et, pour beaucoup, choquant. Par exemple : un corps entier avec le système musculaire, d'un côté, et le squelette, de l'autre, laissant voir le poumon noirci par le tabac ; un corps entier tenant sa peau ; un « joueur d'échecs » corps entier avec dissection du système nerveux central et périphérique ; un corps tranché verticalement pour faire apparaître les organes ; un torse d'homme avec situs inversus ; un corps en position d'escrimeur ; une « nageuse » coupée en deux ; une femme enceinte allongée avec le ftus bien développé ; et, pièce centrale de l'exposition, « le cheval se cabrant avec cavalier ».
Pour l'instant, les pays latins, dont la France, semblent peu pressés de céder eux aussi à « la fascination de l'authentique ». Mais nul doute que les expériences du Dr von Hagens méritent d'être discutées.
Caves de Cureghem, Abattoirs et Marchés d'Anderlecht, Bruxelles. www.koerperwelten.com.
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