LES TRAVAUX qui ont permis d'analyser les relations entre bêtabloquants et risque de cancer ont donné des résultats disparates. Plusieurs indiquent une réduction du risque (de 20 % à 50 %) ou des décès (de 35 %), mais aussi, quelques essais semblent montrer une augmentation non significative des décès ou de certains cancers chez les patients sous bêtabloquants. Le sujet demeure donc débattu.
Une équipe française (Maurice Algazi et coll.*) apporte ses éléments en publiant, dans la « Revue épidémiologique de santé publique », un travail qui montre une nette réduction de l'incidence des cancers chez les patients sous bêtabloquants. Toutefois, avertissent les auteurs, ces résultats doivent être considérés avec prudence, les biais inhérents à ce type d'étude ne pouvant être exclus : biais de sélection, d'analyse (les facteurs de risque des différents cancers ne peuvent être pris en compte). Et il n'est pas exclu que les indications et contre-indications des bêtabloquants (troubles de la conduction auriculo-ventriculaire, asthme, notion d'un bronchospasme) soient dépendants du risque de cancer.
Plus de 800 patients entre 1962 et 1996.
On a fait ce travail en utilisant des données enregistrées prospectivement sur des patients consultant en cardiologie. Une cohorte de 839 patients (enregistrements entre 1962 et 1996) a été constituée ; il s'agissait d'estimer le risque de survenue d'un cancer chez les sujets traités par bêtabloquants (n = 326) par rapport aux sujets traités par d'autres produits (n = 513), pendant un suivi de neuf ans en moyenne. Les prescriptions de bêtabloquants ont été faites plus fréquemment chez des hypertendus et des coronariens, avant 70 ans, chez des non-fumeurs et des sujets en excès de poids. Les patients prenaient aussi des inhibiteurs calciques dans 28 % des cas et des IEC dans 13 % des cas.
Pendant le suivi, 74 cas de cancer sont survenus : 15 chez les patients sous bêtabloquants et 59 chez les non-exposés. L'analyse portant sur un total de 8 466 personnes-années d'observation, montre un risque relatif de cancer de 0,51 dans le groupe traité par rapport au groupe non traité (RR de 0,44, p = 0,02), avec un effet durée significatif, comme en témoigne une diminution de 6 % par année d'utilisation (p = 0,03). Comme dans la population générale, les cancers les plus fréquents sont ceux de la prostate, du sein, du poumon et du côlon.
On ne décèle pas de lien entre le risque de cancer et le type de pathologie (HTA, insuffisance coronaire...). En revanche, on en trouve un pour l'indice d'obésité : le risque est plus élevé sous bêtabloquant pour un IMC > 30, tandis qu'il reste diminué significativement pour les autres poids. Sous bêtabloquants, le risque ne semble pas différent pour les adénocarcinomes ou les autres types histologiques.
Si, chez les sujets ayant pris des bêtabloquants, la diminution est significative, pour les autres patients, le nombre des cancers observés est très proche de ce qui était attendu.
Des hypothèses.
Le traitement n'ayant pas été attribué par tirage au sort, il n'est pas possible de formuler une interprétation causale de ce résultat, expliquent les auteurs. Tout au plus peut-on avancer des hypothèses. « Une collègue allemande, le Dr Niggeman (université de Witten-Herdecke), nous a confirmé qu'en culture et chez la souris la stimulation des bêta 2-récepteurs majorait la croissance et la diffusion tumorale et que le propranolol l'inhibait complètement », commente le Dr Algazi. Et si l'on considère l'hypothèse d'un lien entre le stress et le cancer, « l'utilisation des bêtabloquants pourrait donc être en mesure de réduire le risque de certains cancers par l'intermédiaire de leurs effets bénéfiques sur le stress. »
M. Algazi, G. Plu-Bureau, A. Flahault, M-G. Dondon, M-G. Lê, « Revue d'épidémiologie de santé publique », 2004, 52 : 53-65.
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