Par le Dr Johann Beaudreuil*
LES LOMBALGIES, très fréquentes dans la population adulte occidentale, sont liées, dans plus de 90 % des cas, à une affection dégénérative lombaire. Elles sont alors qualifiées de communes. Les données épidémiologiques les concernant en font une préoccupation de premier ordre à la croisée de plusieurs disciplines médicales dont la médecine générale, la rhumatologie, la rééducation et la médecine du travail.
Lombalgies : les enjeux.
La prévalence cumulée des lombalgies communes, ou probabilité d’être atteint au cours de la vie, est ainsi estimée entre 60 et 90 % dans les pays industrialisés (3). Elles y constituent l’un des premiers objets de dépense de santé (13). Aux Etats-Unis, par exemple, elles représentent la première cause d’incapacité en milieu professionnel chez les moins de 45 ans et le second motif de consultation médicale (6). L’histoire naturelle des lombalgies communes est de mieux en mieux connue, mais apparaît variable en fonction des critères d’évaluation choisis. Si la majorité d’entre elles est classiquement décrite comme résolutive au cours des deux premiers mois d’évolution, les études prospectives systématiques nuancent cette perspective. Ainsi, 7 % des patients sont toujours en situation d’incapacité professionnelle totale après six mois (21) et plus de 40 % gardent des douleurs d’intensité variable après un an (23,25). Leur probabilité de retour au travail est estimée à 50 % après six mois d’arrêt, 25 % après un an et devient nulle au-delà de deux ans (3).

(Photo Phanie)
Histoire et argumentaire d’une prise en charge multidisciplinaire. Les prises en charge multidisciplinaires des patients lombalgiques apparaissent à partir des années 70 et font suite à la description des programmes structurés de kinésithérapie pour lombalgie (20). Il s’agit d’une période où la problématique du traitement des lombalgies prévalant encore actuellement commence à être appréhendée (2,8). En dépit des thérapeutiques disponibles, une fraction des patients atteints évolue vers la chronicité et cristallise un handicap particulièrement lourd et coûteux à l’échelon individuel et collectif. Le syndrome de déconditionnement. Un syndrome de déconditionnement est alors décrit chez les patients lombalgiques chroniques et présenté comme la raison principale de leur limitation fonctionnelle (14). Il est issu de comparaisons de populations douloureuses depuis plus de quatre mois à des populations indemnes. Ce syndrome associe un déficit de mobilité lombaire, de force musculaire du tronc prédominant sur les extenseurs rachidiens, de capacité au soulèvement de charge et une augmentation des scores d’anxiété et de dépression. Aux prémices du concept multidimensionnel des lombalgies chroniques, il souligne que, ce stade, la douleur n’est pas le seul déterminant du handicap. Le premier programme de restauration fonctionnelle pour lombalgie chronique. Font rapidement écho à la description de ce syndrome, les principes de la restauration fonctionnelle (15). Cette thérapeutique se distinguera des autres modalités rééducatives de part sa cohérence et ses résultats (9). Il s’agit d’une prise en charge intensive dont l’objectif est la réduction du syndrome de déconditionnement et de ses conséquences fonctionnelles. Le premier programme proposé comprend ainsi cent soixante-onze heures de rééducation réparties sur trois semaines et les activités suivantes : renforcement et étirement musculaires, thérapie comportementale avec pour objectif le développement de stratégies d’adaptation, manutention, information et conseils. Il traduit bien l’importance donnée à la dimension physique de la prise en charge. Une progression par paliers préétablis et non remise en cause par la douleur y est proposée. Aux règles de l’économie lombaire prévalant jusqu’alors, sont préférées l’efficacité du geste et la priorité d’une reprise d’activité. Dans une population de près de 200 patients lombalgiques chroniques en arrêt de travail, le suivi de ce programme permit une réduction des différents éléments du syndrome de déconditionnement et un taux d’activité professionnelle durable de 87 % à deux ans (15,16). Cette première étude d’efficacité, non randomisée, n’est certes pas exempte de critiques. Il n’en demeure pas moins que ses résultats encourageants sont très probablement à l’origine de la diffusion et de la déclinaison des principes de la restauration fonctionnelle. Identification de facteurs de risque de chronicité. L’intérêt de ce mode de prise en charge s’est encore vu conforté par la description de facteurs susceptibles d’entretenir la condition des patients lombalgiques : les facteurs de risque de chronicité. Certains d’entre eux, potentiellement réversibles, apparaissent comme autant de cibles thérapeutiques dans une approche multidisciplinaire. Ils ont été identifiés à partir d’études de cohortes de patients lombalgiques inclus dès la phase aiguë (7,22,23). Ces travaux nous apprennent que, outre les caractéristiques initiales de la lombalgie – intensité, étendue, radiculalgie associée –, un certain nombre de conditions professionnelles, comportementales et psychologiques sont associées à la persistance de la lombalgie au-delà de trois mois. Ces conditions ou facteurs peuvent être regroupés sous les item suivants : détresse psychologique, craintes du mouvement, tendance à l’inactivité physique et insatisfaction au travail. La restauration fonctionnelle pour lombalgie chronique en 2006. Les programmes de restauration fonctionnelle proposés actuellement comprennent à des degrés variables, exercices physiques, manutention, thérapies comportementales, psychothérapies, information, conseils, assistance sociale et aide à la réinsertion. Ils gardent pour caractéristiques essentielles, l’intensité du traitement, sa dimension physique et le principe de sa progression. Leur évolution montre en revanche que, outre la réalité du syndrome de déconditionnement, la restauration fonctionnelle a progressivement intégré le caractère multifactoriel des lombalgies et le poids des facteurs de risque de chronicité. En pratique, ces programmes se voient proposés, avant tout, aux patients lombalgiques chroniques en situation de handicap important dont un marqueur robuste est l’arrêt de travail prolongé. Ils sont réalisés en hôpital de jour ou en secteur fermé conventionnel, par petit groupe, à raison de cinq à huit heures de rééducation par jour pendant trois à six semaines.
L’intérêt de cette thérapeutique est maintenant confirmé par les résultats de quatre études randomisées utilisant pour contrôle soit une absence d’intervention expérimentale, soit une rééducation moins intensive (1,4,5,11). Elle y apparaît supérieure à un an en termes de réduction d’incapacité ressentie. Une métaanalyse portant sur l’effet des différentes modalités de prise en charge des lombalgies chroniques fixe à cent heures le seuil nécessaire à l’obtention de cet effet thérapeutique (9). L’impact de la restauration fonctionnelle sur le critère activité professionnelle est, quant à lui, controversé (1,4,5,11,17). Les caractéristiques des populations et des programmes étudiés ainsi que le contexte médico-social général dans lequel ces travaux ont été réalisés pourraient en être des explications (19). Le rôle du contexte national a bien été mis en évidence par l’étude d’une cohorte de plus de 2 000 patients lombalgiques chroniques en arrêt de travail, suivie à travers six pays (10). Le taux d’activité professionnelle à un et deux ans était en effet différent pour chacun d’entre eux, mais cela n’apparaissait pas expliqué par des différences de prise en charge thérapeutique. En France, plusieurs études ouvertes et un essai randomisé attestent de l’intérêt des programmes de restauration fonctionnelle en termes de reprise et de maintien d’activité professionnelle ainsi que de réduction de nombre de jours d’arrêt de travail chez les patients lombalgiques chroniques en situation de handicap lourd (11,12, 18,24). La restauration fonctionnelle pour lombalgie chronique est une prise en charge multidisciplinaire, intensive, ayant pour cibles thérapeutiques le syndrome de déconditionnement observé chez les patients douloureux au long cours et certains facteurs de risque de chronicité psychologiques, comportementaux et professionnels potentiellement réversibles. Elle est proposée dans le but de réduire l’incapacité et le handicap liés à la maladie. Elle vise ainsi l’autonomisation des patients, ce qui pourrait avoir pour conséquence une réduction des coûts, notamment indirects particulièrement pesants, associés aux lombalgies chroniques. Les résultats des études d’interventions confirment l’intérêt des programmes de restauration fonctionnelle pour lombalgie. Ils incitent à proposer ce mode de prise en charge au plus tôt, dès trois mois d’évolution, aux patients lombalgiques chroniques en situation d’incapacité professionnelle.
* Fédération de rhumatologie, hôpital Lariboisière, Paris. (1) Alaranta H et al. « Spine », 1994 ; 12 : 1339-1349.
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