Un sondage publié à la fin de la semaine dernière indiquait que 67 % des Français, contre 51 % auparavant, approuvent l'intervention militaire en Afghanistan.
On peut donc compter 16 % de citoyens qui volent au secours de la victoire. Ce qui démontre que, démocratie ou pas, on ne bâtit pas une politique sur les caprices de l'opinion. Jacques Chirac l'a fort bien compris, dont la détermination à se ranger dans le camp des Américains a été sans failles, et qui glane aujourd'hui les bénéfices des risques qu'il a pris.
On n'en dira pas autant du gouvernement, dont l'engagement était assez vague et feutré pour qu'on n'en fût pas tout à fait sûr. Lionel Jospin a tenté de parler pour toutes les composantes de la gauche plurielle, y compris les voix qui, en son sein, ont dénoncé les bombardements américains, notamment celle de Noël Mamère : on ne fera pas au candidat Vert à la présidence le grief de ratisser large. Il n'a su que dénoncer les victimes civiles, alors que la campagne militaire a été retardée par le « ciblage » systématique des objectifs.
La prudence américaine
Les Américains eux-mêmes, soucieux de maintenir la coalition qu'ils ont organisée au lendemain des attentats du 11 septembre, se sont efforcés de donner un gage à chacun des pays qui se comptaient parmi leurs amis. Ils ont essayé d'éviter toutes les erreurs commises dans les conflits précédents, Koweit ou Kosovo. Mais l'une des erreurs de la guerre du Golfe a consisté à ne pas aller au bout de la campagne, c'est-à-dire jusqu'à Bagdad. Il n'y a donc pas de risque, cette fois, qu'ils quittent l'Afghanistan sans avoir éliminé les réseaux de Ben Laden et sans s'être assurés que les talibans sont exclus du pouvoir.
C'est pourquoi, parmi les conseils amicaux, ils n'ont pas écouté ceux du Pakistan qui réclamaient une composante talibane pour le prochain gouvernement, ni ceux des pays arabes qui souhaitaient une pause des bombardements pendant le ramadan.
On a pu constater que leur refus de céder à ces deux injonctions n'a pas déclenché une révolution dans le monde arabo-musulman. On ne combat pas le terrorisme si on est déjà terrorisé par des mots ou par des différences de culture. L'ambiance qui règne aujourd'hui à Kaboul, en dépit de toutes les prédictions sur des règlements de comptes, des assassinats collectifs, des viols et du pillage, montre qu'un souffle de liberté a ramené la musique, la télévision, une certaine liberté d'expression, dévoilé les femmes et rasé les barbes. Le pire n'est pas toujours sûr.
Et l'argument du ramadan ne valait rien : le nombre de conflits intramusulmans qui se sont poursuivis pendant le mois de ramadan est incalculable. Les Américains n'ont pas honte de se battre pour prévenir de nouveaux attentats ni d'agir selon leur propre culture et en fixant leurs propres règles, pas celles de leurs ennemis. Il faut savoir établir un ordre des priorités, surtout dans une affaire de vie ou de mort.
D'avoir eu raison sur ce conflit depuis deux mois, contrairement à des opinions infiniment plus autorisées que la nôtre et aux doutes sérieux qu'ont nourris les Américains eux-mêmes, ne nous conduit à aucune sorte de triomphalisme ; car les difficultés de l'avenir immédiat sont considérables.
L'Alliance agacée
Les chefs de l'Alliance du Nord sont agacés par l'arrivée des secours humanitaires envoyés de manière un peu anarchique (mais le temps presse) et sans qu'ils aient été consultés. On s'efforce de les amadouer. Ils craignent aussi que trop de militaires appartenant à diverses nationalités n'arrivent sur le terrain : Français, Britanniques et Jordaniens, Allemands et Italiens plus tard débarquent en Afghanistan. Le concours des Nations unies est indispensable pour coordonner des efforts qui n'ont d'ailleurs rien d'offensif mais visent à ouvrir les routes de l'aide internationale et humanitaire. Il ne suffit pas de se débarrasser des talibans, il faut encore que les Afghans voient clairement la différence et admettent que, pour un avenir meilleur, ils ont dû passer par la phase cruelle des bombardements.
Et bien sûr, il ne sera pas facile de créer un gouvernement de coalition, au sein duquel seront représentées toutes les ethnies et qui ne se transforme pas rapidement en foire d'empoigne. L'ONU est donc confrontée à une tâche qui n'est pas moins ardue que celle des Balkans : il n'existe peut-être pas de pays plus balkanisé que l'Afghanistan.
Le terrorisme ne sera pas vaincu quand le dernier des talibans aura été neutralisé et le dernier membre de la Qaïda éliminé. La prévention en Europe et aux Etats-Unis est plus que jamais à l'ordre du jour, ne serait-ce que parce que le niveau de sécurité n'est pas satisfaisant. Il a fallu deux mois pour que le gouvernement de George W. Bush consente à « fédéraliser » la sécurité dans les aéroports américains et les coûts de systèmes infaillibles surveillés par un personnel de qualité sont prohibitifs.
Au crédit des dirigeants américains, on mettra un scepticisme durable qui les a fait douter de leur propre stratégie. Ils sont tout surpris de leurs premiers succès. Mais la bonne attitude consiste à ne pas s'endormir sur ses lauriers.
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