Un bref rappel du contexte théorique
La spécificité des approches familiales systémiques est d'utiliser comme base de travail thérapeutique les interactions des différents membres de la famille entre eux et, avec le thérapeute, pendant la séance. Le thérapeute cherche ainsi à agir moins sur la personne que sur son contexte relationnel, le modèle systémique considérant les individus dans leur environnement.
Dans les années 1950, ce sont les processus de communications dysfonctionnels des familles où existe un patient schizophrène qui constituent les premiers objets d'étude des « pionniers » de la thérapie familiale de l'école de Palo Alto (5, 6, 10). La méthode d'acquisition des connaissances d'alors correspond à la première cybernétique : l'observateur est considéré comme extérieur et neutre par rapport aux interactions observées de la famille, dont il cherche à isoler certaines redondances dysfonctionnelles. Ces études sont fondées sur les théories de la communication (11) et s'inscrivent dans le contexte scientifique et technologique de l'époque : la théorie générale des systèmes, la théorie des types logiques, la cybernétique... La famille est étudiée comme un ensemble d'individus en relation, dont les propriétés ne se résument pas à la somme des propriétés de chacun de ses membres. C'est un système vivant et « ouvert », qui va rencontrer périodiquement des phases de crises induites par des changements d'origine interne (naissance, séparation...) ou externe (licenciement...). Ce système s'y adapte avec plus ou moins de souplesse, évolue en cherchant à conserver une stabilité (ou homéostasie) par différents processus de régulation. Ces processus sont décrits dans une logique de circularité ou d'interactivité, et non plus de causalité linéaire. On ne se pose pas la question du « pourquoi ? », mais du « comment ? ». Ausloos rappelle que « dans une vision circulaire systémique la cause importe moins que l'interaction, qui est au premier plan » (3).
A partir des années 1980
La deuxième cybernétique émerge autour des années 1980 en Europe (10). C'est une méthode d'acquisition des connaissances fondée sur la notion d'une « coconstruction » du problème par le thérapeute et la famille. La description qui en est faite est ainsi à l'interface des discours du système observé et du sujet observant (2). Avec cette approche, le thérapeute abandonne son rôle d'expert, extérieur à son objet d'étude, mais se situe, au contraire, dans une optique de collaboration non hiérarchisée avec la famille. Ses objectifs sont de lui restituer ses compétences et ses capacités autocuratives.
Quelques concepts phares
Cette perspective théorique nouvelle a permis des observations intéressantes de familles comprenant un patient schizophrène qui, bien qu'ayant depuis montré leur absence de caractère spécifique, conservent toute leur pertinence et leur utilité dans le cadre d'interventions thérapeutiques :
- comme pour les autres pathologies, le patient est considéré par certains comme la « porte d'entrée » dans le système thérapeutique (1). Il est porteur des symptômes les plus saillants et aurait une fonction de régulateur homéostatique pour le groupe familial. En concentrant sur lui la souffrance, il focalise les tensions qui se jouent au sein d'une famille pendant une période critique ;
- le double lien décrit pour la première fois par Bateson en 1956 (4) correspond à un paradoxe contraignant et sidérant de communication. Un individu reçoit un message, qui est en même temps contredit par un autre signal (le plus souvent non verbal). Il n'a, en outre, pas la possibilité de se défaire de ce lien généralement vital qui l'unit à l'émetteur du message. Le caractère aliénant de cette communication résiderait surtout dans sa redondance ;
- l'existence de disqualifications semble particulièrement importante. De même, des disconfirmations qui valident moins l'intentionnalité d'un interlocuteur que le contenu du message en lui-même (9). La relation est alors figée dans un évitement de tout conflit, au prix souvent d'une lutte tacite symétrique ;
- la rigidité importante des transactions de la famille (1). Les positions fonctionnelles de chacun ne font que se renforcer réciproquement, au détriment des opportunités de différenciation ;
- les conceptions théoriques plus récentes mettent plutôt l'accent sur le désordre des échanges, qui sont trop « enchevêtrés », mal différenciés, trop fermés aux influences extérieures, avec des limites transgénérationnelles floues (7, 8).
Les applications pratiques de ces conceptions seront exposées dans une seconde partie.
Bibliographie
(1) M. Andolfi, C. Angelo, P. Menghi, A.-M. Nicolo. « La forteresse familiale ». Paris, Editions Bordask,1985.
(2) G. Ausloos. « La compétence des familles. Temps, chaos, processus ». Ramonville Saint-Agne, Editions Erès, 2001.
(3) G. Ausloos. « Expressed émotion, thérapie familiale comportementale et systémique ». « Thérapie familiale » 1993 ; 14 (4) : 395-406.
(4) G. Bateson.« Vers une écologie de l'esprit ». Paris, Editions Seuil, 1980.
(5) M. Bowen. « La différentiation du soi : triangles et systèmes émotifs familiaux ». Paris, Editions ESF, 1996.
(6) J. Miermont. « Dictionnaire des thérapies familiales, théorie et pratiques ». Paris, Editions Payot,1987.
(7) J. Miermont, « Psychothérapies contemporaines ». Paris, Editions L'Harmattan, 2000.
(8) S. Minuchin. « Famille en thérapie ». Ramonville Saint-Agne, Editions Erès, 2001.
(9) M. Selvini-Palazzoli, L. Boscolo, G. Cecchin, G. Prata. « Paradoxe et contre-paradoxe : un nouveau mode thérapeutique face aux familles à transaction schizophrénique ». Paris, Editions ESF, 1978.
(10) C. Villeneuve et A. Toharia. « La thérapie familiale apprivoisée ». Montréal, les Presses universitaires de Montréal, 1997.
(11) P. Watzalwick et al. « Une logique de la communication ». Paris, Editions Points Essais,1979.
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