LA CHAIRE Santé de Sciences Po, dirigée par Didier Tabuteau, a célébré les cinq ans de la loi Kouchner sur les droits des malades du 4 mars 2002 en lui offrant un colloque, dans ses murs parisiens, coorganisé par le Ciss (Collectif interassociatif sur la santé). Parmi les intervenants, le sociologue Henri Bergeron, chargé de recherche au CSO (centre de sociologie des organisations, Cnrs), a évoqué l'influence éventuelle de la loi sur la relation médecin-malade. Or, s'il existe une littérature sociologique assez conséquente sur l'autorité des médecins, l'étude des conséquences de la loi sur le colloque singulier est très limitée.
Un courant sociologique, qui a notamment développé la notion de «décision partagée», a mis en place une typologie des colloques singuliers selon quatre modèles. Le colloque singulier dit «paternaliste», dans lequel le médecin utilise son privilège thérapeutique pour ne divulguer à son patient que les informations qu'il aura sélectionnées. Il décide seul du traitement. Dans cette relation, le patient, fragile, stressé, n'a aucune autonomie. Jugé dépassé par les sociologues, ce type de rapports médecin-malade est désormais, semble-t-il, peu répandu, limité aux cas extrêmes où le consentement éclairé du patient ne peut être obtenu.
Le deuxième type de relation, à l'opposé du premier, est celui où le médecin délivre toute l'information. Il est alors lui-même considéré comme le moyen donné au patient pour exercer sa pleine autonomie. C'est le colloque singulier informatif. Mais ce modèle ne tient pas la route non plus, estiment encore les sociologues, car le médecin ne peut pas accepter de ne jouer que le rôle d'un simple technicien.
Vient ensuite le modèle interprétatif : «Les interactions entre le patient et le médecin ont cette fois pour objectif précis (...) de révéler les valeurs/préférences du patient.» Le modèle délibératif, enfin, très proche du précédent, est décrit comme suit : «Le médecin accompagne le patient dans la découverte et le choix de sa meilleure option thérapeutique mais le médecin va encore plus loin: il l'aide à réfléchir ses valeurs et à mieux les comprendre. Il engage une discussion authentique avec le patient.» Ces deux derniers modèles (interprétatif et délibératif) sont jugés comme positifs puisqu'ils réservent une place active à chacun des deux protagonistes.
Reproduction de stéréotypes.
C'est un constat bien établi : il y a un progressif effritement d'une médecine jusqu'alors extrêmement paternaliste. Ce n'est pas la loi de 2002 qui a déclenché le mouvement, mais elle contribue à le renforcer.
Bonnes pratiques et recommandations, généralisation progressive des procédures d'accréditation, plaidoyer en faveur de l'automédication, diffusion de palmarès qui classent les institutions sanitaires, activisme croissant des associations de malades... Henri Bergeron dresse une liste de paramètres qui ont contribué à limiter l'autonomie de la profession médicale, son autorité.
Le sociologue a tenté de répondre à une autre question : ces postures seraient-elles déterminées par le type de pathologie ? De patients ? De contextes professionnels ?
La réponse est oui. La distinction entre pathologies chronique et aiguë n'est pas sans conséquence sur les relations établies entre le patient et son médecin. Le genre aussi influence. Les femmes seraient par exemple l'objet d'une surprescription de psychotropes «parce que les médecins ont tendance à interpréter la cause de leur mal-être comme endogène tandis que, pour les hommes, elle serait de nature plus manifestement exogène (difficultés professionnelles notamment) ».
Autrement dit, selon les études sociologiques, «le dialogue qui s'établit et l'échange d'informations qui est exigé par la loi n'empêchent guère la reproduction des stéréotypes culturels et sociaux, peu favorables au consentement éclairé et à l'autonomie des patients». Le sociologue note également que «le devoir d'information et l'exigence de consentement éclairé constituent peut-être une moindre “révolution culturelle” pour le généraliste, par comparaison au spécialiste, tant il vrai que les patients sont désormais bien informés sur les pathologies mineures et/ou banales et qu'ils savent, souvent avant même la consultation, ce qu'il convient de faire et ce qu'il leur convient d'avoir». De même, la rencontre avec un médecin de famille, en qui on a la plus haute confiance, rendra «purement formelle la réalisation du consentement et l'affirmation de l'autonomie du patient».
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