LE TEMPS DE LA MEDECINE
Pour Hervé This, physico-chimiste à l'INRA qui travaille au laboratoire de chimie des interactions moléculaires du Collège de France, « le goût est une sensation synthétique globale avant son éventuelle analyse et sa décomposition en plusieurs composantes ».
A quel sens fait-il appel ? A la vue, en premier lieu. Les informations visuelles atteignent de façon immédiate les régions du cerveau qui traitent du goût, de sorte que l'image cérébrale est influencée par ses informations visuelles. La sensation tactile détermine également le goût, mais dans notre culture, l'usage général de couverts nous a fait oublier ce phénomène. Puis lorsque l'aliment est approché de la bouche, nous en percevons l'odeur qui résulte de l'évaporation des molécules initialement présentes dans l'aliment. Plus ces molécules aromatiques sont volatiles, c'est-à-dire faiblement liées à l'eau des aliments, plus elles stimulent en grand nombre les cellules réceptrices du nez. Lorsque l'aliment est en bouche, certaines molécules passent dans la salive, puis se lient à des récepteurs ou à des canaux à la membrane sensorielle d'une papille.
Toutes les molécules sapides n'agissent pas de la même façon. Si les ions hydrogènes (saveur acide) ou les ions sodium (saveur salée) agissent directement sur les canaux des membranes cellulaires et induisent une modification immédiate du potentiel électrique, les composés de saveur sucrée, amère ou autre (type glutamate ou saveur de réglisse) se lient à des récepteurs couplés à des protéines membranaires telles que les protéines G.
Les apports de la physique-chimie
Dans la bouche, l'aliment chauffé et désagrégé par la mastication laisse évaporer d'autres molécules aromatiques dont les liaisons à l'eau et à la phase lipidique se modifient avec ces phénomènes physiologiques. D'autres molécules alimentaires n'agissent qu'à cette phase : c'est le cas par exemple de la capsaïcine du piment qui stimule les cellules sensibles à la douleur et à la chaleur et qui crée la sensation de piquant. Divers capteurs de langue et cellules sensorielles détectent enfin d'autres caractéristiques des aliments : le dur, le mou, le gras, le mouillé, le frais... Ces réactions physiologiques n'ont été découvertes que récemment puisque la première à avoir été étudiée était la sensation de piquant, il y a une vingtaine d'années. Et la découverte du premier récepteur à une molécule sapide ne date que d'avril 2000.
Outre les avancées en matière de physiologie du goût, les années 1990 ont été marquées par le développement de travaux sur la physico-chimie de la gastronomie, appelée encore « gastronomie moléculaire ». « La chimie et la physique, judicieusement employées, nous indiquent en effet comment conserver la tendreté des viandes, comment maîtriser les réactions chimiques qui font le bon goût de la croûte du rôti, comment réussir les mayonnaises, les béarnaises, les hollandaises ou les ravigotes... », explique Hervé This. Le chercheur s'appuie notamment sur l'analyse scientifiques des dictons culinaires et des tours de mains. C'est ainsi qu'il a travaillé sur la cuisson des gnocchis, la fabrication des confitures, la réalisation de la mayonnaise ou des soufflés...
Que feront les cuisiniers de telles découvertes ? Déjà certains chefs, tels que Pierre Gagnière, à Paris, travaillent en collaboration avec Hervé This à une nouvelle écriture de la gastronomie. C'est dans ce cadre que le chercheur a pu développer l'idée d'une concentration des goûts par la réalisation de juxtapositions dans les oppositions : sec/humide, dur/mou (oeuf/mayonnaise, par exemple), cuit/cru, chaud/froid, acide/basique, sucré/salé. Le cuisinier peut aussi jouer de la variation progressive entre les goûts, le gradient. La cuisson des poissons à l'unilatérale est un moyen d'obtenir un dégradé de textures, donc de goûts. On peut aussi faire diffuser des molécules aromatiques ou sapides à partir d'une face d'un aliment, de sorte que la concentration en ces molécules diminue progressivement de la face où elles ont été déposées initialement jusqu'à la face opposée de l'aliment (couverture d'herbe sur un poisson cuit au four, par exemple).
Outre cette juxtaposition spatiale des goûts, les cuisiniers peuvent aussi penser à une juxtaposition temporelle, la perception successive des goûts en raison d'une libération différée dans le temps des molécules aromatiques ou sapides en travaillant sur la texture, les mélanges d'aliments, la présence d'arômes solubles dans l'eau et d'autres solubles dans les graisses...
Hervé This est l'auteur du « Traité élémentaire de cuisine », et de « Casseroles et Eprouvettes », aux éditions Belin.
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