COMMENT LES MÉDECINS seront-ils payés demain ? Sous quel statut ? Quelle place pour la médecine spécialisée libérale ? La convention nationale a-t-elle encore un avenir ou le temps est-il venu de la généralisation de contrats régionaux, souples, renouvelables, « à la carte » ? Toutes ces questions affleurent entre les lignes du rapport iconoclaste intitulé « Quels modes de rémunération pour les chirurgiens ? » (« le Quotidien » du 26 mars) , rédigé par le Pr Guy Vallancien, les Drs François Aubart etPhilippe Cuq, tous trois membres du Conseil national de la chirurgie (CNC). «Conscients d'agir en dérangeant», les auteurs qui représentent les trois secteurs de la chirurgie (PSPH, public, privé) ont au moins le mérite de défricher des sujets sensibles au programme des réformes « santé » de 2008 : expérimentation de nouveaux modes de rémunération, décloisonnement public-privé, mais aussi évolution du système conventionnel et nouvelle gouvernance régionale de la santé.
Après quinze ans d'études, des « CDD précaires »…
Partant du principe que «tous font le même métier», les auteurs recommandent la création d'un «contrat d'exercice global» qui aboutirait à rémunérer de la même façon les chirurgiens du public et du privé via un mode de paiement unifié (part majoritaire à l'activité et part forfaitaire pour les tâches transversales et missions d'intérêt général, gardes, FMC…). Un schéma susceptible d'être étendu à d'autres spécialités. Ces contrats à adhésion individuelle «renouvelables tous les trois ans» seraient gérés directement par les futures agences régionales de santé (ARS) et non plus négociés dans un cadre conventionnel collectif.
Le projet percute l'existant, en ville, mais aussi à l'hôpital. C'est pourquoi il dérange. «Je me prépare d'un côté à la résistance forcenée de certains PH publics qui estiment qu'on fiche en l'air leur statut et de l'autre à une défense épouvantable du statu quo de la part de la CSMF. J'espère que les lignes bougeront… Acceptons au moins de tester le système», se défend par avance le Pr Guy Vallancien .
Selon nos informations, de vifs reproches (sur la méthode comme sur le fond) ont été formulés au sein du Conseil national de la chirurgie (CNC) qui a refusé de valider le rapport (ce qui lui aurait donné plus de poids). Du coup, ce document a été élaboré intuitu personæ par les trois chirurgiens . «Il n'engage que leurs auteurs», minimise la CSMF, dont le « pôle chirurgical » récemment constitué se montre extrêmement critique.
Le syndicat a recensé plusieurs «points négatifs» et même «nocifs». Les contrats individuels renouvelables sont qualifiés de «véritables CDD» qui conduiront à « une dépendance et à une précarité de chaque chirurgien libéral et à une remise en cause de la convention nationale collective». A terme, la «mort inéluctable» de la chirurgie libérale. Pour le Dr Christian Espagno, vice-président de la CSMF, il est «invraisemblable d'aller renégocier son contrat tous les trois ans avec le directeur d'ARS, ce sera le pot de terre contre le pot de fer avec toutes les pressions locales imaginables».
Autre grief : le projet Vallancien aboutirait à saborder un pan entier de la nouvelle nomenclature technique (CCAM basée sur une hiérarchisation des actes discutée pendant des années) pour «s'aventurer» vers des échelles de tarifs chirurgicaux à la carte.
Pour beaucoup, c'est l'absence de réévaluation du coût de la pratique qui est en cause.
Une belle partition, difficile à mettre en musique.
Très réservé, le Dr Jacques Caton, président du Syndicat national des chirurgiens orthopédistes (SNCO), estime que « cette usine à gaz isolerait les chirurgiens des autres spécialités».
Quant au Syndicat des anesthésistes-réanimateurs de France (SNARF), il a lu «avec consternation» le rapport Vallancien qui «oublie» les anesthésistes.
La branche spécialiste de la Fédération des médecins de France (FMF) n'est pas plus enthousiaste. «D'accord pour dire que l'acte chirurgical est sous-payé, explique le Dr Djamel Dib. Mais pas question d'aller contracter avec une ARS, ce serait abandonner touteindépendance.» Au nom du Syndicat des médecins libéraux (SML), le Dr Jacques Meurette est nettement plus ouvert à un rapport jugé «très innovant». «La partition est belle, la mise en musique sera compliquée.» Il salue le «mérite» d'avoir ouvert une réflexion «globale» sur la chirurgie «indispensable car la crise existe dans les hôpitaux et dans le privé». Il apprécie la vision territoriale du projet, l'évaluation systématique des pratiques ou la proposition consistant à confier la prise en charge des primes de responsabilité civile aux ARS.
Par sa volonté d'unifier les contrats public-privé, mais aussi de réfléchir à l'échelon de chaque région, le rapport Vallancien ne manquera pas enfin de susciter des remous chez les représentants des praticiens hospitaliers.
Le Dr Rachel Bocher, présidente de l'INPH, ironise sur «un rapport de plus» et estime déjà que «la préservation de l'indépendance professionnelle, la défense du service public hospitalier exigent un cadre national».
Le rapport Vallancien fossoyeur de l'hôpital public et du statut unique ? D'aucuns en sont convaincus. Les auteurs défendent une «voie d'avenir» en particulier pour la jeune génération de chirurgiens prête à exercer «autrement».
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