Anesthésie pédiatrique

Les attitudes envisageables quand l'abord vein eux est impossible

Publié le 08/10/2008
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PAR LE Pr OLIVIER PAUT*

Si la nécessité d'une voie veineuse pendant l'anesthésie est acceptée par tous, le moment de sa mise en place est variable. Ainsi, contrairement à l'adulte, l'abord vasculaire est le plus souvent réalisé chez l'enfant après l'induction anesthésique qui représente un standard de pratique admis par les anesthésistes pédiatres, car il répond en général à leurs propres souhaits et à ceux des enfants (1, 2). Mais l'expérience de la pédiatrie nous a appris que, parfois, rien n'est plus difficile, chronophage et frustrant que l'obtention d'une voie veineuse (3). Et l'anesthésiste doit se positionner par rapport à cette situation, peu fréquente, mais non exceptionnelle.

En fait, les recommandations de bonne pratique soulignent la nécessité de disposer d'un matériel adapté à la pédiatrie : perfuseur de précision, cathéters de toutes les tailles et dispositif de ponction intraosseuse (4). Aucune précision n'est apportée sur la nécessité d'une voie veineuse, qui peut paraître implicitement évidente, ni sur le moment de sa mise en place.

Anticiper.

Les difficultés d'abord vasculaire peuvent être la plupart du temps anticipées : enfant obèse, enfant porteur d'une maladie chronique et exposé régulièrement à des ponctions vasculaires, hospitalisation prolongée, anomalie cutanée acquise ou congénitale, jeune âge car il existe une augmentation des graisses sous-cutanées entre 2 mois et 2 ans, et, enfin, toutes les causes d'hypovolémie et de déshydratation. Une étude réalisée lors de cathétérisme cardiaque a montré que les difficultés d'accès vasculaire profond étaient corrélées avec le nombre de cathétérismes antérieurs : plus l'enfant avait été piqué précédemment, plus les difficultés de ponction étaient sérieuses (5). Parmi les « petits » moyens disponibles, une bonne connaissance de l'anatomie du réseau veineux est indispensable, de même que la préparation de tous les éléments utiles à la pose. Il est nécessaire de lutter contre le froid afin d'éviter la vasoconstriction. Le réchauffement externe du bras est une technique efficace qui augmente le taux de succès de ponction et réduit la durée de pose (6). Certains ont pu améliorer le taux de succès en utilisant une lumière froide permettant une transillumination du vaisseau.

Les autres techniques d'abord vasculaire périphérique.

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La veine jugulaire externe : souvent volumineuse chez le nourrisson, elle augmente de volume lors des cris, ce qui facilite la ponction. Elle est extrêmement utile chez l'enfant.

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Les veines épicrâniennes : d'une très grande utilité chez le nouveau-né et le nourrisson, elles sont nombreuses et soumises à des variations anatomiques. Le développement de la chevelure et du panicule adipeux rendent leur abord difficile.

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La ponction sous-échographie : récemment, certains auteurs ont rapporté une amélioration du taux de succès de pose de VVP, en utilisant un échoguidage (7). Ces données sont à valider chez l'enfant.

Les alternatives à la voie veineuse périphérique.

L'abord intraosseux a été remis à l'honneur il y a une vingtaine d'années pour sa contribution unique à la prise en charge des urgences vitales de l'enfant. En effet, la vitesse d'apparition des solutés dans le compartiment central est très rapide et les médicaments de l'urgence qui sont injectés produisent les mêmes effets qu'une dose comparable injectée par voie IV. L'abord tibial proximal est le plus utilisé chez l'enfant de moins de 6 ans, l'abord tibial distal étant utilisable à tout âge. Tous les anesthésistes doivent connaître les bases techniques et anatomiques de l'abord intraosseux. Les critères permettant d'affirmer la bonne position de l'aiguille sont la sensation de perte de résistance après le franchissement de la corticale, l'immobilité de l'aiguille, l'aspiration facile de la moelle osseuse et l'injection sans résistance et sans extravasation. Il existe des aiguilles intraosseuses spécifiques et des dispositifs d'aide à la pose ont été développés ces dernières années. Récemment, un dispositif motorisé (EZ-IO) a été utilisé chez dix enfants en situation critique. Dans huit cas, les praticiens ont apprécié la facilité d'utilisation du système, la rapidité de mise en place du trocart dans la cavité médullaire et du montage aiguille-perfusion. La sensation du passage de la corticale, garante de la bonne mise en place de l'aiguille, a été jugée excellente (Farges, SRLF 2007).

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La voie veineuse centrale (VVC) : la mise en place d'une VVC est délicate chez le jeune enfant et nécessite une bonne technique de base, dont les principes ont été détaillés ailleurs. Les trois sites principaux sont la veine jugulaire interne, la veine sous-clavière et la veine fémorale. Les travaux récents dans ce domaine concernent l'utilisation de l'échographie lors de la pose. L'échorepérage permet de visualiser les relations anatomiques de la veine (situation par rapport à l'artère, profondeur) avant la ponction. L'échoguidage consiste à effectuer un repérage premier et à ponctionner en suivant la progression de l'aiguille sur l'écran. Si les bénéfices de ces techniques sont en cours d'évaluation, une métaanalyse récente a montré une réduction significative du nombre de ponctions et des complications pour la voie jugulaire interne (8).

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La dénudation veineuse : plus longue d'accès que la voie intraosseuse, elle n'est plus guère enseignée actuellement chez les anesthésistes.

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La ponction du sinus longitudinal : potentiellement dangereuse, elle a été progressivement abandonnée au bénéfice de la voie intraosseuse.

Les critères de choix.

Les variables qui influencent le choix de l'abord vasculaire sont multiples et n'ont pas fait l'objet d'études spécifiques, probablement car elles ouvrent à de multiples combinaisons et qu'un schéma simple ne peut être élaboré. Parmi les critères qui vont influencer le choix, on peut isoler des facteurs inhérents à l'enfant (le statut ASA, l'existence d'une pathologie chronique ou aiguë), à la chirurgie (durée et lourdeur de l'acte), le risque d'inhalation du contenu gastrique (estomac plein, durée de jeûne) et la nécessité de manipulation des voies aériennes. En conséquence, une approche par scénario semble plus pertinente. Ce type de démarche a fait l'objet d'une enquête de la société suisse d'anesthésie pédiatrique (9). Placé devant deux situations cliniques différentes chez un enfant ayant eu deux échecs de ponction vasculaire, les médecins ont répondu que dans tous les cas ils donnaient une prémédication au midazolam. Ils augmentaient le nombre de ponctions vasculaires en utilisant si besoin les veines épicrâniennes et la jugulaire externe. On peut évoquer un certain nombre de situations auxquelles les praticiens peuvent être confrontés devant un enfant qu'on ne peut pas piquer.

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Scénario 1. Enfant ASA 1, potelé, à jeun et devant bénéficier d'une chirurgie simple sans aucune manipulation des voies aériennes supérieures (VAS) (par exemple, ablation d'un frein de langue, ou aérateurs transtympaniques). Devant l'absence de risque anesthésique, il paraît raisonnable de réaliser ce geste sous anesthésie inhalatoire, sans abord vasculaire.

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Scénario 2. Enfant ASA 1, à jeun et sans risque d'inhalation, devant bénéficier d'un acte de courte durée avec peu de répercussions, mais avec manipulations des voies aériennes supérieures (naevus de la face, adénoïdectomie). Dans ce cas, une induction inhalatoire et l'administration de curare IM pour l'intubation est possible.

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Scénario 3. Enfant ASA 3, chirurgie majeure (oncologique, thoracique, neurochirurgie), à jeun : anesthésie générale inhalatoire ou par kétamine IM, et mise en place d'une voie veineuse centrale en s'aidant si nécessaire de l'échographie.

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Scénario 4. Enfant ASA 3-4, estomac plein, stabilité précaire, complication en cours nécessitant une réanimation avant anesthésie, chirurgie urgente (polytraumatisme avec fractures ouvertes) : mise en place d'un dispositif intraosseux suivi secondairement d'une voie veineuse centrale.

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Scénario 5. Enfant ASA 1, estomac plein, acte chirurgical simple et court (fracture du poignet). Manipulation des voies aériennes : oui. Attendre si possible la vacuité gastrique en prolongeant le jeûne. Puis, induction par kétamine IM ou par inhalation, et mise en place d'une voie veineuse centrale.

D'autres situations sont bien évidemment possibles, chaque cas devant faire l'objet d'une analyse des variables influençant le risque et la prise en charge adaptée.

* Service d'anesthésie-réanimation pédiatrique, hôpital d'enfants de la Timone, et faculté de médecine, université de la Méditerranée, Marseille.
(1) Murat I. Ann Fr Anesth Reanim 1998;17:10.
(2) Duvaldestin P. Ann Fr Anesth Reanim 1998;17:9.
(3) Stovroff M et coll. Pediatr Clin North Am 1998;45(6):1373-93, viii.
(4) Hackel A et coll. Pediatrics 1999; 103(2):512-5.
(5) Celermajer DS et coll. Br Heart J 1993;70(6):554-7.
(6) Lenhardt R et coll. BMJ 2002;325 (7361):409-10.
(7) Costantino TG et coll. Ann Emerg Med 2005;46(5):456-61.
(8) Hind D, Calvert N et coll. BMJ 2003;327(7411):361.
(9) Jordi Ritz EM et coll. Anaesthesist 2005;54(1):8-16.

PAUT Olivier

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8436