C'est l'une des cohérences (ou des contradictions) de la société française : elle n'aime pas ou ne déteste pas les hommes politiques selon leur affiliation, mais selon leur caractère. Par exemple, elle vénère José Bové (voir ci-dessus), mais elle a une affection sans bornes pour Nicolas Sarkozy, dont les convictions sont diamétralement opposées à celles du président de la Confédération paysanne.
Tout le monde sait que M. Sarkozy souhaitait devenir Premier ministre en 2002 et que, s'il n'a été nommé qu'à l'Intérieur, c'est parce qu'il s'est rallié à Edouard Balladur en 1995 et que Jacques Chirac estime qu'il n'a pas fini de payer ce manque de loyauté.
Jean-Pierre Raffarin a été accueilli très favorablement par les Français qui admirent chez lui des qualités indéniables : flexibilité (d'ailleurs de type balladurien), tolérance et recherche acharnée du consensus. L'idée, fameusement giscardienne, de réunir deux Français sur trois. Mais M. Raffarin est réformateur dans l'âme et il a été désigné par le président de la République pour accomplir les réformes que son prédécesseur, Lionel Jospin, a différées. M. Jospin a vu très vite que les réformes de la fonction publique et de l'éducation qu'il a amorcées lui aliénaient l'électorat naturel du Parti socialiste ; il les a donc abandonnées. M. Raffarin est confronté au même problème ; sa popularité et celle du chef de l'Etat ont largement souffert de la réforme des retraites et de l'éducation. Pendant la crise très sérieuse de ces dernières semaines, le Premier ministre n'a cessé de répéter qu'il « comprenait » les manifestants, alors que beaucoup de Français ne comprenaient pas pourquoi les employés de la SNCF et de la RATP faisaient la grève quand leurs « régimes spéciaux » n'étaient pas menacés ; pas plus qu'ils ne comprenaient pourquoi des enseignants empêchaient des élèves de passer leurs examens.
Dans tous les journaux, on associe le nom de Nicolas Sarkozy à une expression galvaudée : la politique est un métier. Quand les enseignants semblaient compromettre l'essentiel, c'est-à-dire la réforme des retraites, M. Raffarin appela M. Sarkozy à la rescousse. Le « dur » de l'Intérieur n'en est pas moins pragmatique ; et s'il est intervenu dans un débat où Luc Ferry, dont la politique n'est pas le métier, commençait à s'abîmer corps et biens, c'est bien parce qu'il a exigé que le gouvernement fît la part des choses.
Aux retraites, il a donc sacrifié la décentralisation de l'enseignement, chère à M. Raffarin, mais que M. Chirac, à la dernière minute, a considérée comme la paille qui brise le dos du chameau : on ne peut pas tout faire en même temps et il faut administrer la réforme à doses filées. Sur ce point, MM. Chirac et Sarkozy ont en commun une qualité, le bon sens, qui leur sert de garde-fou : à quoi bon nourrir une ambition qui est si vaste qu'il n'en sortira rien ?
Il fallait voir, le week-end dernier, MM. Raffarin et Sarkozy assiégés à l'aéroport d'Ajaccio, où ils arrivaient pour défendre le projet de référendum en Corse, par une centaine de trublions. De sa voix douce, le Premier ministre insistait sur le fond, sur les avantages de la consultation, sur le respect que les Corses lui inspiraient. D'une voix de stentor, M. Sarkozy s'en est pris directement aux manifestants qui sabotaient le fonctionnement de la démocratie.
Se posent donc deux questions : la première est de savoir qui gouverne, du Premier ministre ou du ministre de l'Intérieur, qui semble avoir pour mission d'achever le travail commencé par M. Raffarin ; la seconde concerne le fond du problème. Est-ce que ce gouvernement va heurter de front ses adversaires, comme l'a fait Dominique Perben avec José Bové, ou va-t-il, au contraire, continuer à prôner un consensus qui demeure illusoire tant qu'il ne soutient pas l'action du gouvernement ?
Accusé d'indolence il y a quelques mois à peine, M. Raffarin a mis soudain les bouchées doubles. M. Sarkozy, connu pour sa vie trépidante, se hâte lentement. Il prend ce qu'il peut et rétrocède ce qu'il peut. Mais il avance toujours. M. Chirac est assez réaliste pour savoir qu'il a, dans son jeu, une carte infiniment utile pour l'avenir immédiat.
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