Le financement des hôpitaux a donc été totalement modifié par les réformes de 2006. L’État s’est désengagé de leur gestion et de leur gouvernance. Les assureurs privés lui ont succédé en prenant une large place dans le dispositif et la rémunération tant des hôpitaux que des médecins hospitaliers. Avec ces réformes, les établissements sont notamment passés d’un budget fixe, invariable et indépendant des performances de l’établissement (équivalent aux anciens budgets globaux des hôpitaux publics français), à un budget fondé sur la tarification à l’activité et surtout sur des négociations de prix avec les assureurs privés pour une partie de l’activité. Cette partie négociable des soins, appelée segment B et ouverte à la logique de marché, a progressivement augmenté pour atteindre, en 2012, 70 % de l’activité. À côté de ce segment B, les actes du segment A continuent d’être rémunérés selon un montant fixe.
Vers des réseaux de soins intégrés et fermés
Dans la pratique, tous les établissements ont été obligés de passer des contrats avec plusieurs assureurs. En échange de quoi, ces derniers sont en théorie tenus d’orienter leurs assurés vers les établissements en question, constituant ainsi des « réseaux de soins ». Une obligation, qui comme l’explique Pascal Garel, secrétaire général de Hope (European Hospital and Healthcare Federation), a pu conduire à une perte de liberté pour les patients, obligés de se rendre dans tel ou tel établissement en vertu de leur contrat de couverture santé. Cette obligation de constituer des réseaux de soins n’a, pour autant, pas encore complètement porté ses fruits, les assureurs ne respectant pas toutes les dispositions de la loi, par peur, notamment, de perdre des clients ou de ne pas en attirer de nouveaux.
Tous les hôpitaux néerlandais n’ont cependant pas eu à subir ces réformes de la même manière ni selon le même tempo. Les hôpitaux universitaires ont ainsi été longtemps préservés (avec seulement une proportion de 3 % des soins négociables avec les assureurs). Mais la situation va aussi changer pour eux en 2012, ces 8 Academic Medical Centers (AMC) devant désormais également avoir 70 % de leur activité soumis à la négociation. À Amsterdam, l’AMC a choisi de se spécialiser uniquement dans les soins et pathologies complexes et de transférer les autres patients vers les hôpitaux généraux. Mais il va toutefois lui falloir trouver le bon compromis entre soins rentables et soins complexes. « Nous devrons négocier avec les assureurs la prise en charge de ces soins complexes à leur juste prix, souligne Ben Vogels, responsable du développement des marchés à l’AMC. Et ce, dans un contexte de crise qui n’incite pas les compagnies à s’y risquer. » Cette négociation est imminente, mais va prendre du temps puisqu’elle devrait durer deux ans. Ce délai est la conséquence de l’un des objectifs de transparence des réformes de 2005/2006.
Une transparence pas toujours praticable
Cette transparence porte sur le processus et la qualité des soins délivrés. Sans un travail préalable de fond sur ces sujets, les hôpitaux ne peuvent pas signer d’accord avec des assureurs devenus très vigilants. Globalement, cet aspect de la réforme a été jugé positif par les acteurs de terrain, en dépit d’une surcharge de travail administratif pour les médecins, qu’ils exercent à leur compte, comme c’est le cas de la plupart des médecins à l’hôpital, ou qu’ils soient salariés. « Cet exercice a ainsi obligé les établissements à revoir leurs pratiques et leur manière de délivrer des soins, ce qui les a conduits à proposer un meilleur soin au meilleur prix, reconnaît Ben Vogels. Mais pour les soins dits plus lourds, l’exigence de transparence est difficilement praticable, ce qui va justement compliquer les discussions avec les compagnies d’assurances.?
Le risque d’une sélection des malades
Pour Hans Maarse, professeur à l’université de Maastricht, « d’une manière générale, ces nouvelles réformes ont en tout cas rendu les hôpitaux néerlandais plus vulnérables. Ils sont confrontés à la fois à la pression des assureurs qui cherchent toujours le tarif le plus bas et à la pression du grand public, de plus en plus soucieux justement de transparence et de qualité. » « En 2010, relate le professeur dans une note rédigée pour l’Observatoire européen des systèmes et politiques de santé, un assureur avait ainsi publiquement annoncé qu’il allait rompre son contrat avec quatre hôpitaux après avoir décelé des problèmes dans la prise en charge des cancers du sein. » De fait, les assureurs se sont peu à peu engagés dans un mouvement de sélection des établissements avec lesquels ils contractent, délaissant ceux qui ne respectent ni les critères de volume imposés ni les obligations de qualité. Pour les établissements, cela se traduit par une recherche toujours plus poussée de performance avec tous les risques que cela comporte, par exemple en termes de sélection des malades.
Avec la réforme, les hôpitaux ont gagné en autonomie. Le pouvoir politique n’intervient quasiment plus, sauf en cas de problème grave, par exemple lorsqu’un établissement se trouve en faillite ou au cœur d’un scandale sanitaire. Pour le reste, les établissements ont acquis un ensemble de compétences élargies, notamment en matière de politique d’investissement ou de gestion immobilière. Les décisions sont prises entre le conseil d’administration et les représentants de l’équipe médicale, le personnel politique n’interférant plus dans ces discussions.
Le principe de continuité des soins en danger ?
Mais là encore, cette autonomie comporte un risque. Pour le professeur Maarse, « il reste une incertitude sur l’action des pouvoirs publics dont on ne sait justement pas ce qu’ils feraient si un établissement d’une région donnée devait faire faillite ou connaître de grosses difficultés financières. Une question encore sans réponse précise, qui génère un doute sur le principe de continuité des soins ».
Enfin, pour Hans Maarse, les assureurs ont acquis un tel pouvoir sur les hôpitaux en dirigeant les flux de patients qu’ils peuvent se permettre aujourd’hui de peser sur l’organisation de l’offre de soins. Ils peuvent faire pression pour réduire le nombre d’hôpitaux dans certaines zones du territoire ou bien pousser à concentrer certains services médicaux dans un nombre réduit d’établissements. L’État perd ainsi une bonne partie de ses prérogatives en matière de santé publique et d’organisation de l’offre de soins.
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