LOGÉ EN PLEIN « quartier européen », dans un bel immeuble occupé par plusieurs banques, le Comité permanent des médecins européens (Cpme) est le principal représentant des deux millions de médecins vivant dans l'UE. Actuellement présidé par un médecin suédois, le Dr Bernhard Grewin, il réunit les principales organisations médicales de chaque pays, dont l'Ordre pour la France. Sept personnes y travaillent à temps plein, sous la direction d'une secrétaire générale, Lisette Tiddens-Engwirda : cette spécialiste néerlandaise de droit et de politique européenne ne cache pas son titre de « lobbyiste » professionnelle, à l'image de ses collègues représentant d'autres professions auprès de l'UE.
Loin du débat franco-français.
Le débat franco-français sur la Constitution est loin d'être la première préoccupation du Cpme, admet Lisette Tiddens-Engwirda : « Pour moi, le seul effet important de la Constitution, c'est que l'Europe aura plus de pouvoir, notamment en matière de santé, et c'est une bonne chose », dit-elle. L'Europe va constituer une « valeur ajoutée » pour la santé, en favorisant par exemple les échanges et les bonnes pratiques, poursuit-elle, et le fait que la santé devienne un objectif en soi est une bonne nouvelle pour les médecins. Tout en se félicitant de ces avancées, Lisette Tiddens-Engwirda confie que le Cpme aurait aimé aller encore plus loin : « Nous aurions voulu que le droit à la santé et aux soins définisse la nature et la qualité de ces prestations, mais cela empiétait sur les compétences des Etats et, surtout, cela posait des questions budgétaires insolubles. »
Forcé de constater qu'il est impossible, dans l'état actuel des choses, de créer un « système de santé européen et de le gérer à ce niveau », le Cpme estime néanmoins que le renforcement de la politique européenne permettra de « prendre le meilleur de chaque pays ». Si le Cpme souhaite que les Français votent « oui » dimanche prochain, sa secrétaire générale estime que l'Europe ne s'arrêterait pas pour autant de fonctionner dans le cas contraire : « De toutes façons, les grands acquis, comme la libre circulation des professionnels et des patients, ne seraient pas remis en cause », rappelle-t-elle.
D'autres priorités.
Mais le sujet est loin d'être prioritaire au Cpme, qui se préoccupe surtout des directives sur les services, le temps de travail et les reconnaissances professionnelles, grands dossiers du moment pour les médecins. Il vient d'organiser une conférence européenne sur la sécurité des patients et va créer un centre d'excellence sur la qualité des soins. Enfin, le Cpme participe activement au lancement d'une plate-forme européenne sur l'obésité et vient de signer, en tant qu'organisation internationale, la convention de l'OMS sur la lutte contre le tabagisme.
Fondée en 1958, l'Union européenne des médecins spécialistes (Uems) est la doyenne des associations médicales européennes et elle partage ses locaux avec l'association des spécialistes belges. Son secrétaire général est un anatomopathologiste belge, le Dr Bernard Maillet, tandis que son président est un gynécologue finlandais, le Dr Hannu Halila. Pour le directeur des affaires européennes de l'Uems, Frédéric Destrebecq, la Constitution va renforcer la coordination entre les politiques de santé en Europe, mais celles-ci resteront largement nationales : « Les objectifs de rapprochement restent lointains, même s'il est vrai que le rôle de l'Europe dans la santé est de plus en plus important, qu'on le veuille ou non », estime-t-il. Selon l'Uems, la Constitution permettra avant tout de simplifier le fonctionnement de l'Union européenne, et il n'est pas « légitime » d'accuser ce texte de tous les maux, alors qu'il va au contraire faciliter les choses. Et l'Uems rappelle, par ailleurs, que la fameuse directive sur les services, dite Bolkestein, ne se fonde nullement sur la Constitution, mais bien sur les anciennes règles établies par le traité de Nice... Il est donc faux, là aussi, insiste l'organisation, de faire l'amalgame entre la Constitution et ce texte. En cas de rejet du référendum en France, prédit Frédéric Destrebecq, « je crains que l'Europe ne subisse un coup d'arrêt comparable à celui qui avait suivi l'échec de la Communauté européenne de défense en 1954 : il lui faudrait au moins cinq ou dix ans pour s'en remettre, et je ne sais pas si le Benelux ou l'Allemagne attendraient aussi longtemps que la France veuille bien revenir à des sentiments plus europhiles... ».
Mais, loin du tumulte français, l'Uems entend poursuivre avant tout son travail de défense professionnelle des spécialistes, qui passe par des travaux de longue haleine, comme l'accréditation des formations continues : grâce à elle, explique le Dr Maillet, un médecin dont la formation continue se sera déroulée en France pourra la faire valoir en Espagne, en Allemagne ou en Belgique, plutôt que de devoir la repasser, ce qui implique, bien sûr, une validation européenne des contenus. En outre, l'Uems a beaucoup travaillé sur l'harmonisation des formations spécialisées et a proposé récemment une définition commune de l'acte médical, notamment pour les spécialités. De même, elle n'a pas attendu les élargissements successifs de l'Europe pour travailler avec les médecins des pays voisins : la Turquie est membre associé de l'Uems qui veut « aider les médecins turcs à progresser, ce qui contribue aussi à lutter contre l'isolement de leur pays ».
Enfin, outre l'Uems, elle-même divisée en sections de spécialités, les autres grandes catégories de médecins sont aussi représentées au niveau européen, même si toutes ne se trouvent pas physiquement à Bruxelles. Ainsi, le secrétariat de l'Union européenne des médecins omnipraticiens (Uemo) « suit » sa présidence, actuellement détenue par la Suède, et fonctionne donc dans le cadre de l'association des médecins suédois. Les associations européennes de médecins salariés, de médecins hospitaliers et d'internes et de chefs (médecins « juniors ») disposent, elles aussi, de représentants chargés de faire entendre leur voix au sein du concert européen.
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