Dégénérescence maculaire liée à l’âge

Les antiangiogènes arrivent

Publié le 01/02/2006
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PAR LE Dr THOMAS DESMETTRE*

EN FRANCE, quatre molécules antiangiogènes, distribuées par des laboratoires pharmaceutiques différents devraient prochainement être disponibles. Macugen (pegaptanib) bénéficie d’une certaine avance, en raison d’un agrément par la Food and Drug Administration depuis décembre 2004 et d’une utilisation en pratique clinique aux Etats-Unis. Mais les autres molécules sont très prometteuses et leurs indications respectives seront établies en fonction de critères d’efficacité, mais aussi des contraintes et des risques de leur administration.

Les traitements des néovaisseaux disponibles ont des limites. Ils manquent encore de spécificité et n’empêchent pas toujours une progression de la maladie en cause. Le Vascular Endothelium Growth Factor (Vegf) a été identifié en 1983 et cette molécule semble être un dénominateur commun à toutes les formes de néovascularisation choroïdienne de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (Dmla), mais également à la néovascularisation rétinienne du diabète (1). Au cours de cette affection, les taux intrarétiniens de Vegf ont même été corrélés avec la sévérité de la rétinopathie. La surexpression du Vegf agit sur les cellules endothéliales par divers mécanismes, en particulier en provoquant, au cours de la Dmla, une lyse de la membrane de Bruch et une prolifération des cellules endothéliales pour induire la production des néovaisseaux choroïdiens. Les molécules antiangiogènes agissent le plus souvent soit en inhibant la production du Vegf, soit en bloquant la fixation du Vegf sur ses récepteurs spécifiques. Une autre voie d’inhibition de l’angiogenèse cible les cascades enzymatiques et les protéines impliquées en aval de l’activation du récepteur du Vegf.

Quatre molécules prochainement disponibles.

Le pegaptanib de sodium (Macugen) agit comme un anticorps qui se lie spécifiquement à la sous-unité 165 du Vegf et empêche sa fixation sur les récepteurs endothéliaux. Il semble que la molécule agisse en inhibant la croissance des néovaisseaux choroïdiens, mais aussi en prévenant leur expansion au sein de la rétine (2). Le ranibizumab ou RhuFabV2 (Lucentis) est une molécule de petite taille, facilement diffusée dans l’espace sous-rétinien après injection intravitréenne (IVT). Il s’agit d’un fragment d’anticorps dérivé du bevacizumab, capable de se lier à toutes les isoformes du Vegf pour bloquer son action (3). Le bevacizumab (Avastin) est également un fragment d’anticorps anti-Vegf qui est utilisable en ophtalmologie bien qu’initialement développé pour le traitement des cancers métastatiques du côlon (4). L’acetate d’anécortave (Reetane) est une molécule de synthèse, dérivée lointaine de la cortisone, sans activité glucocorticoïde ni anti-inflammatoire. Il agit après l’activation des récepteurs du Vegf (5), en bloquant les métalloprotéinases et les intégrines qui sont nécessaires à la migration des cellules endothéliales (tableau).

A part, on peut citer l’acétate de triamcinolone, développé initialement en rhumatologie, mais couramment utilisé hors AMM en IVT en tant qu’adjuvant de la thérapie photodynamique ou de la photocoagulation directe dans certaines indications particulières (décollements de l’épithélium pigmentaire vascularisés, anastomoses choriorétiniennes). La molécule aurait certaines propriétés antiangiogènes. Elle est cependant surtout employée pour son rôle anti-inflammatoire, afin de diminuer l’exsudation des néovaisseaux choroïdiens de la Dmla et des capillaires altérés de la maculopathie oedémateuse des diabétiques.

Des effets indésirables liés au mode d’action.

Le Vegf joue un rôle physiologique, notamment au niveau du système nerveux central. Certaines fonctions supérieures, tels l’organisation des acquisitions et certains processus de mémoire, seraient dépendantes de la présence de Vegf lors du développement de l’hippocampe. Des souris génétiquement déficientes en Vegf ont un phénotype proche de celui des scléroses latérales amyotrophiques. Au niveau rétinien, l’homéostasie vasculaire serait dépendante du Vegf et la molécule interviendrait également dans les processus de différenciation des photorécepteurs, mais aussi dans leur survie. Des altérations des photorécepteurs sont impliquées dans la pathogénie de la Dmla, ce qui pourrait inciter à favoriser des traitements antiangiogènes agissant en aval du Vegf plutôt que sur la molécule elle même.

La réalisation d’une IVT est un geste simple, indolore et peu contraignant pour le patient, bien qu’en France il soit réalisé le plus souvent dans des conditions d’asepsie chirurgicale. En revanche, la répétition des IVT est plus désagréable pour le patient et implique une accumulation des risques d’effet indésirable : endophtalmie, décollement de rétine et cataracte traumatique.

Des effets indésirables liés au mode d’administration.

Lors des études de Macugen, le risque d’endophtalmie a été diminué par l’utilisation d’un protocole instituant de meilleures conditions d’asepsie. Sa fréquence a cependant été élevée : 0,16 % par IVT (1,3 % par patient et par an). Les risques de décollement de rétine (0,08 %) et de cataracte traumatique (0,07 %) ont été moindres. Enfin, malgré le caractère relativement isolé des milieux intraoculaires, l’administration par IVT ne met pas à l’abri d’un passage systémique avec ses conséquences éventuelles.

Aux Etats-Unis, le prix d’une dose de Macugen est de 995 dollars, ce qui représente un coût annuel de 8 600 dollars. L’ampoule d’Avastin est vendue environ 2 200 dollars, mais son utilisation en IVT impliquerait un coût de 5,5 dollars par injection avec un coût annuel compris entre 25 et 35 dollars selon le rythme des injections. Les autres produits ne sont pas encore commercialisés.

L’arrivée de nouveaux médicaments entraîne toujours l’enthousiasme du public. Le domaine de la rétine médicale n’échappe pas à cet effet (6). Le rôle du médecin est de moduler cet enthousiasme en fonction des données scientifiques et médicales disponibles et d’apporter aux patients les traitements ayant les meilleures chances d’améliorer ou au moins de stabiliser leur pathologie. La profusion des nouvelles molécules antiangiogènes, la disparité de leurs modalités d’administration et la concurrence entre quatre laboratoires pharmaceutiques ne faciliteront pas nos choix.

* Service d’ophtalmologie, hôpital Lariboisière, Paris.
(1) Van Wijngaarden P et coll. « Jama » 2005 ; 293 : 1509-1513.
(2) Gragoudas ES, et coll. « N Engl J Med » 2004 ; 351 : 2805-2816.
(3) http://www.gene.com/gene/news/press-releases/display.do?method=detail&i…. Site de Genentech développant le Lucentis (commercialisé en France par Novartis). Accès en décembre 2005.
(4) Rosenfeld PJ, et coll. « Ophthalmic Surg Lasers Imaging » 2005 ; 36 : 331-335.
(5) D’Amico DJ, et coll. « Ophthalmology » 2003 ; 110 : 2372-2383.
(6) Nau JY. Le premier médicament contre une cécité liée à l’âge sera commercialisé en France. « Le Monde », 8 août 2000.

Molécules antiangiogènes attendues au cours du premier semestre 2006 en France

SPECIALITE SPECIFITE RYTHME D'ADMINISTRATION PARTICULARITES
Macugen® (pegaptanib, Pfizer) Développé pour l’ophtalmologie. Spécifique de la sous-unité 165 du VEGF IVT toutes les 6 semaines pendant 2 ans Première molécule testée et mise sur le marché américain.Très haute affinité pour la sous-unité 165
Lucentis® (ranibizumab, Genentech) Développé pourl’ophtalmologie IVT toutes les 4 semaines (reste à préciser, de même que la durée totale) Première molécule ayant montré un bénéfice en termes de gain d’acuité visuelle plutôt qu’en termes de stabilisation
Avastin® (bevacizumab, Genentech) Développé pour l’oncologie (cancers métastatiques du côlon) Testé en intraveineux(2 à 3 doses espacées de 3 semaines) IVT toutes les 8 à 12 semaines (études pilotes) Premier anti-VEGF à avoir eu l’agrément de la FDA. Moindre coût par patient et par an lors de l’administration en IVT
Retaane®(acétate d’anecortave, Alcon) Développé pour l’ophtalmologie Injection sous-ténonienne tous les 6 mois d’endophtalmie Voie d’administration locorégionale sans risque
DESMETTRE Thomas

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7890