IL EST 20 H 30 CE LUNDI et l'amphithéâtre D de la Pitié-Salpêtrière est plein à craquer. Sur les bancs se sont massés de 300 à 400 internes, chefs de clinique et étudiants de la faculté, particulièrement silencieux. Ce soir, pas question de suivre un cours magistral. Quelques heures à peine après la divulgation du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (Plfss) dans lequel est programmée «la limitation de l'installation de nouveaux professionnels de santé dans les zones où ils sont déjànombreux», les syndicats des internes (Isnih), chefs de clinique (Isncca), jeunes praticiens (Snjmg) et étudiants (Anemf) ont donné rendez-vous à leurs jeunes confrères pour préparer la riposte. «Depuis quelques jours, vous avez dû entendre parler de remise en cause de liberté d'installation, attaque Olivier Mir, président de l'Intersyndicat national des internes des hôpitaux (Isnih). Il y a d'abord eu les attaques en règle du président de l'Uncam et de la Cour des comptes qui demandaient de limiter l'installation de façon autoritaire. Nicolas Sarkozy en a rajouté une couche en proposant des mesures “désincitatives” pour nous empêcher de nous installer dans les grandes villes ou à leurs alentours.»
« Une mauvaise solution ».
Courbe à l'appui, le président de l'Isnih présente l'évolution du numerus clausus, qui n'a cessé de baisser de 1973 à 1992. «Notre pays a limité le nombre de médecins parce qu'il croyait que c'était la meilleure façon de réduire les dépenses d'assurance-maladie. Aujourd'hui, il y a un problème de répartition des médecins sur le territoire que nous ne nions pas.» En Allemagne, en Suisse et au Québec, Olivier Mir note que les mesures autoritaires de coercition décidées ces dix dernières années par les gouvernements n'ont rien arrangé. «On a assisté à une baisse des vocations et de l'offre de soins. Alors, si vous voulez rester médecin, la seule solution, c'est la grève», conclut-il.
«L'heure n'a jamais été aussi grave, et c'est pourquoi les internes, les chefs et les externes se retrouvent mobilisés, enchaîne Gabriel Ko, président du Syndicat des internes des hôpitaux de Paris (Sihp). Je ne sais pas vous, mais moi, je ne veux pas que l'on choisisse à ma place où j'irai m'installer.» L'amphithéâtre applaudit bruyamment. «Il faut que tous les étudiants soient informés du danger que représentent les mesures en préparation, poursuit Charles Mazeaud, président de l'Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf). On veut nous demander, comme aux infirmières, de nous installer dans les zones surmédicalisées uniquement pour remplacer les praticiens qui partent à la retraite.»
La grève, une première pour beaucoup.
Une question fuse des travées. «Vous nous demandez de convaincre nos copains de faire la grève, mais on leur dit quoi?»
«On touche à un pilier de la médecine libérale, la liberté d'installation, réplique un représentant de chefs de clinique . Il est injuste que les jeunes générations paient pour l'incurie des politiques et il est immoral que Nicolas Sarkozy, favorable à la préservation de la liberté d'installation lorsqu'il était candidat, revienne sur ses promesses une fois élu.»
Pour Pierre Loulergue, président de l'Intersyndicat national des chefs de clinique assistants (Isncca), le gouvernement n'a pas suffisamment pris le temps de communiquer sur les mesures d'incitation à l'installation. «Beaucoup existent, mais elles restent peu connues», explique-t-il.
Le président du Syndicat national des jeunes généralistes (Snjmg), Fabien Quedeville, souligne que la question de l'installation concerne les jeunes, mais que ce sont bien les partenaires conventionnels qui seront appelés à négocier les mesures désincitatives prévues dans le cadre de l'avenant 20 pour les médecins qui s'installeront dans les zones dites surmédicalisées. Quelqu'un précise que, en cas d'échec des négociations, «le gouvernement prendra ses responsabilités».
«Si la loi passe, elle sera appliquée à qui et quand?», s'inquiète une interne. «A tout le monde et peut-être dès juin 2008.» Une chef de clinique demande si les praticiens hospitaliers sont informés du mouvement de grève. «Tous les PU-PH de l'Ile-de-France sont au courant et beaucoup nous encouragent», lui répond-on.
Certains s'inquiètent de la réaction de l'opinion publique face à la grève des futurs médecins. «Votre mouvement est profondément juste, mais il ne sera pas compris par ceux qui voudront le rendre égoïste, enchérit le Dr Didier Ménard. Il faut que, vous, les jeunes, vous apportiez des propositions alternatives. Il faut surtout que vous expliquiez bien vos motivations à vos patients.»
«Cette grève va probablement durer, et longtemps, poursuit Olivier Mir. A vous de faire bouger les hôpitaux, de bousculer les chefs, de communiquer dans les salles de garde.» Le Pr Bruno Devergie prend la parole pour apporter le soutien de la Confédération des praticiens des hôpitaux (CPH) dont il est le vice-président : «Vous avez été durement sélectionnés par un concours, puis un suivant. Il n'est pas normal que l'on veuille brusquement changer les règles de l'installation, alors que vous êtes en cours de formation. Vous êtes les chevilles ouvrières des services et nous vous soutenons, même si nous savons que cela va nous poser de grandes difficultés.»
A l'issue des débats, internes, chefs et étudiants sont invités à voter la grève. Une forêt de bras se lève. Les responsables syndicaux rappellent les modalités à remplir auprès des hôpitaux (voir ci-contre), puis demandent deux volontaires par hôpital pour se porter internes référents.
L'amphithéatre se vide lentement. Quelques groupes poursuivent les débats. «Je ne suis pas gréviste dans l'âme, mais aujourd'hui, je suis inquiète», lâche une interne. «Pour moi aussi, ce sera une première, ajoute son voisin. J'ai envie de m'installer en libéral en province. Demain, j'envoie ma déclaration de grève à mon directeur d'hôpital.»
Un syndicaliste sort de la fac satisfait de la réunion : «Si on n'arrive pas à les mobiliser sur un tel sujet, on n'a qu'à mettre la clé sous la porte.
Une déclaration obligatoire
Les syndicats ont rappelé aux internes les modalités à suivre pour se mettre en grève. Les internes doivent se déclarer grévistes de façon individuelle. Ils ont obligation de remettre en mains propres – ou en recommandé – à la direction de l'hôpital une lettre dans laquelle ils indiquent les dates et les horaires des gardes et des astreintes qu'ils n'assureront pas. Les syndicats conseillent aux internes d'en adresser une copie au chef de service concerné – même si cela n'est pas obligatoire – et d'en garder une photocopie.
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