ELLES S’ACTIVENT avec un aspirateur cassé, surveillent la prise de médicaments, se battent avec une tuyauterie défaillante, donnent un repas à la cuillère, soulèvent ces corps fatigués, du lit au fauteuil, du fauteuil à la chaise et au tabouret de douche, dans la salle de bains, elles aident à la toilette, dans la cuisine, elles préparent les repas pour tous les moments où elles ne seront pas là, au chevet du lit, elles tiennent la main, réconfortent, cherchent les mots justes, pour soulager la détresse, la solitude. Mais vite, deux heures sont déjà passées, et il faut reprendre la voiture vers une autre maison, une autre histoire, d’autres besoins à satisfaire en quelques heures à nouveau, avant de repartir encore, vers un autre domicile.
Ce sont des femmes à 99 %, elles sont âgées en moyenne de 45 ans, elles sont ces aides à domicile qui accompagnent plus d’un million et demi de personnes âgées ou handicapées dans l’accomplissement des gestes de la vie quotidienne.
« D’une maison à l’autre » présente en 5 reportages les conditions de travail de ce métier mal reconnu, l’aide à domicile étant encore très souvent considérée comme une domestique corvéable à merci et traitée en conséquence par les bénéficiaires ou leurs familles. Ce documentaire, réalisé à la demande de l’Inrs (Institut national de recherche et de sécurité)*, a pour dessein d’aider la profession (financeur, formateur, directeur de structure associative ou privée) à prendre en compte les difficultés rencontrées par les aides à domicile dans leur travail, ainsi qu’à identifier les risques professionnels et leurs conséquences sur la santé.
Risques physiques et psychiques.
Le film montre que les intervenantes à domicile sont confrontées à la fois à des risques physiques et à des risques psychosociaux spécifiques. La multiplicité des lieux de travail – risques routiers et temps de déplacement important –, les différentes ergonomies des lieux, l’hygiène et l’équipement des bénéficiaires jouent un rôle important dans la pénibilité et la charge de travail. Et puis cette entrée dans la sphère intime, avec des tâches allant de la toilette à l’accompagnement en fin de vie, ajoute une pénibilité psychique encore trop rarement prise en compte.
«Je suis venue tous les jours pendant quinze ans, raconte une auxiliaire de vie, et un matin, il n’y avait plus personne. La dame dont je m’occupais est partie en maison de retraite, et personne ne m’a prévenue. Après quinze ans, c’est dur à avaler.»
Conséquence :, l’état de santé des aides à domicile est jugé préoccupant. C’est le constat de différents groupes de travail du même institut, qui se sont penchés sur cette profession**. Ils ont constaté que l’état de santé perçu par les aides à domicile est moins bon que celui des femmes du même âge, notamment en ce qui concerne la mobilité physique, les douleurs et les réactions émotionnelles.
Les médecins du travail décrivent les problèmes de santé rencontrés : certains sont liés à des accidents du travail (chute, manutention de charges lourdes ou lors de transfert de personne), d’autres à des maladies professionnelles, mais la majorité se traduit par des troubles de la santé physiques et psychiques, avec arrêts maladie.
Révélateur de la pénibilité du travail, le taux d’absentéisme dans le secteur de l’aide à domicile est parmi les plus élevés. Il semble augmenter d’année en année, dans les associations rencontrées par les auteurs, et les employeurs sont bien démunis pour y remédier. «En général, ce sont les salariées de moins d’un an d’ancienneté et parmi les plus jeunes qui s’absentent le plus. Pour les salariées plus anciennes et plus âgées, les arrêts maladie semblent être un moyen souvent ultime pour réguler la charge de travail et les conséquences des pénibilités sur la santé. Et ce malgré le manque à gagner, le problème de remplacement, le risque d’avoir moins de missions, etc.»
Sélection par la santé.
S’il n’y a pas de données générales sur les parcours professionnels des aides à domicile, l’Inrs a recueilli des témoignages sur la sélection par la santé qui s’opère dans ce secteur comme dans ceux où les salariés ont des travaux pénibles, répétitifs et sous cadence.
Les problèmes de santé amènent à l’exclusion du travail, au licenciement pour maladie. Or les aides à domicile ne bénéficient pas des mêmes droits que les autres travailleurs en santé au travail. «La question du suivi médical est vite réglée, s’exclame Michèle Rocher, de l’Inrs, il n’y en a pas!Les cas où la médecine du travail est obligatoire représentent encore une minorité.»
Si les aides à domicile travaillant pour une entreprise prestataire, ou à temps complet pour un même employeur particulier, bénéficient d’une surveillance médicale par la médecine du travail, toutes les autres, qui travaillent pour plusieurs personnes à temps partiel, soit directement de gré à gré, soit par le biais d’entreprise mandataire (la personne aidée reste alors l’employeur), y échappent.
Ces aides à domicile sont assimilables à des employées de maison, mais les règlements devant établir les modalités de surveillance et l’habilitation des services n’ont jamais vu le jour. En outre, comment imposer à des particuliers, souvent à faible revenu, qui ne sont souvent employeurs que quelques heures par semaine, de cotiser à un service interentreprises ?
«Et c’est la grande majorité des cas, elles représenteraient 80% des femmes, si on tente de prendre en compte le travail au noir, poursuit Michèle Rocher. Aujourd’hui, les diverses structures (associatives ou privées) font un effort énorme pour professionnaliser le métier, assurer une formation interne, même pour celles qui sont diplômées. Elles fournissent un encadrement apte à coordonner l’activité, mais surtout à soutenir, conseiller, orienter les aides à domicile, les sortir de l’isolement, la base d’une prévention des risques professionnels. Mais, là encore, cela ne concerne que les femmes qui travaillent par l’intermédiaire de structures prestataires, soit 20% environ des cas seulement.»
Aujourd’hui, 1,6 million de personnes âgées sont aidées par une aide à domicile, elles ne cesseront d’être de plus en plus nombreuses dans les années à venir et le secteur de l’aide à domicile est d’ores et déjà l’un des secteurs les plus créateurs d’emplois de l’économie française (5 % par an).
Selon les dirigeants des grandes enseignes qui se constituent actuellement, les exonérations fiscales et le futur crédit d’impôt, le développement de l’allocation personnalisée d’autonomie, entre autres, ont plutôt tendance à favoriser le recours à des entreprises prestataires de services, et faire sortir peu à peu les travailleuses à domicile de l’ombre.
« Créer des emplois stables au lieu de générer des travailleurs pauvres » pourrait devenir le slogan de ce secteur en pleine mutation.
* www.inrs.fr.
** « Evaluation et prévention des risques chez les aides à domicile », document pour le médecin du travail, Inrs. « Regard sur le travail : quand les travailleuses à domicile deviennent auxiliaires de vie sociale », note scientifique et technique, Inrs.
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