Elève bouc émissaire

Les adultes en question

Publié le 01/04/2007
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DE L'ANTIQUITÉ au collège d'aujourd'hui, la fonction du bouc émissaire est la même. «Lorsque le minaret s'écroule, on pend les barbiers.» Présent dans les proverbes arabes comme dans les rites expiatoires des Hébreux, on le retrouve tout au long de l'Histoire, lorsque les groupes minoritaires sont jugés responsables des famines et des grandes épidémies, du capitaine Dreyfus aux femmes tondues en 1945, le bouc émissaire est une personne sur laquelle on fait retomber la faute des autres : «Au “tous contre tous”, le bouc émissaire substitue un “tous contre un”; cela permet de canaliser violence et cruauté. Il est le responsable qui permet d'exprimer la vindicte populaire, la colère et la violence d'une population.» Selon le Dr Ivan Caratachef, médecin conseiller technique au rectorat de Paris, l'élève bouc émissaire (on devrait presque dire le collégien bouc émissaire car c'est en classes de troisième et de quatrième que l'on rencontre principalement ce phénomène) n'échappe pas à ce rôle. «C'est un phénomène caché, qui vise à dévaloriser, à isoler l'enfant choisi pour cible, afin qu'il ne résiste plus et se sente coupable. Alors, le plan a réussi.»

Jean-Luc Jesne, proviseur à Nogent-sur-Marne, raconte le calvaire de ces enfants.

Alain est en sixième, il manque de confiance en lui, il multiplie les maladresses de comportement pour se valoriser aux yeux de ses camarades, il ne fait qu'augmenter leur hostilité, qui se traduit en brimades quotidiennes et accroît son isolement. La classe est réunie, des explications sont demandées, certains reconnaissent qu'ils prennent en grippe Alain et expliquent pourquoi. D'autres refusent, mais l'abcès est crevé, la mécanique désamorcée.

Vincent, qui est le meilleur élève de sa classe, se plaint de maux de ventre et de tête toute l'année de sa quatrième, jusqu'à faire une phobie scolaire : insultes, bousculades systématiques, vol de matériel, il subit le harcèlement permanent d'un groupe de sa classe. Informé, le principal répond à Vincent qu'il doit s'armer et à sa mère qu'elle ne doit pas entrer dans ces jeux de collégiens. En fin d'année, Vincent demande une orientation vers le Cned (études par correspondance). Au bout de deux ans et d'une psychothérapie, Vincent réintègre un lycée et poursuit une scolarité normale.

Risque de décrochage et troubles divers.

Jean-Luc Jesne a des dizaines d'exemples d'élèves devenus boucs émissaires d'un groupe d'adolescents ou, plus inquiétant encore, de l'équipe pédagogique. C'est l'histoire de Nicolas, dont le père, en tant que représentant des parents d'élèves, est chargé en conseil de classe d'évoquer les problèmes relationnels que rencontrent les élèves avec leur professeur de mathématiques. Nicolas est immédiatement pris en grippe par cette enseignante ; ses notes dans cette matière s'effondrent. Au deuxième conseil de classe, le père met en cause l'attitude de la prof de math, qu'il rend responsable des mauvaises notes de son fils. Réflexe corporatiste, l'équipe pédagogique se soude, Nicolas devient le bouc émissaire de l'ensemble des professeurs de la classe. Ses résultats s'effondrent, il finit l'année au bord du décrochage scolaire.

Seize pour cent des enfants qui « décrochent » sont victimes de maltraitance de type bouc émissaire, rapporte Catherine Giraud, psychologue clinicienne au Relais étudiants-lycéens de Paris, qui tente de rescolariser ceux que l'on appelle les « décrocheurs » : «Les conséquences sont graves, tant sur le plan de la réussite scolaire, troubles de la concentration, perte de l'efficience jusqu'à l'effondrement, que sur le plan de l'équilibre psychique, avec apparition de phobie scolaire, de conduites autoagressives ou de troubles alimentaires.»

Différent car vulnérable.

Il peut être précoce ou en difficulté, sage ou rebelle, handicapé, étranger, premier de la classe, obèse… la victime est toujours un enfant différent. C'est le lot des enfants boucs émissaires, ils ne sont pas choisis par hasard. Leur différence, c'est leur vulnérabilité, c'est pour ça qu'ils sont choisis.

L'agresseur, de son côté, est présenté comme un enfant impulsif, au tempérament agressif, ayant souvent été lui-même victime de violences.

S'il y a, comme dans toute agression, un tandem victime-agresseur, la notion de bouc émissaire a ceci de particulier qu'elle renvoie au groupe et à la répétition d'actes qui, pris isolément, pourraient ne pas être graves.

En effet, selon le Dr Nicole Catheline, pédopsychiatre au CHS de Poitiers, il convient de différencier le souffre-douleur, qui renvoie à un individu persécuteur, du bouc émissaire, qui renvoie au groupe et à la responsabilité de l'adulte. «Si l'institution ne gère plus les conflits vient le temps des persécutions. N'oublions pas que l'enseignant est un substitut parental; lorsque les enseignants ne remplissent pas ce rôle structurant et protecteur, alors, au sein du groupe d'adolescents dont l'adulte est exclu, les mécanismes de violence se mettent plus facilement en place.»

Travailler sur le groupe.

«Reconnaître la souffrance de la victime est nécessaire mais ne suffit pas, poursuit Catherine Giraud. Si on ne traite que les individus, rien n'empêchera la réapparition d'autres victimes et d'autres agresseurs, il faut travailler sur le groupe, sinon les réponses sont insuffisantes, voire inadaptées.» Et elles le sont largement, puisque, de l'aveu même des membres de l'Education nationale présents à ce colloque, la première, et bien souvent la seule solution, consiste à changer l'enfant d'établissement. Non seulement il est victime, il se sent dévalorisé, il se sent coupable, mais c'est le seul à être puni.

L'adulte doit être capable de contenir les tensions du groupe, de maintenir sa cohésion autour d'objectifs clairs afin d'éviter les manifestations de violence à l'encontre d'un de ses membres, les professeurs n'y sont pas toujours préparés. «La prévention passe par l'apprentissage de la justice, estime Ivan Caratachef. S'élever seul contre un groupe pour défendre une injustice, cela s'apprend, pour lutter contre le “suivisme”, il faut des armes, cela s'apprend aussi, c'est également le rôle des enseignants comme c'est celui des parents.»

Comme cela a été fait pour le racket, une campagne d'information et de prévention pourrait permettre aux victimes de plus facilement dénoncer les faits, aux enseignants d'engager le débat et de donner sa place à la parole, dont on sait qu'elle permet d'éviter les passages à l'acte.

Dominique Pasquier, « Culture lycéenne, la tyrannie de la majorité », éditions Autrement.
J. Fortin, « Mieux vivre ensemble dès l'école maternelle », Hachette-Education.
E. Debardieux, « la Violence en milieu scolaire », ESF Editeurs.

> NELLIE PONS

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8138