« En retraçant la chronologie de la catastrophe, il convient de garder à l'esprit le fait qu'il est toujours facile, a posteriori , de prévoir le déroulement des événements. »
Ainsi commence le rapport commandé le 20 août dernier par Jean-François Mattei à la mission d'information, composée du Pr Alain-Jacques Valleron, du Pr Sylvie Legrain, du Dr Dominique Meyniel, et coordonnée par le Dr Françoise Lalande en collaboration avec Maryse Fourcade (« le Quotidien » du 10 septembre). Les auteurs auraient pu, aussi bien, ajouter qu'un tel rapport, commandé en plein cur de la tourmente médiatique et remis dans des délais aussi courts, ne peut évidemment prétendre ni à l'exhaustivité ni à la rigueur qu'un drame d'une telle ampleur aurait nécessités. Il conviendra donc d'attendre les conclusions de la commission d'enquête parlementaire (voir page 4) qui devrait bientôt être mise sur pied pour se faire une idée exacte de la somme des dysfonctionnements qui ont abouti à ce drame majeur.
« Une présence insuffisante »
Quoi qu'il en soit, les conclusions du rapport sont à prendre en considération, même si ses constatations pour ce qui concerne la présence médicale libérale sont faites sur la base de témoignages et qu'aucune donnée véritablement chiffrée n'est actuellement disponible : selon les auteurs du rapport, « une présence médicale libérale insuffisante » pendant la période de canicule a été observée par le Conseil national de l'Ordre des médecins « dans les zones urbanisées des départements des Hauts-de-Seine, des Yvelines, de Seine-Saint-Denis, du Rhône, de l'Isère, de la Côte-d'Or, et de la Meurthe-et-Moselle, pour ne prendre que quelques exemples ». De même, le rapport fait état de services d'accueil des urgences (SAU), de SAMU/Centres 15 et de sapeurs-pompiers qui « se sont plaints d'avoir à assumer les charges de la permanence des soins ». Les auteurs du rapport indiquent également avoir reçu de nombreux témoignages « de difficultés rencontrées par les malades et leur famille, non seulement pour les urgences médicales et les visites, mais même pour obtenir une consultation banale ».
Le problème du volontariat
Le rapport ne dit pas quels ont été les moyens d'étude utilisés pour arriver à ces conclusions, ni ce qui est entendu par le terme « insuffisant ». Mais il n'en demeure pas moins que ce constat conduit, tout logiquement, à certaines interrogations : l'article 65 du code de déontologie médicale, qui porte sur les remplacements, indique que « un médecin qui se fait remplacer doit en informer préalablement, sauf urgence, le Conseil de l'Ordre dont il relève ». La procédure normale en ce cas consistant, pour l'Ordre départemental qui constaterait que certains secteurs sont insuffisamment pourvus, à en informer la DDASS et le préfet, qui peut être amené à prononcer des réquisitions. L'Ordre a-t-il tenu informé les préfets ? En ce cas, pourquoi n'ont-ils pas réquisitionné ? Le CNOM croit avoir la réponse, sous la plume de son secrétaire général Louis-Jean Calloc'h, qui indique dans son compte-rendu au Dr Lalande que « ces problèmes ont surtout eu lieu dans les ensembles urbains où la notion de volontariat de la garde a contribué, dans l'indécision actuelle, à déposséder les conseils départementaux de leur mission de gestion des tableaux de garde et de validation des secteurs de garde ».
Le rapport indique d'ailleurs que sur ce sujet, il conviendrait de mener une enquête approfondie pour déterminer « la proportion de médecins partis en congé, leurs modalités de remplacement, et la réalité de la participation à la permanence des soins au cours de cette période et durant le reste de l'année ». Interrogé par « le Quotidien », le secrétaire général du CNOM, Louis-Jean Calloc'h, tient à préciser que « l'Ordre n'est pas du tout contre le volontariat, mais il faut bien constater que cet été, avec les décrets d'application sur la permanence des soins et de l'article 77 qui ne sont toujours pas parus, certains médecins se sont dit : vive le volontariat, pourvu que ça ne soit pas moi ».
Le rôle des ordres départementaux
L'occasion pour le secrétaire général de revenir sur le débat passionné sur la permanence des soins : « Est-ce que Jean-François Mattei va accepter la nouvelle version de l'article 77 et les décrets d'application de la permanence des soins tels qu'ils ont été élaborés par l'équipe de Charles Descours, ou bien va-t-il tenir compte de ce qui s'est passé cet été ?Nous avons passé l'été en flux tendu, la chaîne a fini par casser, la question est maintenant de savoir ce qu'on fait : on bricole ou on change la chaîne ?»
Quant à la question de savoir si les ordres départementaux (dont certains étaient fermés au mois d'août) ont bien transmis aux préfets les informations disponibles sur les tableaux et secteurs de garde, et pourquoi dans ce cas les préfets (dont certains étaient en vacances) n'ont pas réquisitionné, Louis-Jean Calloc'h estime que ce sera à la commission d'enquête parlementaire de le dire.
Des hospitaliers sévères
Du constat dressé par les auteurs du rapport, la Fédération hospitalière de France (FHF) retiendra une chose : la démonstration de « l'attitude irréprochable des hôpitaux pendant cette crise, avec les moyens dont ils disposaient ».
Le Dr François Aubart, président de la Coordination médicale hospitalière (CMH), se mouille un peu plus, en acceptant de commenter les deux pages consacrées aux médecins de ville : « Le rapport parle de "désertion de la médecine libérale", notamment en région parisienne. Je partage cette analyse. Elle doit déboucher sur la réorganisation de la permanence des soins. »
Le Dr Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins urgentistes de France (AMUHF), ne se contente pas d'accuser les libéraux, il élargit la critique à l'ensemble des médecins. Il estime qu' « il faut appliquer l'article de déontologie (des praticiens) de manière que tous les médecins participent à cette permanence de soins mais en respectant l'évolution de la médecine générale : il n'y a pas qu'elle qui doive assurer la permanence de soins ». Pour lui, « de nombreux médecins hospitaliers n'y participent pas ».
D. Ch.
Le Loir-et-Cher cité en exemple
Heureusement, le rapport Lalande ne se contente pas de signaler les dysfonctionnements du système de santé, il distribue également des bons points : « Dans le Loir-et-Cher, le conseil départemental de l'Ordre et la DDASS ont rappelé les médecins libéraux qui se sont pliés de bonne grâce à cette obligation. Il est dommage que cet exemple soit resté isolé ».
Pour le Dr Bernard Rigaudière, président du conseil départemental de l'Ordre du Loir-et-Cher, « ce qui nous a alertés, dès le dimanche 10 août, c'est les embouteillages aux urgences. Il y avait des malades plein les couloirs, dont certains souffraient de troubles graves. Alors on s'est dit qu'il fallait intervenir en amont ». Et pour intervenir, Bernard Rigaudière commence par reporter ses vacances. « Nous sommes un département rural et sous-médicalisé, continue Bernard Rigaudière, nous manquons notamment de généralistes ruraux. Nous nous sommes concertés avec des médecins de la DDASS et nous avons joint par téléphone les médecins dont nous avions les coordonnées. Certains sont revenus de vacances pour faire face, d'autres qui étaient présents ont accepté de prolonger les gardes toute la nuit. Dans notre département, il n'a jamais été nécessaire de procéder à des réquisitions, tout se fait à l'amiable. Cela dit, notre population rurale est âgée et nous avons eu des décès ».
H. S. R
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