Décision Santé. Acceptez-vous le principe que les cliniques, à la différence de l’hôpital, doivent respecter certaines règles afin de bénéficier du label « service public ? »
Lamine Gharbi. Le projet de loi de santé revient à l’hospitalocentrisme en vigueur dans les années soixante-dix avec un hôpital public tout puissant qui ne s’interroge pas sur son efficience. Les règles doivent être les mêmes pour tous. Pourquoi les hôpitaux par « droit de naissance » bénéficieraient-ils du label service public et pas les cliniques, alors qu'aujourd'hui ces dernières participent aux missions de service public ? Les secteurs public et privé doivent au départ disposer des mêmes droits. Pourquoi vouloir exclure les cliniques des missions de service public en prenant comme critère la pratique des compléments d’honoraires, que l’État autorise par ailleurs ? Pourquoi existe-t-il un secteur libéral à l’hôpital public ? C’est un non-sens absolu. S’il avait été transformé en entreprise de santé selon les principes de la loi HPST, l’existence de consultations privées s’inscrirait alors dans ce cadre. Or ce n’est pas le cas. À ce stade, dans le principe de la loi, nous comprenons celui de l'accessibilité financière, mais la façon dont il peut se décliner reste à débattre. Plusieurs pistes sont possibles. Soit on assure un reste à charge à zéro, soit on met en place dans les établissements du secteur privé un secteur opposable, dont le pourcentage reste à définir. Enfin, la création dans chaque établissement d’une consultation en secteur opposable assurée par un chirurgien, un spécialiste, constitue une autre alternative. Dans tous les cas, nous maintenons les « règles du jeu » actuelles. Tous les patients admis en urgence ou titulaires de la CMU bénéficient aujourd’hui de soins délivrés en secteur 1.
D. S. Êtes-vous en phase avec le respect de l’Ondam ?
L. G. Nous attendons toujours du ministère qu’on nous rétrocède le coefficient prudentiel (0,35 %). Nous sommes en sous-exécution de l’Ondam. Selon le contrat passé avec les pouvoirs publics, les établissements sont en attente des versements correspondant à ce coefficient, soit 20 millions d’euros. S’il n'était pas rendu, il y aurait là une rupture des engagements pris par notre ministre, ce qui reviendrait à une reprise de la parole donnée. Et par là-même, une perte de confiance.
D. S. Le Conseil d’État est-il prêt à rendre ses conclusions après avoir été saisi par la FHP sur le Cice ?
L. G. Cela fera bientôt dix-huit mois que nous avons introduit notre requête devant le Conseil d’État. Nous sommes surpris du délai mis à nous répondre. Pour être transparent, je n’ai à ce jour aucun élément d’information. Comme je suis d’un tempérament optimiste, je me dis qu'ils vont nous donner raison. Ils retardent simplement le moment de l’annoncer…
Quant au recours que nous avons introduit devant la direction de la Concurrence de la Commission européenne, nous sommes en train de le réactiver par l’intermédiaire de Christian Le Dorze, qui représente la FHP au sein de l’Union européenne de l’hospitalisation privée (UEHP).
D. S. Depuis la nomination du gouvernement Valls 2, avez-vous noté une inflexion de la politique menée en faveur de l’hospitalisation privée ?
L. G. Depuis le discours de François Hollande lors de sa conférence de presse en janvier dernier, il ne s’est techniquement rien passé. En ce qui concerne le pacte de responsabilité, il devrait se traduire par un allègement de charges de 1,3 % seulement. Peut-on croire que nos entreprises deviendront compétitives avec cette seule mesure ? Avec le Medef, nous avons salué certes cette première avancée. Mais cela n’est pas suffisant. D’autant que ce pacte de confiance n’est toujours pas entré en application. C’est pour le moins dramatique.
D. S. Le discours de Marisol Touraine en direction des cliniques privées s’est-il en revanche modifié ?
L. G. Clairement, notre ministre de tutelle n’a en rien changé sa ligne politique. On demande toujours plus d’efforts financiers aux cliniques privées soumises à la double, voire à la triple peine: écart de 22 % sur les tarifs MCO et 200 à 300 % en SSR et psy (cherchez l’erreur...!) avec l’hôpital public, reprise du CICE, et baisse des tarifs année après année. Mais le rétablissement des comptes sociaux passe par une réforme radicale de l’hôpital public. L’économie doit guider le changement. Tant que l’on injecte chaque année 400 à 500 millions d’euros pour combler les déficits de certains hôpitaux, nous n’y arriverons pas.
D. S. Y aurait-il une divergence entre la politique menée par le Premier ministre et celle appliquée par Marisol Touraine ?
L. G. Le Premier ministre parle de l’entreprise France, alors que Marisol Touraine s’exprime au nom de l’entreprise santé-solidarité. Or, les cliniques et hôpitaux privés génèrent chaque jour des gains d’efficience grâce au développement de la chirurgie ambulatoire, de la pertinence des soins et de la réorganisation des plateaux techniques. Arrêtons de soutenir artificiellement l’activité des hôpitaux structurellement déficitaires. Et ils se restructureront mécaniquement sans casse sociale. La redondance d’hôpitaux publics sur le territoire n’est pas gage de pérennité de notre système solidaire qui court à sa perte.
D. S. Peut-on toujours dire que c'est la faute à l’hôpital public ?
L. G. On nous reproche parfois un ton agressif. Mais nous jouons notre survie. Notre combat n’est pas contre l’hôpital public car nous sommes des acteurs complémentaires sur le terrain, les Français le savent bien. Notre combat est contre un système de financement qui asphyxie notre secteur. Il n’y a plus de maternité privée dans 30 départements aujourd’hui en France. Nos investissements se sont dramatiquement réduits, comme le démontrent nos comptes d’exploitation. Lorsqu’en vingt ans, on recense la fermeture de 1 000 établissements privés, y a-t-il des manifestations de soutien ?
D. S. L’hôpital public au cours de cette période a accompli des efforts d’efficience.
L. G. Certes. Mais il a bâti des cathédrales aujourd’hui vides. Les plans Hôpitaux 2007 et 2012 ont des répercussions dramatiques. Nous ne menons pas de combats politiques. J’ai déposé autant de recours à l’adresse de Roselyne Bachelot ou de Xavier Bertrand qu’à l’encontre de Marisol Touraine. Certes, 10 % de ces plans d'investissement – c’est bien peu – ont été attribués à l’hospitalisation privée. Qu'ont fait les cliniques ? Elles ont procédé à des restructurations massives en fusionnant plusieurs établissements. Encore une fois, nous ne menons pas une guerre contre l’hôpital public qui réalise chaque jour un travail admirable. Simplement, je dénonce une situation qui ne peut perdurer. Nous n’en avons plus les moyens. Il faut arrêter l’hémorragie, comme l’écrit année après année la Cour des comptes. Nous demandons plus de liberté, de lisibilité et de transparence.
D. S. Comment cela se traduit-il en pratique ?
L. G. Nous demandons plus de liberté sur le fonctionnement social. Les 35 heures dans la santé sont un non-sens et nous nous félicitons de la reprise des propos du président de la FHF, qui vient de reconnaître qu’elles ont été une source d’injustice également dans les hôpitaux publics. La négociation sur le temps de travail devrait être menée au sein des branches. Comme chef d’entreprise, j’ai cru au départ à cette idée de partage de travail. Mais dans les faits, cela ne marche pas. Dans la même perspective, les seuils sociaux devraient être modifiés.
J’appelle également à l’assouplissement de la réglementation et des normes, dont certaines sont clairement obsolètes.
D. S. Sur ce thème, Marisol Touraine a déjà répondu à certaines de vos attentes.
L. G. Des avancées sont en cours sur le dossier de la dialyse et de la psychiatrie, où certaines normes dataient de... 1956 ! J’ai d’ailleurs remercié les services du ministère de la Santé. Mais ce sont des petits pas. Des groupes de travail transversaux ont été créés. Et ces allègements bénéficient au final à l’ensemble de l’hospitalisation tant publique que privée.
D. S. À la suite des opérations conclues en 2014 du type rachat de la Générale de Santé, l’hospitalisation privée devrait-elle faire l’objet d’autres opérations de concentration ?
L. G. Ces mouvements s’inscrivent dans notre liberté fondamentale d’entrepreneurs. Je ne pense pas pour autant que les groupes nationaux, qui représentent environ 40 % de notre secteur, soient motivés par une volonté hégémonique. Ils s’inscrivent plutôt dans une logique d’émulation et d'articulation avec les groupes régionaux, les indépendants. Et cela n’interdit pas les fusions entre ces grands acteurs. En tout état de cause, Il faut rappeler que dans l’hospitalisation privée, les fusions ne se traduisent pas par un plan social. Notre secteur, on ne le dit pas assez, présente un solde positif d’embauche. Il s’établit à 3 000 emplois nets chaque année.
D. S. Dans la future loi de santé, le rôle des ARS devraient être renforcé. Quel est l’avis de la FHP ?
L. G. Nous réfutons la confusion actuelle entre les missions de sanction, de contrôle dévolues aux ARS avec celle de planification. On ne peut pas être juge et partie. Sur le terrain, cela entraîne des dérives fortes. Je suis favorable au principe de la régionalisation. On répond là au plus près des aspirations des citoyens. Pour autant, on doit mettre en place un contre-pouvoir afin de contenir une volonté de toute puissance des Agences. Dans certains territoires, l’hospitalisation publique est systématiquement favorisée au détriment du secteur privé.
D. S. Dans ce nouveau paysage, quelle doit être la place de l’assurance maladie ?
L. G. J’attends de la Cnam, organisme payeur, davantage d’actions de régulation. Pourquoi ne se comporte-t-elle pas comme un acheteur de soins rationnel par exemple ? Pourquoi continue-t-elle d’acheter une même prestation de soins à des acteurs publics et privés avec 22 % d’écart de prix ? C’est aujourd’hui un payeur aveugle soumis à toute forme de pressions.
D. S. Sur quels critères souhaitez-vous être évalué à l’issue de votre mandat ?
L. G. J'entends consacrer ma présidence à la défense de notre secteur et au service de nos adhérents. Je dis souvent que la survie de l’espèce passe par la survie de l’individu. C’est le sens de mon engagement. Il y a ensuite les combats à mener en fonction du calendrier, comme actuellement avec le PLFSS par exemple. Nos objectifs sont l’arrêt de la discrimination sur les tarifs et une politique tarifaire qui permette la survie de notre secteur, la pleine attribution du CICE et des mesures fiscales et sociales adoptées dans le pacte de responsabilité. Nous lutterons contre les mesures discriminatoires de la loi de santé. Enfin, je m’engagerai au sein du Medef afin de renforcer la compétitivité de l’entreprise Santé en France.
D. S. Allez-vous rencontrer Frédéric Valletoux (NDLR : président de la FHF) ?
L.G. Nous avons fixé un rendez-vous. Mais j’aimerais surtout l’inviter à venir voir, loin des idées reçues, les patients que nous prenons en charge dans nos établissements. Il évaluera ainsi la qualité médicale et la lourdeur de certaines pathologies traitées dans les cliniques. Je lui lance cette invitation amicale.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature