«JAMAIS SANS DOUTE la cancérologie et l'hématologie n'ont été aussi rapidement évolutives», souligne le président d'Eurocancer, le Pr Michel Marty. Des progrès majeurs ont été réalisés dans la compréhension des mécanismes de cancérisation et de progression tumorale, dans la caractérisation des mécanismes moléculaires nécessaires à la survie des cellules malignes. Des progrès qui ont permis la mise au point d'outils diagnostiques, mais aussi l'identification de nouvelles cibles thérapeutiques.
Dans un rappel historique de vingt ans de recherche sur la biologie des cancers, le Pr Dominique Bellet note que, «en termes d'innovations, beaucoup d'illusions ont été perdues depuis le lancement par Richard Nixon, en 1971, du “plan de guerre contre le cancer”. Malgré d'immenses investissements, il a été considéré, vingt-cinq ans plus tard, que la science avait échoué face au cancer». Par la suite, lorsque le séquençage du génome humain a été annoncé, certains ont cru que cette avancée majeure permettrait l'identification des gènes de susceptibilité à la plupart des cancers et la mise au point de tests de dépistage. «Achevé en 2000, le séquençage n'a pas encore permis l'identification de l'ensemble de ces gènes. D'autres retombées espérées ne sont toujours pas apparues: la connaissance de notre génome devait aboutir à la découverte plus rapide d'un plus grand nombre de médicaments anticancéreux, prédiction qui reste encore une illusion», note le Pr Bellet.
En revanche, une meilleure connaissance de la biologie du cancer a conduit à de réelles innovations, comme le prédisait en 1995 Michael Bishop, prix Nobel de physiologie et de médecine en 1989 avec Harold Varmus pour la découverte des oncogènes. Il estimait, en effet, qu'il serait nécessaire d'avoir une vision globale des circuits moléculaires qui conduisent une cellule normale à devenir cancéreuse pour pouvoir identifier des cibles pertinentes de médicaments. C'est cette vision globale, rendue possible par les recherches de centaines d'équipes, qui a été résumée dans un article publié en 2000 dans « Cell » par Douglas Hanahan et Robert Weinberg. Il montre que, pour devenir cancéreuse, une cellule normale doit présenter six altérations clés : échapper à la mort cellulaire programmée, produire ses propres facteurs de croissance, devenir insensible aux facteurs anticroissance, avoir un potentiel réplicatif illimité, maintenir l'angiogenèse et avoir des capacités d'invasion et de migration conduisant au développement de métastases.
Des cibles pertinentes.
Les mécanismes moléculaires qui aboutissent à ces altérations passent par un nombre relativement limité de gènes et de protéines clés, qui ont ainsi été identifiés. Il a donc été possible de définir des cibles pertinentes pour de nouveaux médicaments. C'est ainsi que sont nées les thérapies ciblées, issues des progrès de la biologie et de ceux des biotechnologies. Ces thérapies sont ciblées à double titre, explique Dominique Bellet. A l'échelon cellulaire, elles ciblent un composant précis, tel un récepteur d'un facteur de croissance, comme le récepteur de l'EGF pour le cetuximab (Erbitux). Au niveau des malades, ces thérapies sont ciblées sur des groupes de patientes ou de patients dont les cellules cancéreuses expriment la cible et qui sont donc susceptibles de bénéficier du traitement. C'est le cas du trastuzumab (Herceptine) qui n'est destiné qu'aux patientes dont le cancer du sein exprime fortement le récepteur cellulaire HER2. «Là encore, la recherche sur la biologie des cancers a conduit à de réelles innovations puisqu'il existe aujourd'hui des tests pour sélectionner les patientes susceptibles de bénéficier de cette thérapeutique ciblée. » Bien que ces traitements ne concernent encore qu'un nombre limité de malades, ce sont de réelles innovations issues de la recherche sur la biologie des cancers, insiste Dominique Bellet, qui tient à préciser que ces avancées majeures n'ont été possibles que grâce à la recherche fondamentale, à l'interdisciplinarité et à la liberté des chercheurs.
Conférence de presse avec la participation des Prs Marie-Françoise Avril (groupe hospitalier Cochin - Saint-Vincent-de-Paul), Dominique Bellet (Centre René-Huguenin, Saint-Cloud), Michel Boiron (président-fondateur d'Eurocancer, Institut de génétique moléculaire, Paris), Michel Marty (président d'Eurocancer, hôpital Saint-Louis, Paris) et Claude Maylin (hôpital Saint-Louis, Paris).
Un défi pour la société
L'incidence des cancers n'a cessé d'augmenter au cours des vingt dernières années, même si la courbe ascendante semble se stabiliser depuis peu, souligne le Pr Michel Boiron, président-fondateur d'Eurocancer. Le cancer du sein, par exemple, est passé de 20 000 à 40 000 cas annuels. Mais, grâce à l'amélioration du dépistage, aux progrès de l'imagerie et de la thérapeutique, lorsqu'il est pris en charge très précocement, le taux de guérison atteint 90 %. Et pourtant, en termes de santé publique, on piétine : l'adhésion des femmes au dépistage systématique n'est aujourd'hui que de 49 %. Or pour obtenir une diminution significative de la mortalité, il faut qu'au moins 60 % des femmes se fassent régulièrement dépistées, précise le Pr Michel Marty, président d'Eurocancer.
«Le cancer reste donc un défi majeur pour les générations à venir», affirme Michel Boiron, un défi pour la recherche, mais aussi un défi pour la société et pour les politiques, précise-t-il. «La mise en place du plan Cancer constitue à cet égard un pas important, la création de l'Institut national du cancer également», ajoute-t-il.
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