PRATIQUE
Eruption des membres inférieurs chez un sans-domicile fixe
M. Jacques B., 57 ans, est hospitalisé en janvier 2001 pour une éruption des membres inférieurs.
Ce patient est sans domicile fixe mais reste bien compliant aux consultations médicales. Il s'agit un patient éthylique sevré, mais avec des troubles mnésiques notables. Il est également tabagique, environ 30 paquets/années.
Ses antécédents sont marqués par un polytraumatisme dans l'enfance. Enfin, on retrouve des épisodes de pédiculose à Pediculus corporis.
L'histoire débute mi-décembre 2000, où le patient consulte son médecin traitant pour une éruption infiltrée ne s'effaçant pas à la vitropression des membres inférieurs.
Devant la suspicion de purpura, le patient est alors adressé en médecine interne, mais les aléas de son état mnésique font que le patient consulte quinze jours après la découverte des lésions.
A l'examen, il n'existe pas d'altération de l'état général, la température est à 37,6 °C, la tension artérielle est à 14/8, le pouls à 80/mn. Les lésions cutanées ont quasiment disparu, il n'en persiste que des cicatrices pigmentées et quelques lésions d'allure évolutive, un peu infiltrées. L'auscultation cardiaque retrouve un souffle piaulant 4/6 systolique au foyer aortique sans irradiation. Il n'y a pas de signes d'insuffisance cardiaque. Il existe un mauvais état dentaire. Le reste de l'examen est normal. L'ECG est normal.
Le bilan biologique à l'entrée montre 5 100 leucocytes/mm3, avec 61 % de PNN, 1 % de PNE, 1 % de PNB, 27 % de lymphocytes, 10 % de monocytes ; hémoglobine 11,6 g/dl, VGM 99 ; plaquettes 124 000/mm3. Fibrinogène : 4,4 ; VS 60 mm à la 1re heure ; CRP : 46,6 mg/l. Ionogramme plasmatique : Na+ : 132 mmol/l ; K+ : 4,2 mmol/l ; Cl : 99 mmol/l ; créatinémie : 10 mg/l, urée : 0,20 g/l. TGO : N, TGP : N, bilirubine totale : 8 mg/l, phosphatase alcalines : 180 U/l, GGT : 20 U/l.
Question 1 : Quelles sont la ou les caractéristiques séméiologiques du purpura vasculaire par rapport au purpura thrombopénique ?
a) Diffus.
b) Infiltré.
c) Déclive.
d) Présence de gingivorragies associées.
e) Favorisé par l'orthostatisme.
Réponse : b-c-e
Le purpura est caractérisé par une tache cutanée de couleur rouge pourpre, due à une extravasation de sang dans le derme. La caractéristique pathognomonique de cette lésion est qu'elle ne s'efface pas à la vitropression. On peut retrouver des pétéchies, des ecchymoses ou des vibices. Deux grands cadres étiologiques se distinguent : le purpura thrombopénique et le purpura vasculaire. Classiquement, le purpura vasculaire est pétéchial, infiltré, parfois nécrotique déclive et donc aggravé par l'orthostatisme.
Question 2 : Dans ce cas clinique, hormis les explorations déjà pratiquées, quelle est ou quelles sont celles à pratiquer impérativement et rapidement ?
a) Echographie abdominale.
b) Echographie cardiaque.
c) Hémocultures.
d) Bandelette urinaire.
e) Aucune de ces explorations.
Réponse : b-c-d
Un purpura vasculaire doit, en premier, faire éliminer un purpura infectieux dont les grandes étiologies sont le purpura fulminans, grande urgence pédiatrique (ce n'est pas le contexte ici) ; l'endocardite infectieuse ; les septicémies à Gram positif ; des complications de certaines maladies infectieuses éruptives comme la varicelle, la rougeole, la scarlatine.
Ici, l'existence d'un souffle cardiaque doit faire éliminer une endocardite infectieuse ; même s'il n'existe pas d'hyperthermie franche : 10 % des endocardites sont non fébriles. La réalisation d'une échographie et d'hémocultures est donc impérative. Par ailleurs, une bandelette urinaire fait partie de l'examen clinique dans le cadre d'un purpura vasculaire.
Question 3 : Si l'étiologie du purpura est une vascularite, quelle(s) est (sont) le(s) autre(s) atteinte(s) grave(s) et fréquente(s) à rechercher impérativement ?
a) Neurologique.
b) Oculaire.
c) Rénale.
d) Digestive.
e) Cardiaque.
Réponse : a-c-d
Les étiologies non infectieuses des purpuras vasculaires sont multiples et répertoriées dans le tableau 2.
Les vascularites systémiques non infectieuses forment un groupe inhomogène de pathologies selon le type de vaisseaux atteints. Globalement, leurs complications les plus classiques et les plus graves sont : l'atteinte rénale, l'atteinte neurologique périphérique (mononeuropathie multiple) ou centrale, l'atteinte digestive. L'atteinte cardiaque est plus rare.
Question 4 : Si l'étiologie de ce purpura se révèle être une endocardite infectieuse, quelles sont les autres manifestations cliniques systémiques que l'on peut retrouver dans ce contexte ?
a) Polyarthrite.
b) Glomérulonéphrite.
c) Lésions cutanées périunguéales.
d) Nodules rhumatoïdes.
e) Accident vasculaire cérébral.
Réponse : a-b-c-e
Les manifestations systémiques de l'endocardite sont multiples, cette infection étant assimilée à une maladie à complexes immuns. La différence entre les manifestations de la vascularite et celles liées aux embols périphériques est parfois difficile à distinguer. On peut donc trouver une polyarthrite non infectieuse et également d'authentiques arthrites septiques (par métastases septiques articulaires) ; des lésions cutanées : purpura, classiques faux panaris d'Osler, stries unguéales, érythèmes de Janeway ; lésions rétiniennes : nodules de Roth ; les anévrismes mycotiques ; les embols septiques (rate, foie, rein, cerveau à rechercher systématiquement) ; une atteinte rénale est également fréquente et de divers mécanismes.
Question 5 : Dans le contexte de ce patient, quel est ou quels sont le ou les diagnostic(s) prioritaire(s) ?
a) Endocardite infectieuse à streptocoques.
b) Périartérite noueuse.
c) Purpura rhumatoïde.
d) Endocardite à Bartonella quintana.
e) Purpura à IgA des hépatopathies.
Réponse
Le contexte de purpura plus souffle cardiaque doit faire évoquer préférentiellement une endocardite infectieuse. Ici, on peut suspecter une endocardite à germes buccaux, principalement les streptocoques en raison du mauvais état dentaire du patient. Mais les antécédents de pédiculose doivent faire évoquer une infection à Bartonella quintana, germe responsable de fièvre au long cours et d'endocardite chez les patients très précaires. Cette endocardite entre dans le groupe des endocardites à hémocultures négatives. En effet, ce germe du groupe des rickettsies ne se développe que sur des milieux spéciaux. Le diagnostic est généralement fait sur une sérologie de Bartonella fortement positive. Pour notre patient, la sérologie était positive à un titre élevé, les hémocultures adressées au centre de référence sont restées négatives ; par contre, la valve aortique adressée en postopératoire dans ce même laboratoire est revenue positive en PCR pour Bartonella quintana. Le traitement initial par biantibiothérapie associant pénicilline A et aminoside intraveineux, suivi d'une monothérapie par pénicilline A n'évita pas le remplacement valvulaire chirurgical.
Les infections à Bartonella font partie des infections émergentes. En effet, B. quintana a été initialement décrite durant la première guerre mondiale comme agent étiologique de la fièvre des tranchées. De nouvelles descriptions d'infection à ce germe ont été faites en 1992 chez les patients séropositifs pour le VIH sous la forme de d'angiomatose bacillaire. Depuis la crise économique et l'apparition de la « précarité », cette bactérie est décrite dans des septicémies chroniques et des endocardites, en particulier chez les patients sans domicile fixe puisque elle est transmise par les poux de corps.
D'où : Une histoire de poilu (de la guerre de 1914), et atmosphère de bar et de tonnelles (Bartonelle) !
Purpura thrombopénique ou vasculaire
Purpura thrombopéniquePurpura vasculaire
DiffusDéclive (lombes si alitement)
Cutanéo-muqueuxCutané
Pétéchial ou ecchymotiquePétéchial/nécrotique
Hémorragies des muqueusesPas d'hémorragies
ThrombopénieGénéralement non ou modérée
Principales causes des purpuras vasculaires (liste non exhaustive)
1. Causes infectieuses
a) Bactéries :
Méningoccoque, streptocoque, Mycoplasma pneumoniae, Mycobacterium , Rickettsies, Bartonella, endocardites d'Osler.
b) Virus :
Hépatite B, Herpes simplex, varicelle zona, Epstein Barr, cytomégalovirus, rubéole, Parvovirus B19
2. Vascularite d'hypersensibilité médicamenteuse
a) Maladies « dysimmunitaires »
Déficit congénital en fraction du complément, déficit en a1 antitrypsine, cryoglobulinémies mixtes, vascularite hypocomplémentémique de Mc Duffie, lupus érythémateux systémique, dermatomyosites.
b) Vascularites
Périartérite noueuse, Shurg et Strauss, maladie de Wegener, polychondrite atrophiante, syndrome de Cogan, micropolyangéite, purpura rhumatoïde.
c) Néoplasie
Hémopathies, cancers solides.
d) Autres
Embolies de cristaux de cholestérol, rectocolite ulcéro-hémorragique, sarcoïdose, amylose, facteurs physiques (froid, traumatisme).
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