Bayrou ne donne pas de consigne de vote

L'équation insoluble du centre

Publié le 13/06/2007
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DE TOUTE FAÇON, la consigne de vote est un exercice plus qu'aléatoire : on peut la suivre ou non. Quand les socialistes estiment que M. Bayrou doit agir « conformément à ce qu'il dit », à savoir qu'il souhaite une plus grande diversité au Parlement, ils poussent un peu loin l'extrapolation. M. Bayrou, en effet, ne peut pas ignorer la chute de popularité qu'il vient de subir, en passant de 18 % à la présidentielle à 7,4 % aux législatives. Il peut l'attribuer à plusieurs facteurs, mais l'hypothèse selon laquelle son « flirt » avec Ségolène Royal entre le 6 et le 20 mai a déçu beaucoup de ses partisans pour lesquels le centre, par définition, ne doit pas être inféodé à la gauche, nous semble très vraisemblable.

Le pire moment.

M. Bayrou n'a donc pas voulu persévérer dans l'erreur. Il y a des idées, pour ne pas dire une idéologie, qui sont centristes. Le centre n'est pas de gauche et ne saurait s'identifier à la gauche ; et s'il est classé à droite, c'est précisément parce qu'il rejette le marxisme et qu'il préfère une gestion libérale de l'économie.

Mais en même temps qu'il n'est pas de gauche, le centre peut trouver beaucoup de vertus aux gens de gauche car ils en ont. La notion de social-démocratie, particulièrement vaste en ce sens qu'elle ménage l'économie libérale tout en se préoccupant du sort des plus faibles, peut réunir la gauche et le centre. Malheureusement, le pire moment pour un rapprochement de ce genre, c'est la période électorale. Rejoindre la gauche pour des raisons de fond, pourquoi pas ? Mais la rejoindre pour qu'elle gagne des voix et donc se présenter comme une force hostile à la droite, c'est infiniment délicat, notamment par rapport aux électeurs centristes eux-mêmes. Si les députés UDF ont rallié massivement l'UMP sous un sigle nouveau, c'est parce qu'ils croient plus à la réforme de Sarkozy qu'au projet inconsistant du PS. A supposer que François Bayrou ne fasse pas ce raisonnement, il ne peut pas ignorer que le mouvement, le changement, la dynamique sont avec Sarkozy, pas avec la gauche. Aller au secours de la gauche affaiblie alors qu'elle a déjà reçu trois coups de boutoir et que la droite va lui porter dimanche le coup de grâce, c'était jouer le rôle du général Grouchy, celui qui n'est pas arrivé à temps à Waterloo pour sauver Napoléon.

Mais au-delà des difficultés conjoncturelles de François Bayrou, la question du centre se pose de façon durable : comme il n'est ni de droite ni de gauche, il lui arrive d'être les deux à la fois.

Il se situe donc dans une telle ambiguïté que, bien que des centristes aient participé aux gouvernements Raffarin et Villepin, les députés UDF ont refusé de voter certaines lois des mêmes gouvernements ; et le président de l'UDF s'est dressé contre l'UMP à l'occasion des élections de 2007. Contrairement à ce qu'a pu croire Ségolène Royal, M. Bayrou n'a jamais changé de philosophie ; il a d'ailleurs présenté un programme propre à diminuer la hausse des impôts et la redistribution des recettes de l'Etat. La gauche et le centre peuvent tomber d'accord sur des valeurs comme la liberté d'expression, ou la diversité du Parlement, ou la pluralité des cultures, mais s'il s'agit de ces valeurs-là, la droite d'aujourd'hui a les mêmes. Tout au plus peut-on admettre que, sur l'immigration et la sécurité, le centre est plus « humaniste » que la droite sarkozyste.

Tout ce qui fait la différence entre la droite et la gauche, ce n'est pas la morale ou la culture, ce sont les choix économiques et sociaux. Personne ne peut prétendre, et surtout pas M. Bayrou, que le centrisme est maintenant tenté par les solutions collectivistes, alors que le monde entier tourne le dos à ces solutions et que, si la gauche française a un problème, c'est d'avoir été incapable jusqu'à présent, par entêtement, par vanité, par refus d'imiter les exemples étrangers, de changer en profondeur son projet de société.

Pas le choix. Dans ces conditions, le centre n'a pas le choix entre deux tropismes, de droite et de gauche ; il ne peut pas pencher à gauche tant que la gauche n'a pas injecté dans son programme la dose indispensable (et élevée) de libéralisme économique ; il ne peut pas feindre de croire qu'il n'existe pas de différence entre une droite ouverte et une gauche ouverte. Il est condamné à rester du côté de la droite. C'est tellement vrai que le score de M. Bayrou a fait une chute brutale. Un malentendu s'est créé entre M. Bayrou et ses électeurs : ils attendaient de lui qu'il fût une alternative à M. Sarkozy, qu'ils n'aimaient pas. Mais ils entendaient que M. Bayrou demeurât seul, qu'il arrivât au second tour et l'emportât contre M. Sarkozy. Cet exploit, il n'a pu l'accomplir. Ce n'est pas une raison pour que ses électeurs acceptent le PS sous forme de succédané. Le centre, loin d'avoir progressé avec M. Bayrou, étouffe. Il est divisé et sa partie la plus forte vit dans le milieu UMP. Sa partie la plus faible sera à peine représentée à l'Assemblée nationale et n'est pas en mesure d'atténuer la défaite de la gauche au second tour des législatives.
> RICHARD LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8185