LE PREMIER MINISTRE s’appuie sur d’excellents arguments : dimanche, il a souligné un point qui nous semble essentiel : il y a eu, en novembre, des émeutes dans les cités qui appelaient une action sociale en faveur des jeunes qui ne trouvent pas d’emploi et sont en majorité issus de l’immigration. Les syndicats et l’opposition ont eu vite fait de l’oublier. Ce ne sont pas les étudiants, qui ont tout cassé la semaine dernière à la Sorbonne, qui sont vraiment concernés par le CPE ; ce sont les jeunes non qualifiés qui n’auront une compétence que s’ils accèdent à un emploi à la fois rémunérateur et formateur. Conformément à une attitude constante depuis des décennies, ceux qui ont un emploi (personnels syndicalisés) et ceux qui ont les meilleures chances d’en obtenir un (étudiants) rejettent une réforme qui donnerait quelques chances supplémentaires aux oubliés du marché de l’emploi, en échange d’une prise de risque pour l’ensemble des demandeurs d’emploi. En France, on défend les droits de ceux qui ont un travail, pas les droits de ceux qui n’en ont pas. De sorte que manifester le coeur sur la main en faveur des droits acquis, c’est faire preuve d’égoïsme.
« Il nous envoie les CRS ! »
C’est pourquoi le déchaînement de violence à la Sorbonne n’avait aucune raison d’être. A entendre les étudiants interrogés par les médias, on s’indigne parfois des propos qu’ils tiennent. «Nous interrogeons le gouvernement, il nous envoie les CRS», affirmait une jeune fille quelque peu candide qui ne semble pas avoir vu l’état de la Sorbonne la semaine dernière. On a envoyé les CRS pour rétablir l’ordre, pas pour répondre aux questions des étudiants. Et le gouvernement qui ne les aurait pas envoyés aurait été immédiatement sanctionné. Peut-être y avait-il une meilleure façon de lui poser les questions ?
Les propositions faites dimanche dernier par le chef du gouvernement améliorent le CPE en ce sens qu’elles en réduisent la précarité ; elles créent un accompagnement du nouveau salarié qui, s’il est licencié prématurément, est pris en charge par la collectivité. Elles devraient donc convenir aux syndicats, aux étudiants et à l’opposition. On pourrait même s’inquiéter de la charge que représentent ces mesures complémentaires pour la communauté nationale.
Bien entendu, elles sont violemment rejetées, parce que tout est politique et qu’il s’est produit autour du CPE une émulation des esprits voués à jeter sur lui un discrédit définitif. A la veille de l’intervention télévisée de Dominique de Villepin, François Hollande déclarait : «C’est le retrait du CPE pur et simple que nous attendons de Villepin.» Or le premier secrétaire du PS savait fort bien que le Premier ministre ne pouvait pas renoncer à une loi qu’il a fait voter. En conséquence, le fond de l’affaire n’intéresse plus personne, ni l’opposition, qui veut briser Villepin et sa carrière, ni les syndicats, qui veulent montrer qu’ils ont encore du répondant, ni les étudiants, qui sont toujours disponibles pour ridiculiser leurs aînés. Ce qui compte, c’est de faire plier l’autre.
Tout cela en dit long sur la façon dont les affaires les plus sérieuses sont traitées en France. L’alliance de circonstance entre les étudiants et les syndicats n’est guère convaincante, mais bien sûr il s’agit d’épouvanter le pouvoir en agitant le spectre de 1968. On sait que la jeunesse aime bien en découdre ; elle devrait néanmoins se méfier de ces bastions du conservatisme que sont le mouvement syndical et la gauche bien-pensante.
CE N'EST PLUS LE CPE QUI COMPTE : CEST DE FAIRE PERDRE LA FACE A L'AUTRE
Questions qui dérangent.
Tout cela n’excuse pas le gouvernement en général et son chef en particulier. Comment est-il possible que l’on ait fait voter la loi sur l’égalité des chances à la hussarde sans avoir au préalable mesuré les conséquences sociales de cette action ? A quoi sert de faire preuve d’autorité si, après l’émeute de la Sorbonne, le Premier ministre vient à la télévision pour apporter des éclaircissements qui changent profondément le CPE en lui donnant presque une profondeur humaniste ? Et comment a-t-on pu prévoir un «timing» aussi mauvais (les assurances ont été fournies après l’adoption de la loi) ? Pourquoi, d’ailleurs, l’accompagnement de la première embauche n’a-t-il pas été inscrit dans le texte qui a été voté ?
Parce que ce n’était pas prévu, pardi ! J’applique la loi, mais je la change, nous dit Villepin. Non, répond l’opposition, il faut abolir la loi. Voilà comment un problème lancinant, resté sans solution depuis un quart de siècle, se résume aujourd’hui à un bras de fer entre deux forces hostiles l’une à l’autre qui ne veulent perdre la face ni l’une ni l’autre.
Si le pays se révolte au point de briser le gouvernement, c’est-à-dire le CPE, Villepin et ses ambitions, ce sont les chômeurs qui y perdront, car ils seront privés d’un instrument qui, en dépit de toutes les propagandes, aurait assuré l’insertion professionnelle de centaines de milliers de jeunes. Si la révolte fait long feu, demain notamment, le Premier ministre aura confirmé sa tendance à foncer trop vite vers des conflits, comme il l’a fait naguère à propos de l’Irak, en entraînant avec lui beaucoup de gens et en détruisant beaucoup d’espoirs. L’essentiel, comme il l’a dit lui-même, ce n’est pas sa petite personne. L’essentiel, c’est de sortir le pays du marasme. Nous n’en avons pas pris le chemin. Tout le monde demande au chef de l’Etat d’intervenir. Mais il est pour le CPE. S’il désavoue Villepin, il se désavoue lui-même. Encore que, si les apparences sont sauves...
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