« DEPUIS 2002, le nombre de femmes vivant avec le VIH s'est accru dans toutes les régions. C'est l'Asie de l'Est qui connaît l'augmentation la plus forte, avec 56 % en deux ans, suivie de l'Europe orientale et de l'Asie centrale avec 48 %. » Le rapport annuel de l'Onusida, publié à quelques jours de la Journée mondiale consacrée au thème « Femmes, filles, VIH et sida », souligne encore une fois l'impact croissant de l'épidémie dans la population féminine. Tous sexes et âges confondus, la prévalence de l'épidémie a atteint son niveau le plus élevé en 2004 avec 35,9-44,3 millions de personnes vivant avec le virus. Sa forte progression dans la population féminine inquiète : en 1998, les femmes ne représentaient que 41 % des adultes vivant avec le VIH, aujourd'hui un peu moins d'une personne infectée sur deux est une femme. Les régions les plus touchées sont celles où les rapports hétérosexuels sont le mode dominant de transmission du VIH. En Afrique subsaharienne, où vivent trois quarts des femmes infectées par le virus, la proportion est de 57 % et on estime qu'elles ont 1,3 fois plus de risque d'être infectées par le VIH que leurs homologues masculins. Les jeunes entre 15 et 24 ans sont particulièrement vulnérables, avec un tableau inquiétant en Afrique du Sud, en Zambie et au Zimbabwe, où le risque pour une jeune femme d'être infectée est 3 à 6 fois plus élevé que pour un jeune homme. Aux Caraïbes, la proportion de femmes atteintes est de 50 %, avec un risque deux fois plus élevé chez les jeunes femmes (de 15 à 24 ans) que chez leurs homologues masculins.
Dans les autres régions, la plupart des infections sont provoquées par l'injection de drogues au moyen de matériel contaminé, par des rapports sexuels non protégés entre les hommes et par le commerce du sexe. Cependant, « au fur et à mesure de l'implantation de l'épidémie, le nombre de femmes infectées va en augmentant », rappelle le rapport. D'autant plus que, dans ces régions, une proportion importante d'hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes en ont aussi avec des femmes.
Ainsi, en Amérique latine, les femmes représentent maintenant 36 % des adultes vivant avec le VIH, alors que l'épidémie s'est en grande partie installée parmi les hommes ayant des rapports avec des hommes et parmi les consommateurs de drogues. En Europe orientale et en Asie centrale, la proportion de femmes ne cesse également de croître. La Fédération de Russie connaît la plus importante épidémie de la région, les femmes représentant 38 % des personnes qui ont été diagnostiquées séropositives en 2003 contre 24 % deux ans plus tôt. En Asie de l'Est, le pourcentage de femmes vivant avec le VIH est de 22 % parmi les adultes (28 % parmi les jeunes de 15 à 24 ans). Le constat est le même partout : en Asie du Sud et du Sud-Est (30 % des adultes et 40 % des jeunes), en Inde, au Cambodge, Myanmar ou Thaïlande.
Mais le phénomène est aussi manifeste dans les pays industrialisés de l'Europe occidentale et de l'Amérique du Nord dans lesquels un quart environ des personnes vivant avec le VIH sont des femmes. Comme dans les autres régions, il se produit dans un contexte de graves inégalités. Aux Etats-Unis, l'épidémie s'installe de plus en plus parmi les femmes qui appartiennent à des segments marginalisés, les minorités, les immigrants ou les réfugiés.
VIH et sida à la fin de 2004 |
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Adultes & enfants vivant avec le VIH |
Nouveaux cas d'infection par le VIH chez les adultes et les enfants |
Prévalence chez les adultes (%)* |
Décès dus au sida chez l'enfant et l'adulte |
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Afrique subsaharienne | 25,4 millions | 3,1 millions | 7,4 | 2,3 millions |
Afrique du Nord & Moyen-Orient |
540 000 | 92 000 | 0,3 | 28 000 |
Asie du Sud & du Sud-Est |
7,1 millions | 890 000 | 0,6 | 490 000 |
Asie de l'Est | 1,1 million | 290 000 | 0,1 | 51 000 |
Amérique latine | 1,7 million | 240 000 | 0,6 | 95 000 |
Caraïbes | 440 000 | 53 000 | 2,3 | 36 000 |
Europe orientale & Asie centrale |
1,4 million | 210 000 | 0,8 | 60 000 |
Europe occidentale et centrale |
610 000 | 21 000 | 0,3 | 6 500 |
Amérique du Nord | 1 million | 44 000 | 0,6 | 16 000 |
Océanie | 35 000 | 5 000 | 0,2 | 700 |
Total | 39,4 millions | 4,9 millions | 1,1 % | 3,1 millions |
* Proportion d'adultes (de 15 à 49 ans) vivant avec le VIH en 2004, d'après les statistiques démographiques de 2004. |
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(Source : Onusida-OMS) |
Une prévention peu adaptée.
Les auteurs mettent en cause des stratégies de prévention jusqu'ici peu adaptées. « Un grand nombre de stratégies relatives au VIH présupposent un monde idéal dans lequel chacun est égal et libre de faire des choix éclairés et de décider de ne pas avoir de rapports sexuels, de demeurer fidèle à son partenaire ou d'utiliser systématiquement le préservatif », notent-ils.
Les facteurs de vulnérabilité des femmes et des jeunes filles sont enracinés dans les rapports sociaux et les réalités économiques de leurs sociétés. Les programmes qui tentent de persuader les jeunes filles de s'abstenir de rapports sexuels jusqu'au mariage se révèlent souvent inutiles. Dans certaines régions, le principal facteur de risque d'infection à VIH pour une femme est le fait qu'elle reste fidèle à un conjoint qui a - ou a eu - d'autres partenaires sexuels. Au Kenya et en Zambie, une étude multicentrique a mis en évidence des niveaux d'infection à VIH plus élevés de 10 % chez les femmes mariées que chez les célibataires sexuellement actives. Dans un contexte de pauvreté, les relations sexuelles sont utilisées comme une marchandise pour échanger des biens, des services, de l'argent, un logement ou d'autres articles de première nécessité. « Ces rapports transactionnels sont courants dans les pays d'Asie, des Caraïbes et d'Afrique subsaharienne », affirme le rapport. Ils ont souvent lieu avec des hommes plus âgés, ce qui constitue un facteur aggravant. Le risque de contracter l'infection aux cours de rapports vaginaux sans protection est deux fois plus grand pour les femmes que pour les hommes, d'autant plus que la femme est jeune.
Pour de nombreuses jeunes filles, la violence et la coercition accompagnent leur première expérience sexuelle et on retrouve une forte corrélation entre les abus sexuels et le risque pour les femmes d'être infectées par le VIH. De plus, la crainte de la violence freine l'accès à l'information, au test de dépistage et au traitement précoce, en cas de doute d'une possible contamination.
Un accès moindre au traitement.
Ces situations sont souvent le reflet d'un déséquilibre des pouvoirs : inégalité des droits d'héritage et de propriété, accessibilité moindre à l'éducation. « Sur le plan international, les hommes ont généralement un meilleur accès à la prise en charge et au traitement du sida, là où les traitements sont surtout dispensés par le secteur privé et dans le cadre des essais des médicaments », souligne encore le rapport. A peine 1 % des femmes enceintes des pays fortement touchés bénéficie d'une prévention de la transmission mère-enfant. Rares sont d'ailleurs les services qui fournissent un traitement antirétroviral aux mères qui en auraient besoin.
Le recours à des moyens de prévention qui puissent être contrôlés par les femmes elles-mêmes pourrait être une solution. Le préservatif féminin exige une part de négociation et de coopération avec les hommes et il est encore beaucoup plus coûteux que le préservatif masculin. Les microbicides ne seront pas disponibles avant cinq ou sept ans.
« L'information et la sensibilisation ne suffisent pas », insistent les auteurs. Les efforts de prévention doivent s'attaquer aux inégalités sexospécifiques qu'il convient de comprendre et d'inclure dans les programmes. Enfin, « il est tout aussi important que les femmes soient associées à la conception et au fonctionnement des programmes censés les aider ».
Neuf personnes sur dix ne bénéficient pas des ARV
Parmi les 39,4 millions de personnes qui vivent avec le VIH, 4,9 millions ont contracté le virus en 2004. L'épidémie a tué 3,1 millions personnes au cours de l'année écoulée. C'est la plus forte prévalence jamais enregistrée. Toutes les régions sont concernées, mais les augmentations les plus fortes se sont produites en Asie de l'Est (plus de 50 % entre 2002 et 2004), en Europe orientale et en Asie centrale.
L'Afrique subsaharienne reste de loin la région la plus touchée mais avec une tendance à la stabilisation, avec une prévalence de 7,4 % pour l'ensemble la région. Mais, prévient le rapport, derrière la constance apparente « se cachent des réalités dévastatrices, en particulier en Afrique australe, où se produisent un tiers de tous les décès liés au sida dans le monde ».
A l'échelle mondiale, le financement est passé de 2,1 milliards de dollars en 2001 à 6,1 milliards en 2004 et l'accès aux services de prévention et de prise en charge s'est amélioré. En dépit de ces progrès, neuf personnes sur dix qui en auraient besoin ne bénéficient pas des antirétroviraux. Seulement 440 000 personnes dans les pays à faibles et moyens revenus sont sous ARV. « Si ce faible taux de couverture se maintient, 5 à 6 millions de personnes mourront du sida au cours des deux prochaines années. »
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