« PLUS DE VINGT ANS et 20 millions de décès après le premier diagnostic de sida en 1981, près de 38 millions de personnes (entre 34,6 et 42,3 millions) vivent avec le VIH. » Dans le rapport 2004 de l'Onusida, une fois encore, les données épidémiologiques indiquent une progression de l'épidémie qui reste très dynamique et se développe en changeant de caractère lorsque le virus exploite de nouvelles occasions de transmission. Entre 2001 et 2003, près de 5 millions de nouvelles infections ont été enregistrées, ce qui représente le « chiffre annuel le plus élevé depuis le début de l'épidémie. »
Celle-ci se caractérise par une féminisation de plus en plus grande et une prévalence importante chez les plus jeunes. En 2003, la moitié des personnes vivant avec le VIH étaient des femmes (57 % en Afrique subsaharienne), alors que 50 % des nouvelles infections concernaient les 15-24 ans.
Toutes les régions du monde sont concernées. En premier lieu, l' Afrique subsaharienne, qui n'abrite guère plus de 10 % de la population mondiale mais représente près de deux tiers du total des personnes infectées par le VIH (3 millions de nouvelles infections et 2,2 millions de décès, soit 75 % de l'ensemble des décès). Les prévalences y sont extrêmement variables (de 1 % dans certains pays à 20 % dans d'autres) et on ne peut décrire dans cette région une « épidémie typique ». L'Afrique australe, notamment, enregistre des taux très élevés : Botswana et Swaziland en tête (38 % et 38,2 %), suivis par le Lesotho (28,9 %), le Zimbabwe (24,6 %), l'Afrique du Sud (21,5 %), la Namibie (21,3 %) et la Zambie (16,5 %).
Aucun élément ne peut à lui seul expliquer cette virulence. Serait plutôt en cause une combinaison de facteurs, tels que la pauvreté, le déséquilibre social, le taux élevé d'autres infections sexuellement transmissibles, le statut d'infériorité des femmes, la violence sexuelle, la mobilité de la population, un leadership inefficace, surtout à des périodes critiques de l'épidémie.
En Afrique occidentale, la prévalence n'excède jamais les 10 % : au Sénégal, il est de 1 % (sauf chez les professionnels du sexe où des taux de 14 ou 23 % sont observés) et en Côte d'Ivoire, de 7 % (l'un des taux les plus élevés). Cependant, « aucun pays n'a connu de recul aussi important de son épidémie que l'Ouganda, où le taux de prévalence est passé de 12 % au début des années 1990 à 4,1 % en 2003 », note le rapport.
Situation préoccupante en Asie.
L'Afrique, mais aussi l' Asie, où la situation est de plus en plus préoccupante. La « croissance (de l'épidémie y) est la plus rapide au monde », préviennent les auteurs du rapport. Plus de 1 million de nouveaux cas ont été recensés pour la seule année 2003, soit davantage que toutes les années précédentes. Or, cette partie du monde comprend les deux pays les plus peuplés - la Chine et l'Inde qui comptent, à eux deux, 2,25 milliards d'habitants, soit près de 60 % de la population du globe. La prévalence nationale y est encore très faible (0,1 % en Chine et 0,4-1,3 % en Inde), mais on estime que « 10 millions de Chinois risquent d'être infectés d'ici à 2010 si une action énergique n'est pas engagée ». Et déjà, avec 5,1 millions, l'Inde compte, après l'Afrique du Sud, le plus grand nombre de personnes vivant avec le VIH. En Asie du Sud, existent par ailleurs des signes avant-coureurs de graves flambées d'infection par le VIH, en raison du recours croissant aux drogues injectables et au commerce du sexe, avec, en parallèle, une couverture des programmes de prévention inadéquats du fait de la stigmatisation et de la discrimination.
En Europe orientale et en Asie centrale, 1,3 million de personnes vivent avec le virus ; ils n'étaient que 160 000 en 1995. La consommation de drogues injectables constitue le principal moteur de l'épidémie. La Russie, qui compte plus de 3 millions de consommateurs, est le pays le plus gravement atteint.
En Amérique latine, où vivent 1,6 million de personnes infectées, le matériel d'injection contaminé est aussi en cause. Au Brésil, où la prévalence est de 1 %, certaines villes atteignent des niveaux d'infection supérieur à 60 % chez les consommateurs de drogues. Mais la transmission sexuelle est importante et dans beaucoup de pays, le nombre d'hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes et des femmes fait que « les conditions sont réunies pour une propagation plus large du virus », indique l'Onusida. Avec une prévalence de 5,6 %, Haïti reste le pays le plus touché des Caraïbes où l'épidémie poursuit sa progression : 2 millions de personnes vivent avec le virus (250 000 nouvelles infections pour 120 000 décès en 2003). Enfin, si les 1,6 million de personnes qui vivent avec le virus dans les pays à revenu élevé, bénéficient d'un accès aux ARV étendu et d'une espérance de vie en augmentation, le nombre de nouveaux cas est encore élevé : 50 000 aux Etats-Unis et 40 000 en Europe occidentale entre 2001 et 2003 (soit respectivement 950 000 au lieu de 900 000 et 580 000 au lieu de 540 000).
Choix de vie ou de mort.
En dépit des progrès accomplis, la situation est telle, affirme le rapport « qu'aujourd'hui nous sommes confrontés à des choix de vie et de mort. Sans une action de grande ampleur, l'épidémie mondiale continuera à devancer la riposte ». La réponse doit s'articuler autour de « politiques fondées sur la science et non sur la rhétorique politique ». L'accès aux ARV et la prise en charge des autres maladies liées au VIH restent encore limités, même si les « conditions n'ont jamais été aussi favorables » : volonté politique et ressources financières sans précédent. Cependant, « neuf sur dix des personnes qui ont besoin d'urgence d'un traitement n'en bénéficient pas ». La prévention reste une priorité . L'accès aux traitements ne pourra être maintenu que si le nombre de nouvelles infections par le VIH est nettement réduit. A l'inverse, l'accès élargi aux ARV et aux autres traitements constitue une chance unique et devrait encourager un grand nombre de personnes à connaître leur sérologie VIH. Aujourd'hui cependant, moins d'un cinquième des personnes qui en ont besoin n'ont pas accès à un service de prévention.
Enfin, le financement de la riposte, bien qu'en progrès est insuffisant. En 2003, 5 milliards de dollars étaient disponibles, alors qu'on estime que 12 milliards par an seront nécessaires d'ici à 2005 (voir encadré). Surtout, il existe, dans un grand nombre de pays, de sérieux blocages à leur utilisation efficace. « Aussi longtemps que nous ne reconnaîtrons pas le sida comme le problème de notre temps en matière de développement et de sécurité, nous ne réussirons pas à maîtriser l'épidémie », a conclu le directeur exécutif de l'Onusida, le Dr Peter Piot, lors de la présentation du rapport.
* Voir « le Quotidien » du 6 juillet.
Les nouveaux financements
Lorsque l'Onusida a été créée en 1996, les dépenses consacrées au sida dans les pays à faible et à moyen revenus s'élevaient à 300 millions de dollars. En 2003, cette somme a été multipliée par 15 : 5 milliards de ressources disponibles provenant de donateurs, du système des Nations unies, des organisations non gouvernementales internationales, des gouvernements et des dépenses individuelles de patient et leur famille. Deux tiers du financement mondial pour 2005 et les années suivantes devraient provenir de la Communauté internationale.
- Fonds mondial contre le sida, le paludisme et la tuberculose : 2,1 milliards de dollars déjà engagés sur deux ans auxquels s'ajoutent les 900 millions de dollars attribués lors du 4e tour du 28 et 29 juin 2004. En deux ans, 3 milliards de dollars auront été engagés (60 % pour le sida et 60 % pour l'Afrique).
- Banque mondiale : 1,5 milliard de dollars engagés sur deux programmes : MAP et TAP (distribution d'ARV par le monde communautaire).
- Fonds gouvernemental américain ou Pepfar, lancé par le président George W. Bush : 15 milliards sur les cinq prochaines années pour 15 pays dont 5 000 millions cette année.
- Programmes de réduction de la dette.
- Fonds privés de la Fondation Bill Gates (1,2 milliard de dollar pour le VIH et la tuberculose) et de la Fondation Clinton.
Selon l'estimation des coûts récemment révisée, quelque 12 milliards de dollars seront nécessaires d'ici à 2005 (au lieu des 10 milliards précédemment estimés) et 20 milliards d'ici à 2007. Ils permettraient notamment de fournir des ARV à 6 millions. Environ 43 % de ces ressources seront nécessaires en Afrique subsaharienne, 28 % en Asie, 17 % en Amérique latine et aux Caraïbes, 9 % en Europe orientale et 1 % en Afrique du Nord et au Proche-Orient.
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