Léon Schwartzenberg, l'homme qui a toujours été avec les « sans »

Publié le 15/10/2003
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« Ici Léon Schwartzenberg, ayez la gentillesse de... Merci beaucoup. » Ce message téléphonique de « Léon », comme l'appellent ses amis de Droits Devant ! et ses confrères de toujours, c'est tout Léon. Il ne manque que sa voix éraillée et son regard bleu acier. « On l'aurait bien vu acteur. Lui-même y avait pensé », confie le Dr Jean-Michel Vannetzel, cancérologue, qui a « eu la chance de faire son clinicat à Paul-Brousse » (Assistance publique de Paris), à Villejuif (Val-de-Marne), où Léon Schwartzenberg a fait l'essentiel de sa carrière avant d'y mourir, le 14 octobre, d'un cancer du foie qui a compliqué une hépatite transfusionnelle contractée à la fin des années cinquante.

C'était un généreux, avec un cœur gros comme ça, un fonceur, un gentil bagarreur aussi, ce Léon. « Le jour où il nous est apparu possible de faire la première greffe de moelle osseuse au monde pour traiter un leucémique, se rappelle le Pr Georges Mathé, cancérologue, il était à mes côtés à Curie (Paris) en 1959. Et en faisant la ponction de moelle, j'ai eu l'impression de reconnaître le corps de Léon Schwartzenberg. C'était bien lui. Il fut le premier donneur, non pour des raisons biologiques, mais médico-humanitaires. »

Un moderne

En 1958, il était médecin attaché au service d'hémobiologie de l'hôpital Saint-Louis, dans la capitale, avant de devenir assistant d'hématologie à l'institut Gustave-Roussy, à Villejuif, puis agrégé en biologie en 1971, et enfin clinicien en cancérologie.
« Enthousiaste et très ouvert, Léon Schwartzenberg était un moderne quant à ses options médicales, ingénieux, ayant de grande aptitudes », tient à faire remarquer le Pr David Machover, 56 ans. « Il est à la base de traitements standards (cancer digestif, 1979) et innovant. Il proposa des mesures prophylactiques du sida alors que personne n'en parlait encore. » Face à la toxicomanie, sa proposition de distribution de seringues sera reprise dix ans plus tard. « Personnellement, j'ai été très heureux d'avoir été son élève. Je n'ai jamais eu autant de plaisir au travail qu'avec lui pendant une quinzaine d'années », confesse le Pr Machover.
« C'est homme qui s'implique tout de suite, de manière très personnelle, sans barrière, sans protection », confirme le Pr Claude Jasmin, qui a succédé au Pr Georges Mathé à la tête du service de cancérologie de Paul-Brousse. « Je me souviens, j'étais jeune interne en 1961, raconte le cancérologue. J'avais un patient qui saignait, et je l'ai appelé à minuit. Il est arrivé dans le service avec plein de poches rouges. »

Ministre pendant neuf jours

« Ce n'est pas surprenant qu'il ne soit resté que neuf jours ministre » dans le gouvernement Rocard-II, dit Claude Jasmin, « n'ayant pas cherché à se comporter avec la réserve qu'on attend d'un membre du gouvernement. » Du 28 juin au 6 juillet 1988, il a foncé tête baissée sans rien changer de sa personne, plébiscité à l'époque par l'opinion publique dans les sondages sur la personnalité la plus populaire du pays. N'hésitant pas à héler un motard afin de se rendre (à l'heure) à un conseil des ministres, il sera obligé de démissionner après avoir suggéré publiquement un dépistage systématique du VIH chez les femmes enceintes, et pour ses positions sur la lutte contre la drogue. Il n'écartait pas la distribution d'héroïne sous contrôle médical aux toxicomanes en manque, et appelait à la dépénalisation de l'usage des stupéfiants. Révélant ici les contradiction de la société, et bravant là les tabous de la médecine, il a fait connaître en 1987 l'aide qu'il avait apportée à une malade incurable, ce qui lui a valu une suspension d'exercice d'un an par l'Ordre. « Son impétuosité ne pouvait le prédisposer à une image politique durable », insiste Claude Jasmin. Et pourtant, l'homme de cœur, ancré à gauche, a siégé au Parlement européen sur les bancs socialistes de 1989 à 1994, et en 1992 au conseil régional Provence-Alpes-Côte d'Azur, qu'il a quitté précipitamment, certes, pour dépassement de frais de campagne.
Le fougueux, le généreux, l'homme attaché à ses patients et aux patients accro à leur « Léon » - au point qu'il continua à assurer une consultation à Paul-Brousse, quelque mois encore avant sa mort -, c'est également celui « qui a un peu préfiguré un certain type de relations des médecins avec les médias », remarque le Dr Jean-Michel Vannetzel. « Fasciné par les gens du spectacle, il était un homme de médias. Sa carrière aura été entièrement médiatique, d'un bout à l'autre. » Oui, « Léon », c'était un personnage, un nom et un charisme qui le propulsait à la une de l'actualité et dans le coeur de chacun. Il était attiré par les médias, comme le papillon vers la lumière. « Je l'ai même vu parler du Tour de France », dit amicalement le Dr Jean-Michel Vannetzel.
Et au commencement, il y eut la guerre. Né de parents juifs le 2 décembre 1923 à Paris, Léon s'engage tout naturellement, spontanément, dans la Résistance, avec ses deux frères cadets, morts à Matthausen. « Avec une quinzaine de camarades », il a fait partie « du maquis Corps Franc P, rattaché à l'Organisation de la résistance de l'armée ». En 1944, il leur incombait, « conformément à un plan défini par Londres, de retarder la montée des Allemands vers l'Atlantique ». « J'avais à peine 20 ans », se rappelait Léon Schwartzenberg pour « le Quotidien » à l'occasion du cinquantenaire du débarquement.
Léon, enfin, a toujours fait le choix d'être aux côtés des « sans ». Les sans-droit, les sans-papiers, les sans-abri. Il dépendait de ceux qui avaient besoin d'être défendus. Il sera ainsi corps à corps avec Droit au logement, dont il restera président d'honneur, puis avec Droits Devant ! « Les sans-voix perdent un compagnon de route de 14 ans, un ami qui a toujours su conjuguer la pensée à l'action, quelqu'un de disponible 24 heures sur 24 pour veiller un mourant », dit au « Quotidien » Jean-Claude Amara, de Droits Devant !
Léon Schwartzenberg, père de deux garçons et d'une fille, vivait depuis vingt-trois ans avec l'actrice Marina Vlady.

* Léon Schwartzenberg a écrit plusieurs ouvrages, notamment « Changer la mort » (en collaboration en 1977), « Requiem pour la vie » (1985), et « Face à la détresse » (1994).

Philippe ROY

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7405