Le contexte
Quelle que soit la situation clinique, l'hémogramme est de réalisation quasi systématique. L'HE, surtout si elle est isolée et prolongée, doit être appréhendée selon le contexte épidémiologique et clinique.
Cette enquête recherche les parasites les plus fréquents, qu'ils soient cosmopolites ou « tropicaux », ou les agents pathogènes à l'origine de maladies chroniques potentiellement graves (ex. : bilharziose) en l'absence de traitement précoce.
Enfin, le risque de méconnaître un antécédent d'infestation par l'anguillule et déclencher une «anguillulose maligne», potentiellement mortelle, déclenchée par une corticothérapie orale introduite pour une maladie générale justifie, en l'absence de preuve, de proposer un traitement systématique par ivermectine (Stromectol) dont l'éventail d'action est très large (sauf les helminthiases).
Helminthes et protozoaires, s'y retrouver sans perdre son grec
Seuls les métazoaires peuvent entraîner des hyperéosinophilies. En d'autres termes, les protozoaires (plasmodium, leishmanies, amibes, toxoplasme) n'en donnent pas. Une autre parasitose fréquente, l'échinococcose, engendre une HE selon l'espèce en cause : l'hydatidose hépatique ( Echinococcus granulosus, tænia du chien) n'en provoque pas, sauf en cas de rupture de kyste. L'échinococcose alvéolaire, parasite européen (de l'Est) lié à Echinococcus multilocularis, larve du tænia du renard, provoque en revanche, outre un tableau hépatique bruyant, une HE.
Au plan des généralités diagnostiques, l'HE est toujours plus importante en phase d'invasion (précoce), parfois responsable du « coup d'archet » de la courbe de Lavier (ascaridiose en phase de primo-invasion). A ce stade, l'isolement du parasite est impossible et le diagnostic ne se fera que par sérologies. A la phase adulte, lors des cycles de ponte – plus tardifs, au moins trois semaines après l'infestation –, le diagnostic pourra se faire par observation d'oeufs ou de parasites dans les selles ou les urines, ou par méthode sérologique. Les sérologies des vers ronds à tropisme intestinal n'ont aucun intérêt, sauf pour l'anguillulose du fait de son cycle tissulaire. Le diagnostic des « impasses parasitaires » où, par nature, les parasites n'ont aucun cycle chez l'homme et s'enkystent en général dans un ou plusieurs organes pourra se faire par sérologie ou anatomopathologie (biopsie d'une lésion tissulaire).
Les principaux responsables avec l'homme comme hôte
Une grande famille de parasites est en cause dans les HE : les helminthes avec les vers ronds (némathelminthes) à tropisme digestif (tænia, oxyure, ankylostome, anguillule) donnant peu d'éosinophilie en dehors de leur cycle tissulaire et les vers ronds tissulaires (filaires) ; la seconde famille est celle des vers plats (plathelminthes) tels que douves ou bilharzies.
Seules quelques maladies parasitaires peuvent donner de grandes HE (1 500/mm3) parfois prolongées : les filarioses, l'anguillulose (HE fluctuante et parfois très prolongée) et le syndrome delarva migrans viscérale lié à la très cosmopolite toxocarose. D'autres parasites donnent des HE importantes : la trichinose et les bilharzioses (les quatre espèces).
Quelques points clés à propos de la famille des filaires. La filaire loa-loa, transmise après piqûre de taon des forêts d'Afrique centrale exclusivement, provoque un prurit, une migration sous-cutanée, sous-conjonctivale, des oedèmes de Calabar. La filarémie est diurne.
Pour la filariose lymphatique de Bancroft (Comores, Maurice, Seychelles, Egypte), la filaire est nocturne et transmise par des moustiques (Culex et Aedes) et le diagnostic pourra aussi être fait par recherche de l'antigène Og4C3 dont la sensibilité avoisine 100 % (laboratoires spécialisés). Dans cette espèce, la variété pacifica est apériodique – diurne et nocturne – et était autrefois très présente en Polynésie française (éléphantiasis tahitien).
L'onchocercose, responsable de la cécité des rivières, sévissant en Afrique subsaharienne, mais aussi en Espagne, provoque une kératite sclérosante ou une choriorétinite.
Seules les microfilaires sont sensibles à l'ivermectine (Stromectol), traitement dépourvu d'activité macrofilaricide sur les formes adultes d'aucune espèce de filaires. Dans les zones d'endémie à loa-loa, des précautions particulières devront être adoptées avant un traitement par ivermectine (cf. Vidal) car l'intensité de la filarémie conditionne une réaction allergique anaphylactique lors de la lyse des filaires.
Ces larves égarées chez l'homme, les impasses parasitaires
Syndrome de larva migrans cutanée (larbish) liée à l'ankylostome du chien dont le traitement est local, avec 3 g d'albendazole mélangé avec 30 g de vaseline pendant 3 à 8 jours.
Syndrome de larva migrans viscérale ou toxocarose liée à la très cosmopolite larve Toxocara canis donne des manifestations extrêmement polymorphes. Le diagnostic est sérologique. Cette sérologie reste longtemps positive, de nombreux sujets étant exposés, il faudra donc éliminer une autre cause d'HE avant de porter ce diagnostic.
L' anisakiase est une nématodose larvaire cosmopolite infectant les poissons crus des zones froides et tempérées. Si les signes existent, ils sont frustes, de type douleurs épigastriques. L'enquête alimentaire et la sérologie conduisent au diagnostic.
L' angiostrongyloïdose neurologique : la principale complication de l'infestation humaine par Angiostrongylus cantonensis est la méningite à éosinophiles (contamination par « tiaoro », plat tahitien préparé à base de broyat de crevettes d'eau douce crues, hôtes du parasite). La guérison est en général spontanée, en quelques semaines, mais des douleurs résiduelles peuvent persister pendant quelques mois. Aucun médicament antiparasitaire n'est efficace.
La consommation de viande crue de porc peut entraîner deux parasitoses sources d'HE :
– la neurocysticercose est liée à l'enkystement intracérébral des larves de Taenia solium, parasite du porc. Cela explique que cette pathologie soit rare dans les pays musulmans, mais fréquente en Asie, en Inde et dans l'océan Indien (Madagascar). La comitialité est la principale présentation clinique, secondaire à l'irritation locale du SNC par le kyste. Le traitement fait appel à l'albendazole (15 mg/k/j, de 1 à 4 semaines), parfois à la neurochirurgie ;
– la trichinose liée à l'ingestion de larves de Trichinella spiralis qui vont s'enkyster dans les muscles quinze jours après contamination. En phase de dissémination larvaire, on observe une fièvre en plateau et des myalgies, un oedème caractéristique de la face (« maladie des grosses têtes ») et l'HE est parfois intense. Cosmopolite, ce parasite touche aussi l'Europe, une microépidémie a sévi en Ile-de-France en 1993. Le diagnostic est sérologique.
En pratique
L'enquête
– Etes-vous parti hors d'Europe ? Les voyages touristiques brefs datant de plus de cinq ans sont souvent oubliés. Quand êtes-vous parti et quelle était la date du retour ?
– Comment ? Quel mode de vie : comment vous êtes-vous nourri sur place, vous êtes-vous baigné en eau douce ?
– Où ? Dans quel pays : certaines parasitoses sont cosmopolites et d'autres localisées, par exemple la loase qui connaît une épidémiologie bien circonscrite.
La clinique
Rechercher des signes cliniques associés à l'HE
Les parasites provoquant une HE sont aussi variés que leur expression clinique. Toutefois, une fièvre pourra faire évoquer une trichinose ou une bilharziose (fièvre des safaris), un exceptionnel, mais classique, syndrome de Löffler d'une ascaridiose ou d'une toxocarose, des signes cutanés, une filariose et, enfin, des signes neuroméningés, une angiostrongyloïdose ou une neurocysticercose.
Le problème est toujours celui de l'HE isolée…
Les examens paracliniques «utiles»
L'hémogramme précise le taux et la cinétique de l'HE.
L'examen parasitologique direct des selles sur des prélèvements répétés – en raison de l'excrétion intermittente des oeufs ou des parasites – permet le diagnostic des helminthiases intestinales (ankylostomoses, ascaridioses, taeniasis, oxyuroses, distomatoses hépatobiliaires). L'examen parasitologique doit être réalisé avec technique de Baerman (à préciser explicitement) nécessaire au diagnostic d'anguillulose. La recherche d'une microfilarémie circulante sera diurne et/ou nocturne selon l'espèce en cause.
Les sérologies des vers ronds à tropisme intestinal n'ont aucun intérêt, sauf pour l'anguillulose du fait de son cycle tissulaire. Certaines sérologies sont fiables : anguillulose, schistosomose, distomatose à Fasciola hepatica, filariose, toxocarose, trichinose, cysticercose.
Si l'enquête est négative, il conviendra d'évoquer deux écueils :
– l'association d'une fièvre et d'une HE peut être fortuite et il faudra alors évoquer de principe un paludisme à Plasmodium falciparum au retour d'une zone d'endémie, surtout s'il existe une thrombopénie modérée associée à la NFS... ;
– les autres causes d'HE : le couple atopie-allergie, qui est une cause fréquente d'HE modérée, les causes médicamenteuses dont la liste est longue ou, plus rarement, certains « asthmes hyperéosinophiliques » révélant des maladies de système comme la maladie de Churg et Strauss ou la pneumopathie de Carrington.
En conclusion
Si la démarche est mal conduite, le risque est de deux ordres :
– de négliger une parasitose potentiellement grave (bilharziose et hypertension portale, neurocysticercose et convulsions) ;
– mais surtout d'instaurer une corticothérapie (CT) pour une affection générale (asthme, par exemple) et de déclencher une redoutable «anguillulose maligne» de pronostic très sombre. Cette entité est liée à la longévité intestinale du parasite qui, à l'occasion d'un traitement immunosuppresseur, prolifère et se complique d'un sepsis grave et potentiellement mortel. Y penser, c'est rechercher la notion – parfois lointaine – d'un séjour outre-mer. Il faut surtout la traiter de manière préventive chez tous les sujets, puisqu'il s'agit d'une maladie cosmopolite (Antilles, Italie, Espagne), avant d'instaurer toute CT par voie orale. Le traitement fait appel à l'ivermectine (Stromectol) à une posologie adaptée au poids : de 51 à 65 kg, 4 comprimés ; de 66 à 79 kg, 5 comprimés.
Compte tenu des difficultés diagnostiques des tæniasis en phase d'invasion, tout sujet asymptomatique présentant une HE et suspect d'infestation par un tænia sera traité par praziquantel (15 mg/kg en dose unique) avec contrôle de la NFS à 1 mois.
En termes de santé publique et de coût, compte tenu des difficultés globales à identifier une cause à l'HE en pratique quotidienne, il n'est pas irréaliste de comparer un traitement présomptif d'une HE du retour par flubendazole + ivermectine qui ont des effets secondaires quasi nuls, par rapport au prix d'un « bilan » parasitaire et d'une deuxième consultation qui débouche quasiment toujours sur la même attitude : traitement présomptif... ! Pour les patients ayant séjourné en zone d'endémie et s'étant baignés en eau douce, une dose unique de praziquantel (50 mg/kg en dose unique pour le traitement des bilharzioses) pourra être discutée, aboutissant à une sorte de « trithérapie » du retour de voyage...
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