Idées
D'abord, rappelle le neurobiologiste Jean-Didier Vincent, pour que nous soyons présents au monde et que nous y agissions, notre conscience a besoin d'être stimulée par un neurotransmetteur, la dopamine. Manque-t-elle particulièrement dans les salles de classe ? Les professeurs, dit-on, sont mauvais, et comme les élèves s'ennuient, ils s'ennuient aussi. N'est-ce pas plutôt la structure scolaire, la rigidité de son emploi du temps et de ses programmes qu'il faut mettre en cause, proposent régulièrement ceux qui se penchent sur l'école ?
Ce qui semble acquis, c'est le décalage de plus en plus grand entre l'institution scolaire et ce que l'ingénieur de recherche Véronique Nahoum-Grappe nomme une « culture excitée ». Saoulés par le monde agité des jeux électroniques, de la télé ou du sport, certains jeunes entrent difficilement aujourd'hui dans un espace exigeant le silence, l'attention, le ralentissement moteur. L'école leur apparaît comme un monde abstrait, rigide, niant de surcroît la « culture » de l'extérieur. Ce n'est pas si simple, car nombre de jeunes en crise trouvent également le monde en général ennuyeux ( « c'est nul ! ») et une étude de l'ennui passe peut-être par une approche du rapport à l'imaginaire : rien n'est ennuyeux dès lors qu'on désire, et on ne désire que ce qu'on n'a pas, comme le rappelle André Comte-Sponville.
L'ennui à l'école est aussi lié au rapport que l'élève a avec le savoir, et dans une étude très fine, François Flahaut montre qu'à travers ce dernier l'élève studieux cherche autre chose que le pur savoir dans une visée qui englobe le professeur comme donateur de sens.
Il est vain de croire qu'on luttera contre l'ennui en « distrayant » l'élève. Curieusement, la volonté d'introduire dans les établissements des activités « prises à l'extérieur » rencontre parfois le scepticisme ou l'étonnement des élèves : tel professeur parlant de cinéma devant une classe médiocre donne surtout l'impression de se faire plaisir, et se verra rappeler au respect du strict programme, par ceux-là mêmes qui, parfois, ne peuvent suivre le cours classique. Inversement, se crisper sur la tradition et le nécessaire respect du savoir pour le savoir n'a pas de sens dans un collège où le public est devenu aussi hétérogène qu'aujourd'hui.
De fait, même les très bons élèves s'ennuient, mais avec le sentiment que cela peut être surmonté. Une partie intéressante du colloque, qui a eu lieu en janvier dernier, a été de montrer que, même si elle est déconnectée de la réalité, l'école offre par là même les conditions d'un apprentissage de l'effort, d'une joie même, liée au travail, qui en font un excellent « incubateur ». C'est à l'école, dit justement le psychologue Jacques Birouste dans sa communication, qu'on peut assurer aux enfants « une double mutation éducative : de l'affect brutal vers le sentiment et des perceptions brutes vers la réflexion ».
Une vision idéaliste
Mais là encore, cela ne concerne-t-il pas que les meilleurs, ceux qui ont du temps et peuvent se permettre le luxe d'un ennui passager, car ils réussiront in fine ? Ceux qui savent que la joie est dans ce qu'on conquiert, non dans une société de la prompte possession.
Finalement, on en retire l'idée que l'ennui est loin d'être négatif : le philosophe y approfondit le temps pur, vide, et fond de plaisir comme les montres molles de Dali. Les psychopédagogues, assez monastiques, laissent à l'extérieur de l'école les scintillements de la vulgarité et du zapping : s'ennuyer, c'est aussi se concentrer et savoir que tout arrive mais lentement. C'est là, finalement, une vision très idéaliste quand on sait que l'ennemi est depuis longtemps dans la place, portant avec lui le bruit, la fureur et l'impossibilité d'enseigner.
« L'Ennui à l'école », colloque du Conseil national des programmes, Albin Michel/Scérén (CNDP), 122 p., 10 euros.
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