Yolande Moreau (avec Ulrich Tukur) : une impressionnante composition (dr)
C'EST L'UN DES PLUS grands peintres naïfs. Née Séraphine Louis, en 1864, à Arsy-sur-Oise. Bonne à tout faire dès l'âge de 13 ans. Morte de faim, en 1942, comme d'autres pensionnaires de l'hôpital psychiatrique de Clermont-de-l'Oise, où elle était internée depuis 1932. Enterrée dans une fosse commune. Passée à la postérité sous le nom de Séraphine de Senlis.
Pour son troisième film (après « Tortilla y Cinema » et le sensible « Ventre de Juliette »), Martin Provost s'est penché sur le destin de Séraphine, qu'il voit avant tout comme une femme libre, et sur l'énigme du jaillissement créatif, de l'art brut. Il a choisi une période essentielle de la vie de Séraphine, sa rencontre avec le collectionneur allemand Wilhelm Uhde, venu se reposer à Senlis, en 1912, et chez lequel elle fait le ménage. Premier acheteur de Picasso, découvreur du Douanier Rousseau, c'est lui qui la fera connaître, après la guerre, à la fin des années 1920.
Entre l'autodidacte qui entend des voix et l'esthète raffiné qui vend pour collectionner, et non le contraire, se noue une relation heurtée mais profonde. Aussi différents qu'on peut l'être, ils sont réunis, face à un monde extérieur hostile, difficile (la guerre, la haine antiallemande, la crise de 1929), par la passion de la peinture.
Ambiguïtés et mystère.
Le réalisateur décrit ces deux êtres en souffrance sans chercher à les expliquer. Ils gardent leurs ambiguïtés, leur mystère. On ne saura pas pourquoi Séraphine peint ces arbres-bouquets foisonnant de fleurs, de feuilles et de fruits (image de l'inconscient ?). On ne s'appesantira pas sur ses pathologies ( «idées délirantes systématisées de persécution, hallucinations psychosensorielles, troubles de la sensibilité profonde…», dit le diagnostic de Clermont-de-l'Oise).
Yolande Moreau incarne Séraphine avec beaucoup de présence, de force. Elle est un bloc humain face à Ulrich Tukur (« Amen », « Solaris », « la Vie des autres »), tout en sensibilité blessée.
La mise en scène est peut-être un peu trop classique dans sa construction chronologique. Ce qui l'est moins (classique), c'est le regard que porte Provost sur la nature, quasiment celui d'un peintre, avec des paysages cadrés comme pour composer un tableau.
Le film rend justice à une femme qui, comme dit Provost, «avec presque rien, est parvenue à donner un sens à sa vie». Et le réalisateur d'ajouter, on lui en laissera la responsabilité : «Et elle a laissé une trace, c'est assez extraordinaire. Imaginez Séraphine aujourd'hui. On lui collerait des antidépresseurs, elle serait devant sa télé et elle ne peindrait pas!»
Une exposition et deux livres
On peut admirer les oeuvres de Séraphine au musée Maillot, à Paris, à partir d'aujourd'hui et jusqu'au 30 décembre. Pour la biographie et la réflexion sur une existence hors du commun : « Séraphine. La vie rêvée de Séraphine de Senlis », de la psychanalyste et peintre Françoise Cloarec, dont s'inspire le film (Phébus, 156 pages, 12 euros) ; « Séraphine. De la peinture à la folie », de l'écrivain Alain Vircondelet, déjà auteur d'un essai biographique sur le peintre en 1986 (Albin Michel).
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